• L'ogre Khôl en était à son troisième petit pain à l'amanite,

    Généreusement beurrés de bave de crapaud,

    Et à son deuxième bol de soupe de lait de licorne décédée,

    Au petit goût acidulé et aux bonnes senteurs de troupeau,

    Lorsque la mémoire de ce qu'il avait fait la veille lui revint,

    Il réalisa alors pleinement les conséquences de son inconduite.

     

    Il poussa un très grand soupir et une vague de chagrin l'assaillit :

    Jamais sa vieille cuisinière ne lui avait concocté d'aussi bon plats,

    Mais il aurait donné tout son or pour un seul de ses petits pains rassis,

    En échange de tous ces mets délicats, raffinés et exquis.

    Oui mais voilà : la vieille cuisinière décrépite n'était plus là.

     

    Il repoussa d'un geste rageur les mets succulents présents sur sa table.

    Ce n'était pas la première fois que ses actions passées lui coupaient l'appétit,

    Mais cette fois, il avait beau y réfléchir calmement,

    Il ne pouvait plus rien y faire, car hier, il avait bel et bien mangé sa cuisinière.

    Une cuisinière que depuis toujours il appelait « Maman » :

    Même pour lui, l'horrible mécréant, c'était franchement lamentable.

     

    L'ogre Khôl, éperdu de remords, pleura toute les larmes de son corps,

    Puis il fut bientôt pris de très vives douleurs aux boyaux,

    De violents tremblements et d'une fièvre digne d'un haut fourneau.

    Alité, pendant plusieurs heures il souffrit mille morts,

    A un point qu'il appela de ses vœux son propre trépas.

     

    A quelques dizaines de lieues de là,

    La Fée Kation, toujours sanglée sur Dhabon Dhance,

    Se remémora soudain ses anciens cours de potion,

    Et les remarques incessantes de son professeur, la fée Blaisse :

    « Réfléchissez avant d'agir, petite sotte, et apprenez vos leçons,

    Point n'est universelle l'action d'une potion ou d'un poison,

    Selon la nature du destinataire, l'effet est mauvais ou bon,

    Et chaque administration est suivie d'effets, Kation ! »

     

    La fée Kation n'avait jamais été très douée :

    Si elle avait mieux étudié, elle se serait rappelée

    Que les ogres sont insensibles à toute forme de poison,

    Et que nul jamais ne survit à une blessure de Licorne,

    Sauf s'il consomme dans la journée suivant la perforation

    Amanite, bave de crapaud et lait de licorne décédée.

     

    Quelques heures plus tard, l'ogre Khôl se sentit un peu moins fiévreux :

    Le plus dur était passé, il était sauvé, ça ne faisait pas un pli.

    Encore ruisselant de sueur, il se leva d'un seul élan généreux...

    Glissa et se fracassa le gros orteil contre le pied du lit.

     


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  •  Ce jour là, l'ogre Khôl se leva du pied gauche,

     Et se cogna aussitôt l'orteil droit dans une porte mal placée :

     Feue la porte fut utilisée dans la journée comme bois de chauffage.

     

     Pour son petit déjeuner, l'ogre trouva le café trop chaud,

     Le beurre rance, la viande moisie et le pain rassis :

     Feue la cuisinière fut utilisée dans la journée comme plat de résistance.

      

    Dans son bain, l'ogre tomba à court d'eau chaude,

    Entièrement savonné, il glissa dans les escaliers :

     Feu le chauffagiste fut pris d'une passion soudaine pour le contorsionnisme.

      

    C'est d'une humeur massacrante que l'ogre Khôl partit à la chasse.

     Il revînt six heures plus tard avec sur le dos six licornes, trois fées et huit lutins :

     Une des licornes lui avait perforé l'intestin,

     Une des fées lui avait brulé les sourcils d'un coup de baguette,

     Et les lutins lui avaient troué les chausses à coups de lancette.

      

    Exaspéré, il jeta toutes ses proies inanimées en tas dans le cellier,

     Se mit en quête d'une barrique de cidre, d'un tonnelet de liqueur,

     But le tout en quelques gorgées pleines d'ardeur,

     Et partit aussitôt se coucher, la journée du lendemain

     Ne pouvant être pire que celle qui l'avait précédée.

      

    Il s'avéra qu'une des licornes, Dhabon-Dhance, n'était point occise mais juste évanouie.

     Une des fées, Kation, n'avait que l'échine cassée, mais toutes ses facultés,

     Tandis qu'un des lutins, Tamarre, s'était contenté de feindre le décès.

     Ces trois là eurent tôt fait de comploter contre le maître de céans,

     Il n'était pas encore minuit qu'ils avaient un plan.

      

    Aussitôt, les trois compères d'infortune passèrent à l'action.

     Le lutin sangla la fée sur le dos de la licorne,

     Enroba les sabots de la blanche cornue dans des torchons mouillés,

     Et les trois rescapés se glissèrent hors du cellier à pas comptés,

     Direction la cuisine, où ils préparèrent à l'Ogre un superbe petit déjeuner.

      

    Avant de quitter la bâtisse délabrée, la fée tint à signer son forfait :

     Au milieu des tartes aux pommes empoisonnées,

    Des petits pains à l'amanite, de la soupe au lait de licorne décédée,

    Du beurre de bave de crapaud et du miel à la cigüe,

    Elle laissa en évidence une gentiane dans un verre à pied.

      

    Au réveil, transi de froid, encore un peu enchafouiné par les courants d'airs,

     L'Ogre Khôl, Eric de son prénom, apprécia la délicate attention.

     De toutes les couleurs, la bleue était sa préférée.

     Alors qu'il attaquait à belles dents son petit déjeuner,

     Il pensa qu'il lui faudrait chaleureusement remercier sa cuisinière.

     


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  • Il y a de cela douze années, un Vampire, d'une sauvagerie sanguinaire épouvantable, même au regard des critères tolérants appliqués à son espèce, défraya la chronique. Il fit des ravages dans la Province des Six Vallées. Pendant très longtemps son identité fut un mystère complet. Il s'agirait en fait d'un simple lapin, un certain Oscar Ott.

    Avant que l'affaire ne débute, Oscar Ott, car c'était son nom, vivait en paix dans la Province des Six Vallées avec ses 167 enfants, ses 17 820 petits enfants et ses 124 570 arrières petits enfants. Compte tenu d'une relative surpopulation lapine dans cette Province, l'herbe était rare, mais les terriers nombreux.

     

    A cette époque vivait également dans ces contrées un Vampire pacifique, Nonosse Fératou.

    Nonosse était un Vampire très timide, qui vivait isolé loin des villes et de leurs tentations. Il venait de s'installer dans la Province des Six Vallées, il y vivait seul dans une tour en pierre délabrée, au sommet d'une colline, loin des routes de passage.

    Nonosse Fératou était un vampire semi-végétarien, dans le sens où il ne s'attaquait qu'à des individus de taille très modeste, incapables de se défendre : des cochons d'inde, des hérissons, des souris, des tortues, des musaraignes ou des lapins. Il gardait un souvenir cuisant de son attaque sur un troll de deux mètre cinquante qui l'avait à tout jamais dégouté des proies tenant debout sur deux pattes, surtout celles munies d'un gourdin clouté.

    Comme tout bon vampire, Nonosse chassait la nuit et dormait le jour.

     

    Par un beau matin d'hiver, Oscar Ott se réveilla transi de froid dans un terrier vidé de ses occupants. Surpris, car jamais les membres de son terrier ne le quittaient habituellement sans lui, Oscar partit à leur recherche. Il les trouva éparpillés à l’aplomb du terrier, raides comme des bouts de bois, vidés de leur sang. Oscar Ott, outre sa compagne Gry, avait perdu une part importante de sa famille. Il ne lui restait plus que 134 enfants, 17 743 petits enfants et 124 460 arrières petits enfants. Il en éprouva un profond chagrin.

    Son ami Xomatose, qui passait par là, le trouva éploré au milieu des petits cadavres. Il lui apprit le nom du coupable, car il avait lui aussi reçu récemment la visite de l'infernal Nonosse Fératou, le vampire chasseur de lapins qui vivait à quelques lieues, dans la grande tour délabrée.

    Le chagrin d'Oscar se mua en colère, la colère en rage et la rage en furie : son sang ne fit qu'un tour, et il s'avéra qu'il s'agissait d'un des derniers. Sans plus réfléchir, il se précipita à courtes enjambées vers la tour délabrée, rogna la porte d'entrée vermoulue avec ses petites dents, trouva le cercueil dans lequel gisait Nonosse et il l'ouvrit à la seule force des ses petites pattes. Alors que l'exposition à la lumière du jour commençait à le bruler, Nonosse trouva néanmoins l'énergie pour saisir Oscar et le mordre. Il n'eut cependant pas la force d'aspirer son sang et disparut dans une volute de fumée nauséabonde et un hurlement à glacer le sang.

     

    Ce qui devait arriver arriva. Après deux journées de forte fièvre et de tremblements, Oscar se transforma la troisième nuit qui suivit en Vampire. Ce fut à notre connaissance le premier (et à ce jour le seul) Vampire Lapin de l'histoire de nos contrées. Mais le problème avec les lapins, c'est leur nature compulsive. Certes, elle ne dérange pas beaucoup dans leur état normal, mais elle prend un tour terrifiant dans leur état vampirique.

    Les ravages qu'il infligea aux siens furent épouvantable. Au bout de trois mois, il ne restait plus aucun membre de sa famille en vie, à l'exception notable de quelques arrières petits enfants qui étaient partis en pension dans des universités lointaines.

    Ayant exterminé toute sa communauté, Oscar s'attaqua à d'autres espèces, de plus en plus grosses. Puis vint le tour des Farfadets, des Gnomes et des Lutins de la Province, qui subirent des pertes épouvantables. Suivirent les Gobelins, les Fées, les Hobbits, les Nains, les Elfes et les Humains. Tous ceux qui perdirent des proches cherchèrent à se venger et passaient leurs journées à essayer de retrouver le vampire qui saignait les braves gens dans leur sommeil : jamais ils n'eurent l'idée de chercher un Lapin Vampire dans son terrier.

    Tous les habitants au teint un peu trop pâle des Six Vallées et tous les amateurs de grasse matinée furent hachés menus par des foules en colère. Mais tous les soirs, le carnage reprenait de plus belle.

    Six mois après sa transformation, Oscar s'attaqua à ses premiers Trolls. Puis vint le tour des premiers Ogres et enfin celui des Géants.

    Ces trois espèces, d'habitude plutôt paisibles, commencèrent à mettre la Province à feu et à sang pour trouver le responsable des attaques nocturnes. L'activité économique de la Province subit un coup d'arrêt sans précédent : son Produit Magique Brut s'effondra. Le Roi s'inquiéta de la soudaine baisse des rentrées fiscales et envoya une brigade complète de Percepteurs Royaux pour recouvrer l'impôt manquant et remettre la Province dans le droit chemin.

    C'est à ce moment là que la panique s'empara de la population de la Province des Six Vallées. A la terreur nocturne s'ajouta celle des Percepteurs Royaux en journée. Ce fut alors le début de l'exode total de la population vers les Provinces frontalières, et le point de départ de la Troisième Grande Guerre civile du Royaume.

    Dix huit mois plus tard, les combats prirent fin, faute de combattants. La population du Royaume avait été divisée par cinq. Personne ne revint cependant jamais s'installer dans la Province des Six Vallées.

    Aujourd'hui encore, la Province est abandonnée. Rares sont les voyageurs à s'y risquer, et plus rares encore ceux qui en reviennent, totalement épouvantés.

     

    L'identité du terrible Vampire de la Province des Six Vallées a été révélée par son ami Xomatose il y a quelques mois, alors que celui ci était sur le point de se faire transformer en civet par un demi-Hobbit du nom de Gidéon Theux.

    Au début, personne n'y a vraiment cru, et tout le monde faisait mine de se gausser de cette histoire, répandue par un demi-Hobbit impressionnable qui avait rendu sa liberté à son diner, l’appétit coupé.

    Cependant le Chargé Royal des statistiques de la consommation alimentaire du Royaume me faisait récemment remarquer un fait troublant : la consommation de lapin s'est totalement effondrée depuis que les rumeurs sur la nature du Vampire de la Province des Six Vallées se sont répandues.

    Il faut dire que personne n'a émis à ce jour de meilleure hypothèse pour expliquer ces fâcheux évènements. J'ai moi même procédé à l'interrogatoire du lapin Xomatose Heille. Rien ne me permet de mettre en doute son témoignage. C'est pourquoi je consigne cette histoire dans le Grand Registre Royal. Seuls de nouveaux éléments pourraient désormais remettre en cause ce qui doit dorénavant être considéré comme la version officielle des faits.

     

    Anaskri Bouillard, Archiviste Royal.

     

     


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  • INFO IMPORTANTE : Il faut lire la série dans l'ordre : c'est à dire démarrer par l'article le plus ancien, qui se trouve sous les quatre suivants, sachant que le dernier précède le quatrième, lui même précédant le troisième qui précède le second, situé juste avant l'article le plus ancien dont je vous parle au début de cette phrase interminable.

    Si vous n'avez pas compris, je ne peux rien pour vous. Z'avez qu'à vous démerder.


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  • Mobilisés par l'énergique Jean-Commode Damploix,

    Quatre vingt solides gaillards du CABIA

    Arrivent très motivés à huit heures du soir

    Devant le pont levis noir

    Du grand château de l'Etang au Miroir.

     

    Ils mettent le feu à quelques balles

    Et commencent à sortir force banderoles

    Qui toutes demandent de l'aide pour Archibald.

    Puis ils se mettent à taper dans leurs casseroles.

     

    L'un des manifestants s'écrie soudain :

    Regardez, c'est Archie tout là haut !

    Tout le monde lève la tête avec entrain,

    Et voit horrifié Archie qui tombe du haut du château.

     

    Derrière lui descend doucement une petite enveloppe.

     

    Archie est sur le point de se fracasser au fond des douves,

    Quand un dragon jaillit et le saisit au vol,

    Puis le pose sous les vivats parmi ses camarades,

    Qui pour la plupart découvrent

    Un demi-hobitt tremblotant, nouveau champion des cabrioles.

     

    Archie crie : c'est ma femme la fée, c'est elle qui m'a poussé !

    On crie au meurtre, à l'anarchie, c'est l'émeute escomptée !

    La plus grande confusion règne au pied du château :

    On y crie « Vive la république », « Montez les échafauds » !

     

    Une trentaine d'hommes du Lac du Rat Mort, déroutés,

    Rejoignent par l'arrière la foule déchainée.

    Celle ci, se croyant attaquée par la garde

    Se rue sur les nouveaux venus et en fait de la pâtée.

     

    C'est alors que l'épouse cruelle ouvre le pont levis,

    Pestant contre son amoureux bien trop bruyant.

    Les manifestants se jettent à l'intérieur d'un seul élan,

    Ecrasant au passage de leurs godillots la Fée ébahie,

    Qui reste momentanément sur le carreau.

     

    La garde du château s'en vient, c'est la mêlée générale,

    A laquelle s'invite bientôt la Reine, écumante de rage,

    Elle fait bientôt dans les rangs des insurgés un véritable carnage,

    Agitant en tous sens sa baguette aussi magique que létale.

     

    Valeureux mais raisonnables, les gaillards du CABIA se replient,

    Ils prennent prudemment la poudre d'escampette,

    Laissant seul et désemparé le pauvre Archie,

    Car le malheureux est coincé sous une vieille charrette.

     

    La Reine comprend vite que l'émeute est une querelle d'amoureux,

    Avec les Fées, la plus ravageuse des passions est toujours de mise.

    Pour éviter que pareille mésaventure ne se reproduise,

    Elle concocte un filtre d'amour pour sa fille et Archie le ténébreux.

     

    La Princesse, désormais d'Archie follement éprise,

    Dénonce à sa Mère sa vilaine Marraine,

    (Qui perdra la tête dans la semaine)

    Avant d'envahir le Lac du Rat Mort, pour leur faire une belle surprise.

     

    Comme il se doit après toute cette action,

    Marthe-Tchung et Archie, le ténébreux volant,

    Eurent beaucoup de beaux enfants

    (Tous filiformes, aux grands yeux et aux ailes transparentes)

    Pour lesquels ils perçurent beaucoup d'allocations.

     

    Et Archie plus jamais ne vomit son anguille du petit déjeuner.

     


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  • Camarades,

    J'ai reçu ce matin des nouvelles alarmantes de l'un de nos adhérents. C'est un camarade Dragon, Flaminou, membre de notre bien aimé CoFSAR, qui nous a transmis un courrier (légèrement mâchouillé) de notre camarade Archibald Dheuthéniss.

    L'heure est grave, notre camarade est spolié de tout ce qui constitue son statut d'allocataire : on l'a marié de force à une non-allocataire, et il a tout perdu.

    Non seulement "on" lui refuse le statut qui lui revient de droit, en dépit d'une reconnaissance écrite de son inaptitude au poste de Prince Consort, mais "on" refuse d'avance de lui verser les allocations Seigneuriales pour sa descendance et "on" supprime aussi les allocations de ses parents, qui ont encore dix-neuf enfants à charge !

    Nous allons bien entendu déposer un recours devant la Cour d'appel des allocataires, mais il faut le reconnaître, camarades, nous avons perdu les quatre cent cinquante sept derniers procès intentés devant la cour présidée par le Chambellan Pavitte. Mais nous ne pouvons pas rester les bras ballants devant une telle injustice.

    Ce soir, à partir de huit heures, tous devant le Pont Levis du château de l'Etang au Miroir. On va faire assez de bruit pour faire trembler les murs ! Pensez à amener quelques balles de paille pour avoir un peu de lumière. 

    Mobilisez-vous pour votre camarade, camarades !

                                                                                    Jean-Commode Damploix, Délégué Général du CABIA.


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  • Mon très cher Duc du Lac du Rat Mort,

     

    J'ai le plaisir de vous informer que notre plan se déroule à la perfection. Voici les dernières informations qui nous permettront de mettre notre plan à exécution :

    Ce soir, comme prévu, mon imbécile de filleule, la Princesse Marthe-Tchung Tapedur, va ouvrir la porte du pont levis du château de l'Etang du Miroir un peu après huit heures, croyant faire entrer dans la place le Prince des Vertes Collines. Vous devriez pouvoir vous emparer du château avec une trentaine d'hommes.

    Le Prince des Vertes Collines ne sera pas au rendez vous. Comme prévu, j'ai pu empoisonner les puits qui se trouvaient sur sa route. Lui et ses quarante hommes sont morts, ainsi que leurs chevaux. J'ai récupéré leurs effets. Une fois l'Etang du Miroir tombé, nous pourrons donc nous introduire dans la place forte des Vertes Collines et conquérir sans difficulté ce Duché.

    J'ai hâte de me trouver en votre compagnie sur le Trône réunifié des trois provinces, mon cher ami.

    A très bientôt, je confie de suite ce courrier au porteur.

    Votre bien aimée,

                                                                                                                   Cunégonde-Rategonde Tapedur


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  • Chère Marraine,

    Jusqu'ici, le plan se déroule à la perfection. Comme prévu, j'ai bien trouvé en bordure d'étang des allocataires en train de braconner. J'ai cependant du en noyer plusieurs avant d'en trouver un qui accepte le marché. Je l'ai aussitôt violé, mais je n'avais pas prévu que ça le rendrait malade. Le pauvre, il me fait un peu pitié quand même.

    Comme prévu, Maman est devenue dingue lorsque je lui ai ramené au château : j'ai bien cru qu'elle allait le dézinguer, mais j'ai réussi à le faire sortir de la salle d'audience avant qu'elle ne le bouffe. Le pauvre, il s'est évanoui, il a fallu que je le porte.

    Je lui ai mis deux gardes sur le dos pour éviter que Maman lui fasse passer l'arme à gauche, et j'ai demandé au Chambellan Pavitte de garder un oeil sur lui. Le Chambellan m'a dit que mon mari était très perturbé à cause de la perte de ses droits allocatifs. C'est vraiment rigolo ! J'ai fait verser à sa maisonnée une portion ridicule de la dot prévue pour les dégénérés du Lac du Rat Mort, qui devrait couvrir leurs frais pendant plus d'un an, mais mon époux a pris la nouvelle avec un air épouvanté, comme si j'avais assassiné toute sa famille. Décidément, j'y comprends rien à ces gens là.

    Au fait, il s'appelle Archibald Dheuthénisse. A part son obsession pour toucher les allocations, il n'a pas l'air trop bête. Il passe son temps à scribouiller toute la nuit en croyant que je ne le vois pas. Par contre je n'ai toujours pas compris pourquoi il jetait ses courriers par la fenêtre, elles tombent systématiquement dans les douves, où les dragons les mâchouillent. J'en ai récupéré une ou deux, mais elles étaient illisibles.  Sinon, il y a toujours une drôle d'odeur dans la chambre le matin, mais je suppose que les demi-hobbits dégagent quelque chose de particulier.

    Bien entendu, avec Maman c'est la guerre. J'ai ruiné ses plans d'alliance avec le Lac du Rat Mort, et elle se doute bien que j'ai quelque chose derrière la tête, mais tant que mon mari est en vie, elle l'a dans l'os. J'ai bien noté dans ton dernier courrier que mon amoureux, le Prince des Vertes Collines, serait là dans deux jours. J'ouvrirai la porte du pont levis pour lui et ses hommes quand tout le monde dormira, un peu après huit heures. Normalement, tout devrait bien se passer, sans effusion de sang. 

    Enfin, presque. Le pauvre Archie, je n'ai pas le coeur à le noyer, c'est trop pénible de le faire entrer dans la nasse. Je vais le pousser du haut de la fenêtre de notre chambre quand il jettera sa dernière lettre demain soir. Les dragons des douves n'ont pas souvent l'occasion de manger de la viande de Hobbit. C'est amusant, il tombera juste au pied de la porte du pont levis. J'espère qu'il ne fera pas trop de bruit en tombant.

    Dans ma prochaine lettre, je pourrai enfin t'annoncer que je suis la Reine de l'étang du Miroir. Tu pourras revenir d'exil, le Prince des Vertes Collines pourra partir à l'assaut du Lac du Rat Mort, et nous pourrons ainsi monter tous les deux sur le Trône réunifié des trois provinces, avec ma marraine adorée à mes côtés pour bien nous conseiller.

    A bientôt, chère Marraine,

    Ta nièce,

                                                Marthe-Tchung Tapedur, Princesse (plus pour longtemps) de l'Etang du Miroir.


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  • Si vous trouvez ce message, je vous supplie de le remettre toutes affaires cessantes au délégué Général du CABIA* de l'étang du Miroir. Ne surtout pas remettre à la Reine ou à sa fille.

     

    Monsieur le délégué Général,

     

    Vous ne me connaissez probablement pas, je me nomme Archibald Dheuthéniss, Archie pour les intimes. Je me suis marié ce week end et je vous écris à la lueur d'une bougie depuis la chambre nuptiale où ronfle mon horrible épouse. Je rédige cet appel au secours sur un petit secrétaire qui me permet à peine de faire tenir ces quelques feuillets, le bougeoir et un encrier. J'écris doucement, pour ne pas réveiller ma supposée moitié (qui fait le double de mon poids), et je tremble à l'idée de casser ma plume. Il ne manquerait plus que ça, je n'en ai qu'une.

    Je suis un simple demi-hobbit des Marécages qui résidait il y a encore peu avec sa famille sur le domaine de l'étang du Miroir. Ma femme est Marthe-Tchung Tapedur, la fille de Marthe-Ungh Tapedur, la Reine des fées de l'étang du Miroir.

    Voilà mon histoire :

    Je suis le dix neuvième enfant de Kurt et Rackette Dheuténiss, avant dernier de la fratrie maximale de vingt enfants bénéficiant des allocations Seigneuriales. Ma maman Rackette est la première fille d'une noble famille de Farfadets des Prés, déshéritée depuis ses épousailles avec mon Papa Kurt, un Hobbit des marécages qui a cessé toute activité depuis que la commission des inadaptés a reconnu son allergie aux nénuphars. Je n'ai que trente trois ans, et bien que majeur depuis trois ans, je vivais encore chez mes parents il y a quelques jours, en compagnie de trois de mes sœurs et de six de mes frères.

    La vie était belle alors, et je ne m'en rendais même pas compte. Comme toutes ces disputes pour la répartition équitable des allocations avec mes parents en ma qualité de délégué familial du CABIA me semblent aujourd'hui dénuées de sens !

    Car depuis lors, ma vie a pris une toute nouvelle tournure.

    Cela a commencé alors que je venais de claquer la porte de notre hutte, suite à un énième accrochage au sujet de la Redaloc*. Passablement énervé par la tournure des négociations avec Papa dont la ritournelle devenait vraiment lassante :

    « Tu n'auras rien, pas un fifrelin !  Tu veux des allocations ? Fonde une famille, fais toi reconnaître inapte, fais des enfants ! Tu crois que les allocations vont te tomber toutes cuites dans l'escarcelle ? Non jeune homme, il faut faire des efforts pour les obtenir ! ».

    Cette ritournelle commençais même à sérieusement m'indisposer, je décidais donc d'aller relever les collets et les nasses malgré l'heure matinale (il n'était même pas midi, et j'étais dehors !). Après tout, l'essentiel du fondement juridique des revendications du CABIA pour la Redaloc portait sur la participation des allocataires indirects aux tâches et corvées des cellules familiales...

    Je le reconnais bien volontiers, ma qualité d'allocataire m'interdisait normalement toute activité de chasse ou de pêche sur les terres Seigneuriales, mais comme vous le savez, nous luttons au CABIA contre cet abus de droit et nous prônons la désobéissance civile.

    J'étais donc tranquillement en train de relever mes nasses lorsque j'entendis un bruit derrière moi.

    Je me retournais avec la vivacité légendaire propre à mon espèce pour me retrouver nez à nez avec une des plus grosses Fées qu'il m'eut jamais été donné de voir. Elle devait bien faire un bon mètre de haut et plus de vingt kilos. Ses yeux immenses donnaient à son visage un air de bébé géant et ses ailes transparentes, pareilles à celles d'une mouche cauchemardesque, me donnèrent immédiatement la chair de poule mouillée.

    Je peux vous dire que lorsque vous avez un pareil monstre en face de vous, vous n'en menez pas large.

    «  - Tiens tiens, dit-elle avec un sourire sournois, ne serait-ce pas le délégué local du CABIA en train de braconner les poissons et les écrevisses de l'étang du Miroir ?

    • Ah mais non ! Pas du tout ! Je me promenais lorsque j'ai vu dépasser un fil de l'eau : je l'ai tiré et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir une nasse pleine de choses grouillantes à son extrémité ! tentais-je alors, désespérément.
    • Bien sur, bien sur, gloussa l'immonde créature. Il se trouve qu'en ma qualité de fille de Marthe-Ungh Tapdur, Reine de l'étang du Miroir, j'ai la responsabilité de faire appliquer la loi, le devoir de rendre justice, et la lourde tâche d’exécuter les délinquants. Tu connais la peine relative au braconnage, pour les allocataires ?

    • C'est la suppression d'un mois d'allocations, je crois... Tentais-je tout penaud.

    • Ah, non, il s'agit là de la peine annexe, destinée à mettre au pas la famille de l'allocataire. La véritable peine pour le contrevenant c'est la noyade, me dit-elle avec un grand sourire écoeurant, dévoilant une dentition d'une régularité et d'une blancheur dégoutantes.

    • Ah... Mais j'vous jure, Princesse, je ne braconnais pas ! Pitié ! »

    La Princesse s'approcha doucement de moi et je vis une lueur démoniaque briller dans son regard.

    «  - Il y aurait peut être une solution, dit-elle, toute mielleuse. Mais je ne suis pas persuadée qu'elle te satisfasse.

    • Dites toujours ? Lui demandais-je, le cœur plein d'espoir et les intestins liquéfiés.

    • Et bien... tu pourrais m'épouser ?

    • Quoi ? (A cette idée, je sentis l'anguille de mon petit déjeuner faire une tentative de sortie pour prendre l'air à l'extérieur.) Vous n'y pensez pas ?

    • En fait, si, dit-elle, un brin vexée. A bien y réfléchir, je te propose la noyade ou la bague au doigt. Décide toi, je n'ai pas toute la journée. »

    Bon, je dois admettre que mon hésitation a été un peu longue. J'étais déjà à l'intérieur de la nasse et Marthe-Tchung était sur le point de la mettre à l'eau pour me noyer lorsque je finis par capituler. Dix minutes plus tard, le mariage était consommé, non sans que je lui vomisse dessus à plusieurs reprises (à chaque fois que j'ai ouvert les yeux, en fait). J'eu beaucoup de mal à la convaincre que pour nous, les demi-hobbits, c'est une façon d'extérioriser notre émotion. Il va sans dire que je ne lui ai pas précisé de quelle émotion il s'agissait. Lorsque votre femme fait plus du double de votre taille, il est certaines choses qu'il vaut mieux escamoter.

    Une fois l'affaire terminée, mon épouse insista pour que nous nous rendions séance tenante au château pour informer sa mère de son union. Elle me prévint :

    «  - Il n'est pas impossible que la Reine pique une petite colère. Je devais épouser la semaine prochaine le fils du Duc du Lac du Rat Mort. Si tu la vois devenir toute rouge, prend garde à toi et place toi derrière moi, je te protégerai du plus gros, me dit elle une nouvelle fois avec son horrible sourire. »

    Et en effet, notre entrevue avec la Reine fut des plus orageuses. Je crois que lorsque mon épouse et moi quittâmes la salle d'audience il ne restait pas un seul meuble qui ne fut réduit en allumettes minuscules. Depuis, je vis dans les appartements Princiers et on ne me laisse en sortir (sous bonne garde) uniquement pour des motifs d'ordre physiologiques ou pour consulter le Chambellan de la Seigneurie.

     

    Si je tente de vous faire parvenir aujourd'hui cette missive, Monsieur le délégué général, ce n'est pas pour faire casser le mariage, je sais bien que c'est impossible. L'idée de ma future progéniture, filiforme, munie d'ailes diaphanes et d'yeux immenses m'empêche de dormir, certes, mais il est des sujets bien plus graves qu'il me faut vous confier :

    Tout d'abord, je viens d'apprendre que mon Papa allait recevoir un dixième de la dot promise au Duc du Lac du Rat Mort. C'est une catastrophe, cette somme va lui faire perdre son statut d'allocataire, car ce revenu inattendu va le faire sortir des critères d'attribution pour cette année fiscale, ce qui va l'obliger à rembourser les allocations perçues depuis le début de l'année, et l'empêcher d'en percevoir l'an prochain. Hors, l'an prochain il n'y aura pas de nouvelle dot (le Dieu des marécages m'en préserve !) et comme vous le savez, les dossiers sont extrêmement longs à monter, et le temps de retrouver son statut, ma famille a le temps de mourir de faim. Je vous demande donc d'intervenir auprès de la commission des allocataires pour prendre les mesures nécessaires à la mise en place d'une allocation de substitution pour ma famille dès que le montant de la dot de la Princesse aura été épuisé, soit dans exactement 14 versements.

    Ensuite, je suis victime d'une spoliation de mes droits sans précédent : j'ai en effet été reconnu inapte aux fonctions de prince Consort, la Reine m'ayant accordé ce statut sans que j'aie eu le temps de le lui demander. (Comme quoi sous ses dehors revêche elle a tout de même un cœur, même si elle a semblé assez surprise de mes remerciements enjoués). Toutefois, je suis victime d'un complot : figurez vous que le Chambellan de la Seigneurie, un certain Pavitte, m'assure que mon inaptitude ne me permet pas de bénéficier d'une allocation ! Cette profonde injustice va à l'encontre de toute la jurisprudence Seigneuriale, c'est du jamais vu ! Je compte sur vous pour faire valoir mon droit le plus élémentaire au statut d'allocataire.

    Enfin, mes enfants à naître sont eux aussi victimes d'une injustice sans précédent : selon le Chambellan Pavitte (encore lui !) ils ne pourront en aucun cas me faire bénéficier d'allocations Seigneuriales, et ce malgré mon absence totale de revenus ! Vous imaginez ? Les petits enfants de la Reine ! Je peux vous assurer que pour un fils d'allocataire comme moi, c'est la pire des humiliations : l'incapacité dans laquelle je me trouve à reproduire le mode de subsistance de mes parents est la pire des ignominies.

    J'entends cependant faire valoir mes droits, et c'est pourquoi je me tourne vers vous. Je suis bien trop proche physiquement de la Reine et de sa fille mon épouse pour déposer une réclamation officielle devant la cour d'appel des allocataires. Je vous demande donc de bien vouloir le faire en mon nom et pour le bien commun, si possible à un moment où la Reine et mon épouse seront en visite diplomatique dans une autre contrée. Bien entendu, je nierai toute implication dans la démarche, par mesure de sauvegarde personnelle.

    En parlant d'épouse, l'immonde chose aux ailes d'insecte qui se trouve dans mon lit est en train de gigoter. Il me faut conclure au plus vite cette missive et vider la cuvette de vomi avant son réveil. J'attends très vite de vos nouvelles, cher délégué Général. Je vais lancer ce courrier par la fenêtre en espérant qu'une bonne âme viendra vous le remettre très vite.

    Votre dévoué disciple,

                                                               Archibald Dheuthéniss, Prince Consort (inapte) de l'étang du Miroir.

     

    PS  : je suis à jour de cotisation pour toute l'année en cours, même si je ne suis plus aujourd'hui un bénéficiaire indirect vous me devez assistance jusqu'à la fin de l'année fiscale, conformément au paragraphe III alinéa C tiret 18 de notre charte du sociétaire. J'adhérerai bien entendu dès l'an prochain à l'UBASAD* ou peut être au CoFSAR*.

     

    *CABIA = Collectif Agressif des Bénéficiaires Indirects d'Allocations

    *Redaloc = négociation familiale imposée par les membres du CABIA à leurs parents au sujet de la Répartition équitable des allocations des enfants ayant quitté la hutte familiale sans le déclarer à l'administration Seigneuriale. Il s'agit d'une négociation qui se termine en général par une lettre anonyme à l'administration lorsque les enfants membres du CABIA n'obtiennent pas satisfaction. Les fausses déclarations à l'administration Seigneuriale sont punies d'une peine de pendaison.

    *UBASAD = Union des Bénéficiaires d'Allocations Sans Activité Déclarée.

    *CoFSAR = Collectif des Fonctionnaires Sans Activité Réelle.

    (Toutes les notes sont du traducteur)


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  • Surgis de la brume matinale au sommet de la colline,

    Les Kobolds glissent à pas de loup vers le village.

    Le raid est bien préparé, car dans la bourgade d'Esséfère

    Il n'y a nul guetteur, nul veilleur, nul gardiennage,

    Hormis un chien galeux réduit au silence par Lapys Durine :

    Le chef du raid le bâillonne avec une chaussette hors d'âge.

     

    Les Kobolds se lèchent les babines et passent à l'attaque :

    Ils terrorisent les dormeurs, puis les assassinent,

    A la hache, à la lancette, au gourdin ou à la matraque,

    A la masse, à l'arbalette, au glaive ou à la javeline.

    Ils prennent bien soin d'écraser les têtes de ces macaques,

    Qu'aucun ne se relève, que tous périssent, direction l'Enfer,

    Vol direct dans le calme, l'ordre et la discipline.

     

    Quand tout le monde est bien mort, ils brulent Esséfère,

    Réduisant le village en cendres, poussières et débris.

     

     Après avoir offert une tournée générale à la taverne,

     Il me faut acquitter le solde pour finaliser l'affaire,

    Encore cinq pièces d'or aux Kobolds, dont trois Louis.

    Puis je reprends enfin soulagé le chemin de ma caverne.

     

    La prochaine fois la hot line ne répondra toujours pas,

    Mais au moins je saurai pourquoi.


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  • Il était une fois l'ancien village de Morbleu, dans le comté d'Entremont, dans le Royaume de Brie.

    Ancien village, car il avait été évacué depuis fort longtemps. Le village était situé au pied d'une falaise, et un énorme rocher était sur le point de s'en détacher pour écrabouiller le village comme une crêpe au poisson pané.

    D'après les experts, le choc était imminent. Depuis seize longues années...

     

    Sur l'injonction des autorités, tous les villageois avaient donc à l'époque quitté leur foyer, l'âme en peine. Le Roi Khominutt, soucieux du maintien de sa côte de popularité au dessus des 50 %, exigea que le Comte d'Entremont reconstruise à l'identique un village dans un endroit sans danger pour ses habitants. Ce qui fut fait dans un temps record : le nouveau village, situé à quatre lieues de Morbleu, fut baptisé Vivebleu par l'évêque Toussayaplu-Karentré. Qui la chose faite, rentra aussitôt chez lui, loin des montagnes qui risquaient de lui tomber sur le bout du museau à tout bout de champ.

    Seule une vieille villageoise refusa obstinément de quitter Morbleu. La veuve Pilchard (née Dassault) avait assez répété à qui voulait l'entendre que « Jamais je ne quitterai mon village, Mordiou ! » et le fameux « j'y suis, j'y reste » attribué à tort à un autre personnage historique.

    La veuve Pilchard était une vieille femme au moment de l'évacuation, et ni sa famille, ni le Maire, ni le Bourgmestre, ni le Comte, ni même l'envoyé du Roi ne parvinrent à la convaincre d'abandonner le Village de Morbleu. Les experts étaient formels : le caillou pouvait basculer d'un moment à l'autre. La veuve Pilchard était formelle : elle resterait là.

     

    Seize longues années plus tard, la veuve Pilchard vivait toujours dans sa modeste bicoque à l’aplomb de la falaise. Elle cultivait encore un beau jardin, cueillait les fruits sur tous les arbres fruitiers du village, élevait des poules, des canards, des lapins et fabriquait son fromage avec ses quelques chèvres.

    Sa famille n'était jamais revenue la voir. Son seul fils disait toujours : « Pour sûr, si on y va aujourd'hui, le Rocher va tomber, c'est sûr! ». Une ou deux fois par an, la veuve Pilchard venait cependant rendre visite à sa famille à Vivebleu, et repartait le lendemain reprendre son quotidien à Morbleu. A chaque fois, sa famille essayait de la convaincre de rester vivre avec eux : en vain.

    La benjamine de la famille, Magda, avait dans sa prime jeunesse ressenti de la peur et de l'aversion à la vue de sa grand mère. Cette très vieille dame, vêtue de haillons, aux dents rares et au regard perçant n'était pas très engageante. Elle parlait très peu. Elle arrivait toujours à la maison de son fils de bon matin, avec des légumes, des oeufs, des confitures, du fromage de chèvre et parfois un lapin. Une fois le déjeuner terminé, elle repartait sans avoir prononcé plus de quatre ou cinq phrases. 

    Pourtant, au fil des visites de sa grand mère, Magda finit par éprouver de l'admiration pour sa combativité, son courage et son abnégation. Son coeur était lourd à chaque fois qu'elle voyait repartir sa grand mère à Morbleu, seule et démunie.

     

    Par un très froid lendemain de Noël, quelle ne fut pas la surprise des parents de Magda lorsqu'ils trouvèrent sur la table de la maisonnée un mot signé de leur fille qui disait :

    « Mes chers parents, ne vous inquiétez pas, je rejoins Grand Mère à Morbleu pour lui donner un petit coup de main pendant quelques jours. J'ai vu hier qu'elle avait beaucoup de mal à se baisser, elle a besoin d'aide pour couper son bois, je vais lui faire une petite réserve. Je suis assez grande pour faire le trajet de retour toute seule, j'ai douze ans. Je reviendrai avec un fromage de Chèvre et quelques oeufs. Magda »

    Ses parents en furent sidérés. Le père dit : « C'est fini, nous ne la reverrons jamais. Pour sûr, le rocher va tomber aujourd'hui ou demain. Quel malheur ! ».

     

    Lorsque Magda revint trois jours plus tard avec son fromage de chèvre, deux douzaine d'oeufs et un petit lapin, le rocher était effectivement tombé. Un bloc de roche gigantesque, incluant le fameux rocher, s'était détaché silencieusement de la falaise, mais pas du côté prévu par les experts. Il avait glissé de l'autre côté, puis dévalé la pente sur quatre lieues pour finir sa course en plein sur le village de Vivebleu. Il l'avait écrasé comme une crêpe au poisson pané.

    Il n'y eut aucun survivant. Vraiment aucun. Le roi Khominutt, qui est un peu soupe au lait, fut pris d'une violente colère lorsqu'il apprit la nouvelle. Il fit exécuter sur le champ tous ses experts et un peu plus tard le Comte d'Entremont, dont les justifications sur la localisation "sans risques" du nouveau village étaient trop pleines de trous pour être convaincantes.

     

    Aux dernière nouvelles, Magda vit toujours avec sa grand mère à Morbleu. On ignore si il y a encore un risque pour qu'un morceau de rocher se détache et écrase le village abandonné. 

    Aucun expert ne veut plus s'y rendre.

     


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  • Abandonné en plein hiver au pied d'une Eglise,

    Gilbert Levert connut des débuts difficiles.

    Il n'était pourtant pas au bout de ses surprises,

    Car si la vie n'est pas tous les jours facile,

    Celle d'un Gobelin orphelin est une longue crise.

     

    Déjà tout petit à l'assistance, les nourrices l'ignorèrent.

    Plus tard à l'internat, les Ogres et les Trolls le terrorisèrent,

    Lui volant ses rares bonbons, et ses encore plus rares caleçons,

    Que de toute manière ils s'amusaient sinon à remplir de glaçons.

    Au lycée, les professeurs refusèrent de répondre à ses questions.

    A l'Armée, il fut affecté à toutes les corvées réglementaires,

    Des fosses d'aisance au limage des durillons du chef de bataillon.

    Revenu à la vie civile, les filles de l'embrasser refusèrent.

    Les employeurs potentiels de l'embaucher dédaignèrent,

    Sauf les services de la ville, pour l'entretien des sanitaires.

     

    Un jour, alors qu'il grattait des pissotières à la petite cuillère,

    Un carrosse de très belle facture s’arrêta au bon endroit.

    En sortit un Prince-marchand Gobelin, la vessie en montgolfière,

    Dont la tâche impossible consistait à retrouver un enfant-roi,

    Egaré une vingtaine d'années plut tôt par une Princesse étourdie,

    Une bigote s'arrêtant dans chaque Eglise pour une prière.

    Le Prince-marchand poussa un énorme soupir de soulagement,

    Il mettait fin à sa quête infernale... en vidant enfin sa vessie.

     

    Heureux, il donna un très bon pourboire au gratteur de pissotières,

    Puis repartit en demandant au cocher de conduire sagement,

    Direction « chez Michard », pour s'y faire péter la sous-ventrière.

     

    Gilbert Levert au naturel

     


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  • De tous temps, les Trolls ont toujours été honnis.

    Combattants craints de tous, quasi imbattables,

    Pour s'en débarrasser, il faut les prendre au nid,

    Les tuer au fond du lit et passer à table.

     

    Car le Troll aux truffes est un mets délicieux,

    Mais bien rares sont les chasseurs à l'avoir gouté :

    Le Troll surpris dans son lit est plutôt facétieux,

    Surtout lorsqu'il dort avec son gourdin clouté.

     

    Pourtant le Troll n'est pas d'un naturel méchant,

    Avant tout desservi par sa réputation,

    Son haleine, ses crocs, son physique peu alléchant,

    Il angoisse son prochain sans passer à l'action.

     

    Mais après des siècles et des siècles de chasse,

    Même les agneaux les plus accommodants se fâchent.

    Une fois en colère, debout sur leurs grandes échasses

    Ils ne s'arrêtent que lorsque les têtes se détachent.

     

    Voilà tout le problème des actions préventives :

    Pour se protéger d'un mal bien hypothétique,

    On prête volontiers une oreille attentive

    A tous les auteurs de mises en garde hystériques.

     

    La prochaine fois qu'un Troll vous demandera l'heure,

    Faites lui un sourire, donnez lui votre montre,

    C'est un peuple opprimé qui connait bien la peur :

    N'attendez pas bêtement qu'il vous le démontre.

     

    De la réputation des Trolls

     


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  • Si l'on m'étreint à grande vitesse

    J'en garde souvent un souvenir distrait :

    Le voyage procure bien moins d'ivresse

    Que le pas lent du cheval de trait.

    (Surtout si t'es givré)

     


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  • Nous devions aujourd'hui vous narrer un conte formidable. Une histoire d'enlèvement de jeune Princesse par un terrible Dragon, suivie de son sauvetage par un preux Chevalier. Ce conte avait un très gros potentiel, il était déjà presque certain de remporter le Grand Prix du Conte de Brie comte Robert. La fin du récit était formidable : après moultes péripéties l'aventure se serait terminée sur une note positive et émouvante: « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants ».

    Oui, mais voilà, nous ne pourrons pas vous faire ce cadeau. Le Dragon kidnappeur est mort ce matin, et nous n'avons personne pour le remplacer à patte levée.

    Au lieu de se faire enlever au beau milieu du marché aux mille fleurs de Nogent le Rotrou, la Princesse Shakirira, Billontsé de son doux prénom, ne connaitra pas les affres de l'enlèvement. Après avoir dépensé la solde de la garde du château en pâquerettes et en tulipes, elle pourra donc se rendre comme prévu au concert du jeune chanteur à mèche Justin Trimargarine. Il faut simplement espérer qu'elle ne jettera pas sa petite culotte sur la scène, comme ce fut le cas lors du dernier concert de Patrick Cruel (un saltimbanque peu scrupuleux qui s'empressa de revendre le petit morceau de soie aux enchères sur le marché aux souvenirs de la baie d'Y).

    Au lieu de faire valoir ses qualités athlétiques, son courage et sa prestance, le Chevalier Lechevalier, de son prénom Poulain, passera sa journée dans une taverne, à jouer aux dès et aux petits chevaux dans une ambiance de veillée funèbre.

    La nature ayant horreur du vide, le Chevalier Poulain Lechevalier et la Princesse Billontsé Shakirira finiront par se rencontrer. Mais au lieu de le faire au sommet d'une tour immense, dans un territoire inconnu, au milieu des jets de flammes et d'urine d'un dragon gigantesque, ils se rencontreront lors du bal des débutantes donné au château. Leur histoire aura beaucoup de mal à passionner les foules, et leur aventure commune se limitant à quelques tours de piste maladroits (au lieu d'exploits formidables et d'épreuves terrifiantes), leurs liens ne seront pas très solides. Quelques mois après leur mariage Billontsé finira par s'enfuir avec Justin Trimargarine à l'occasion d'une de ses nouvelles tournées dans le Royaume. Mais ceci est une autre histoire.

     

    Tout cela à cause de l'affreux assassinat d'un jeune Dragon gourmand. Nous n'allons pas en dire trop de mal, car après tout il est mort ce matin, et il faut attendre au moins quelques jours avant de dire du mal des morts, surtout ceux dotés d'une famille de Dragons. Mais c'était tout de même un sacré gourmand.

    Sa maman pourtant, l'avait bien prévenu :

    • Flaminou, tu n'as pas oublié que tu avais un contrat ce matin ? Tu as un enlèvement sur le marché aux mille fleurs de Nogent le Rotrou, Royaume du Hareineby, à 11 heures ! Si tu arrives encore en retard, ton père va te roussir les ailerons !

    • Oui, moman, ne t'inquiète pas, j'y serais, j'ai juste un petit creux à boucher avant.

    • On les connait tes petits creux ! N’exagère pas, sinon tu ne va pas pouvoir t'envoler !

    • Mais non, mais non, je vais juste manger une paire de gnomes, c'est tout.

       

    Et telle était bien son intention. Quelques gnomes pour la route, puis direction Nogent le Rotrou, vol direct sans escales, enlèvement de Princesse, puis vol retour direction la grande Tour. Et après ça hop ! Deux ou trois mois de farniente au bord de l'eau à attendre le Chevalier Poulain Lechevalier. Flaminou espérait que cette Princesse serait moins pénible que la précédente. Il se méfiait des Princesses de ce Royaume du Hareinby. Son dernier contrat, la Princesse Riannaciré Shakirira, avait été un calvaire permanent. Persuadée d'avoir un don pour le chant, elle avait chanté des gammes pendant plus de six mois au sommet de la tour, son Chevalier s'étant perdu en route à maintes reprises (on le comprend, il n'était pas particulièrement pressé de faire le deuil de ses tympans).

    Mais Flaminou, en bon Dragon obéissant, avait bien l'intention de remplir la mission assignée par Boutefeu, son père, à condition de ne pas travailler le ventre vide. Les cinq dauphins de la veille l'avaient calé, mais cette nourriture spongieuse manquait de consistance. Rien ne vaut le gnome de roche pour sustenter un Dragon avant un vol longue distance.

    Flaminou s'approcha donc subrepticement du territoire des gnomes. Il faut savoir que les gnomes sont les pires saletés qui soient. Ils sont souvent décrits de façon très positive dans les livres, mais ce n'est qu'une supercherie liée à leur omnipotence dans le monde de l'édition. Les gnomes exercent en effet une censure sans merci envers tous les livres les présentant sous un jour défavorable, et encouragent les auteurs à les dépeindre sous les traits de joyeux drilles bienfaisants. Alors que chacun sait qu'il s'agit de petits monstres difformes, sournois et méchants. Mais tout à fait comestibles.

    D'ailleurs, la chair de gnome rôtie était comme une drogue pour Flaminou. Il adorait en particulier briser leurs os de sa mâchoire puissante pour en aspirer la succulente moelle. Il aurait passé sa vie à la chasse aux gnomes si son père ne lui avait pas ordonné à intervalles réguliers d'accomplir des missions d'enlèvement dénuées d'intérêt (enlever la princesse, la supporter, attendre le Chevalier, faire semblant de mourir dans un combat bidon, enlever la princesse, etc.).

    C'est au cours de cette dernière chasse que Flaminou cracha ses dernières flammes, mangea ses derniers gnomes. Alors qu'il avait mis la patte sur un second terrier de gnomes (le premier n'ayant recelé que des gnomes de fort petite taille) et qu'il s’apprêtait à les enfumer pour les faire bondir de leur trou, un gnome particulièrement détestable dynamita la montagne qui surplombait le terrier. Flaminou n'eut pas le temps de souffrir, un pan de montagne lui dégringola sur l'échine et il périt écrasé comme une crêpe au fromage.

    Sa famille a eu la délicatesse de nous prévenir par pigeon voyageur de l'incapacité de Flaminou à remplir sa part de contrat. La famille a ajouté qu'elle n'était malheureusement pas en mesure de le remplacer, Boutefeu étant sur une autre affaire d'enlèvement et Madame Boutefeu devant poursuivre la préparation du repas de la convention annuelle des Dragons. La soupe de gnomes aux ailerons de dauphins est un plat nécessitant une surveillance de tous les instants, c'est vrai. En post scriptum sur le message du pigeon (auquel il manquait une patte), la famille Boutefeu précisait que les arrhes ne sauraient être remboursées dans ce cas de figure précis.

     

    On se tue à vous expliquer que les gnomes sont de sales petites ordures, vous nous croyez maintenant ? Grâce à leur méchanceté conjuguée à la gourmandise d'un jeune dragon, vous voilà privés de conte, la princesse Billontsé Shakirira va se barrer avec un chanteur à mèche et le Chevalier Poulain Lechevalier est condamné à jouer aux petits chevaux dans une taverne minable jusqu'à la fin de ses jours.

    Il y a des journées comme ça, où l'on ferait mieux de rester couché.

     

     


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  • Les plus profondes blessures

    Ne laissent pas de cicatrices.

    Ce sont pourtant celles qui durent

    Et nous plongent dans les pires précipices.

    Nos amis les Trolls nous aident à les panser,

    Il nous soutiennent, nous rassurent,

    Font fuir les fantômes tristes

    Auxquels nous ne voulons pas penser.

     

    Il leur suffit de prendre un air méchant,

    Une posture angoissante de prédateur,

    Un regard vague de tueur d'enfants,

    De se munir d'une dague ou d'un sécateur,

    Puis de se jeter sur nous avec un cri terrifiant.

     

    Alors on ne pense plus à rien,

    Hormis à fuir à grandes enjambées

    à travers les bois et les clairières.

    On se jette dans un fourré à la nuit tombée,

    Le temps d'un doux câlin avec quelques batraciens,

    Avant de repartir le ventre bombé

    de nénuphars, d'orties et de vers de terre,

    Véritable repas végétal-rien.

     

    C'est un fait avéré :

    Avec un Troll au derrière

    On oublie bien vite ses petites misères.

    Mais certains préfèrent ruminer,

    Et dans leurs petits malheurs se complaire.


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  • Il faisait nuit, c'était le soir,

    Un de perdu, un de sauvé.

    Aucun répit, aucun espoir,

    Un de mordu, un d'amputé.

     

    Chansons d'amour, chansons à boire,

    À coups de griffes, à coups de dents,

    Empalés sur une chaise, éventrés sur le comptoir,

    Les boyaux des uns dehors, ceux des autres dedans,

    Loups Garous, Dragons, Gobelins, Bêtes du Gévaudan

    Chantaient leurs chagrins et leurs déboires. 

    De paires de gifles en coups de boule,

    Orcs et Trolls, Vampires au teint blafard,

    Les uns débiles, les autres mabouls,

    S'étripaient dans la fureur des samedis soirs.

     

    C'était le matin, il faisait jour,

    Un de foutu, un d'abimé,

    Un de tordu, un de clamsé,

    Un refroidi pour les clébards.

    Morsure fatale ? Attends ton tour.

     

    Au milieu des fous et des imbéciles,

    Il n'était pas tous les jours facile,

    Cet horrible boulot de barbier de bar.


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  • Il était une fois les deux sœurs de la tour noire, la plus grande des tours noires du royaume de l’Obscurité, dans le pays de la Nuit Profonde. Nul ne pouvait dire la hauteur de la tour, car personne n’avait d’instrument assez grand pour la mesurer. Il fallait trois jours et trois nuits pour grimper les escaliers du rez-de-chaussée jusqu’au toit et pour descendre certains préféraient parfois se jeter dans le vide au lieu de reprendre les escaliers. (Par les escaliers : 3 jours et 3 nuits. En sautant dans le vide : 3 minutes et 3 secondes. Comme disait Jean Luc Delarue : ça ce discute).

    La tour noire était habitée par deux sœurs : Malingra et Malingrette. Elles étaient exactement pareilles, comme des jumelles, mis à part que Malingra avait les cheveux noirs et des yeux verts alors que Malingrette avait les cheveux verts et des yeux noirs. Personne ne connaissait leur âge, car elles avaient décidé d’arrêter de vieillir le jour de leur 25èmeanniversaire. Mais la jeunesse ne vaut pas beauté : laides elles étaient à 25 ans, laides elles restaient à 25 ans. La chirurgie esthétique n’existait pas encore.

    Malingra et Malingrette habitaient toutes les deux au 748èmeétage de la tour, dans un petit 400 mètres carrés très coquet. Elles avaient chacune un chat qui s’appelaient respectivement Goutte et Flotte. Ils se ressemblaient comme deux gouttes d’eau, mis à part que Goutte était entièrement noir avec les pattes blanches et Flotte entièrement blanc avec les pattes noires. Goutte était le chat de Malingra et Flotte le chat de Malingrette, à moins que ce ne soit l’inverse, on n’a jamais bien su.

     

    Chaque jour, le boulanger déposait du pain, le boucher de la viande et le maraîcher une salade et d'autres légumes dans un panier au pied de la tour, que les deux sœurs remontaient avec une corde reliée à une poulie jusqu’à leur étage.

    Avant la mise en place de ce système, le boulanger, le boucher et le maraîcher mettaient 6 jours pour apporter les marchandises au 748èmeétage (compte tenu de la réglementation du travail, ils étaient obligés de faire des pauses de 12 heures toutes les 12 heures), et à chaque fois qu’ils arrivaient chez Malingra et Malingrette le pain était rassis, la viande pourrie et la salade fanée. En plus les escaliers étaient encombrés de boulangers, de bouchers et de maraîchers morts de faim et de soif, car nombreux étaient ceux qui oubliaient de prendre un casse croûte pour cette longue ascension et Malingra et Malingrette n’étaient pas du genre à payer un coup au livreur. Il y a avait souvent des bagarres dans les escaliers, car ils étaient très étroits et on ne pouvait pas s'y croiser, ça finissait donc souvent très mal. Mais ce n’était pas trop grave, car les deux fantômes du grand escalier Gédéon et Marcel étaient bien contents d’avoir de nouveaux amis. Il leur arrivait même de faire peur aux artisans pour qu’ils tombent dans les escaliers. Ne demandez pas de description de Gédéon : personne ne pouvait le regarder en face, il était trop monstrueux. Pour Marcel, qui était exactement comme Gédéon, mais en regardable, et bien, comment dire, il était horrible. Imaginez une tarte aux pommes tombée par terre que l’on remet dans le plat : et bien voilà, c’était à peu près ça, Marcel.

     

    Le matin à 8h, tout le monde se gardait bien de passer à l’aplomb de la tour noire, car c’était à cette heure que les deux sœurs vidaient leurs pots de chambre. L’une le vidait du côté nord, l’autre du côté sud. Deux fermiers récupéraient tous les mois les crottes pour faire de l’engrais. Ils s’appelaient Pue la Bouse et Jojo la morue. Ils étaient tous les deux très laids, très sales et se ressemblaient comme des frères, sauf que Pue la Bouse était manchot de la main droite et borgne de l’œil gauche alors que Jojo la morue était manchot de la main gauche et borgne de l’œil droit. Ils n’avaient pas beaucoup de succès avec les filles et à chaque fois qu’ils essayaient de faire un clin d’œil ils ne voyaient plus rien et ils se cognaient la tête, car ils clignaient des deux yeux en même temps. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils étaient manchots : une fois ils s’étaient cogné la tête si fort avec un doigt dans le nez que le Docteur Le Glaviot avait été obligé de leur couper la main pour leur retirer les doigts du nez. Avec le recul, le Docteur pensait avoir fait une petite erreur, mais il ne l’avait jamais dit et les deux affreux Jojo la morue et Pue la bouse ne s’étaient jamais doutés de rien. Il faut dire qu’ils n’étaient pas très malins. C'est d'ailleurs pour ça qu'ils étaient borgnes. La première fois qu'il essayèrent de se mettre un doigt dans le nez après avoir perdu la main et les doigts préalablement affectés à cet usage, ils se mirent tous deux le doigt dans l'oeil si fort qu'ils le crevèrent. C'est ce qui arrive lorsque on utilise un doigt dont on a pas l'habitude, des fois on loupe sa cible. Depuis, Pue la Bouse et Jojo la Morue ne se mettent plus les doigts dans le nez. Ceci explique pourquoi ils ont souvent un peu de morve dans la moustache. Et pourquoi ils ne plaisent pas beaucoup aux filles.

     

    La légende de la tour noire, avec tous ces protagonistes, raconte comment Jojo la Morue et Pue la bouse épousèrent Malingra et Malingrette. Ils furent aidés en cela par Flotte et Goutte malgré une résistance acharnée de Gédéon et Marcel. Le Docteur le Glaviot était aussi le Maire, c’est pourquoi il fait parti de l’histoire.

    C'est une histoire très longue et très compliquée. Malheureusement, personne ne s'en souvient.

     


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  • J'aime les tourterelles, leur œil vide,

    Leur port altier de vieille rombière,

    Cette démarche dandinante et avide

    Qui amuse beaucoup dans les colombières.

     

    J'avoue, j'en mange cinq par jour :

    Deux au réveil, deux au souper

    Et je commettrais un parjure

    Si j'oubliais celle du goûter.

     

    Leurs petits os délicats

    Croquent sous la dent,

    Leurs tendres et roses chairs

    Explosent sous mes serres,

    Je pourrais faire un bel encas

    D'une seule goutte de leur sang.

     

    Je suis tourterelle-addict,

    Je le confesse volontiers,

    J'accepterai votre verdict

    Si vous voulez me châtier.

     

    Mais voyez vous,

    Les faucons sont de vrais tueurs,

    Et nul châtiment ne fera de nous

    De simples et modestes laboureurs,

    Amoureux du seigle et de la houe,

    Crottés de boue et dégoulinants de sueur.


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  • La nuit où j'ai perdu ma bite.

    (une histoire affreuse relatant la nuit où j'ai bêtement perdu mon droit d'appontage à Bourg la Reine)

    La nuit où j'ai perdu mon couteau.

    (une histoire affreuse relatant la nuit où j'ai égaré mon couteau au moment où j'étais sur le point de faire mon troisième sandwich au pâté)

    La nuit où j'ai perdu la tête.

    (une histoire affreuse relatant la nuit où j'ai perdu ma bite et mon couteau)


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  • Il était une fois un prince, très moche, très bête, méchant, mais immensément riche qui voulait épouser une princesse, mais une vraie princesse, genre Stéphanie de Monaco, pas un truc au rabais. Parce qu'il en avait les moyens, il voulait toujours le modèle le plus cher. Il fit le tour de la terre pour en trouver une mais il y avait toujours quelque chose qui clochait ; des princesses, il n'en manquait pas, mais étaient-elles de vraies princesses ? C'était difficile à apprécier, toujours une chose ou l'autre ne lui semblait pas parfaite. Certaines avaient un œil plus gros que l'autre, d'autres les cheveux secs, et certaines n'avaient même pas le port altier. D'autres discutaient avec leurs serviteurs, et certaines riaient en public. On vivait décidément une drôle d'époque.
    Il rentra chez lui tout triste, bredouille et en colère, il aurait tant voulu avoir une véritable princesse à sa disposition pour parader dans les diners royaux. Le Prince se mit à bouder dans son palais.
    Un soir par un temps affreux, éclairs et tonnerre, cascades de pluie que c'en était effrayant, on frappa à la porte de la ville et le vieux roi lui-même alla ouvrir.
    C'était une princesse qui était là, dehors. Elle se nommait Paricille Tonne. Mais grands dieux ! de quoi avait-elle l'air dans cette pluie, par ce temps ! L'eau coulait de ses cheveux et de ses vêtements, entrait par la pointe de ses chaussures et ressortait toute noire par les talons... et elle prétendait être une véritable princesse ! Même son petit rat (on apprit par la suite qu'il s'agissait d'un chien) était dans un état lamentable (on se rendit compte par la suite que c'était son état normal).
    Le vieux roi la conduisit immédiatement vers l'aile VIP du château et lui confia une douzaine de domestiques. La supposée Princesse lui fit remarquer d'un ton princier que c'était la première fois qu'on lui confiait aussi peu de personnel, avec une moue de dégout des plus expressive.
    Une fois séchée, ripolinée et revêtue de ses plus beaux atours, six heures plus tard, elle vint rencontrer le Prince. Celui ci reconnu immédiatement en elle le style convenable d'une princesse. Ses vêtements étaient de toute évidence aussi chers qu'ils étaient courts et brillants, son attitude hautaine correspondait tout à fait à celle d'une personne de noble lignage. La façon qu'elle avait de parler aux gens, sans les regarder ni répondre à leurs questions, avec une petite moue d'ennui, les paupières affaissées, faisait battre le cœur du Prince. Cette princesse est faite pour moi, pensait il, elle a la bonne attitude, et son chirurgien est un véritable artiste.
    De prime abord, l'intérêt de la princesse ne fut pas réciproque. Pour dire la vérité, elle fut à deux doigts de rendre son déjeuner lorsqu'il lui fit entrevoir l'intérieur de sa bouche dans ce qu'il faut se résoudre à nommer un sourire. Puis par un pur hasard, les sentiments de Paricille changèrent du tout au tout une fois qu'elle eut visité la salle du Trésor. Une alchimie merveilleuse digne d'un conte de fées se fit alors jour, l'amour véritable avait encore frappé.
    La Reine voyait bien de quel air son fils le Prince regardait la nouvelle (par) venue :

    - Nous allons bien voir çà, pensait la vieille reine, mais elle ne dit rien. Elle alla dans la chambre à coucher de Paricille Tonne, retira toute la literie et mit un petit pois au fond du lit. Puis elle se ravisa, se disant que le Prince devenait vraiment pénible ces temps ci, et le coup du petit pois n'ayant jamais fonctionné, elle mit également un moule à gaufre, un toaster, un pneu de camion usagé et une bicyclette ; elle prit ensuite vingt matelas qu'elle empila sur le petit pois et les autres objets et, par-dessus, elle mit encore vingt édredons en plumes d'eider, de corbeau et de poule (car c'est la crise pour tout le monde). C'est là-dessus que la princesse devait coucher cette nuit-là. Un peu plus tard, la Reine revint et retira 15 matelas et 10 édredons, pour maximiser ses chances de délivrance. (Un prince célibataire de 35 ans c'est très pénible, vous pouvez pas imaginer.)
    La princesse, qui avait bien compris qu'elle était soumise à un test, et très intéressée par les appâts du prince (qui était finalement plein de charme), se demandait quelle serait la nature de l'épreuve de qualification pour la finale, et où se trouvaient les autres concurrentes de cette télé réalité. Mais peu importait, elle était sure de remporter la victoire.
    Elle en était là de ses réflexions, presque arrivée à hauteur du dernier édredon, sur l'échelle qui la menait en haut du lit, lorsqu'elle se ravisa et redescendit. Il n'était que 23h00, elle n'allait tout de même pas se coucher avec les poules. Elle prit trois petits bonbons bleus et chercha du divertissement.
    Elle se rendit donc au club « Virgin's Kingdom Castle », but 66 téquilas frappées, dansa toute la nuit, fit l'amour à quelques jeunes mannequins qui passaient par hasard dans les salons VIP et sur la route du retour à un cheval de trait, ou à un parcmètre à pièces, elle ne parvint jamais à s'en souvenir précisément. Elle finit par rentrer au château à l'aube, l’œil hagard, dans un état indescriptible, aussi appétissante qu'un mérou écrasé par un tracteur.
    Au petit déjeuner, qu'elle repoussa d'abord à 11 heures pour venir le prendre finalement à 14h30, on lui demanda comment elle avait dormi. Vu sa tête, la réponse était évidente, mais elle daigna tout de même répondre, alors qu'elle avait trouvé le lit très confortable :

    - Affreusement mal, répondit-elle, je n'ai presque pas fermé l’œil de la nuit. Dieu sait ce qu'il y avait dans ce lit. J'étais couché sur quelque chose de si dur que j'en ai des bleus et des noirs sur tout le corps ! C'est terrible !
    Alors ils reconnurent que c'était une vraie princesse puisque, à travers les vingt matelas et les vingt édredons en plumes d'eider (et de corbeau et de poule), elle avait senti le petit pois et les autres objets. Une peau aussi sensible ne pouvait être que celle d'une authentique princesse. La Reine, riant sous cape de son stratagème, déchanta par la suite.
    (Vous pouvez la trouver à l'hospice de Beaune où elle acceptera de vous raconter toute l'histoire contre une verveine-rhum)
    Le prince la prit donc pour femme, sûr maintenant d'avoir une vraie princesse, et le petit pois fut exposé dans la salle du trésor, où on peut encore le voir, car il s'agit de la seule chose que la princesse y ait laissé après qu'elle eut épuisé toutes les autres ressources du prince, qui étaient d'ailleurs des plus modestes.
    Et ceci est une vraie histoire.
     
     

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  •  

    Egarés, perdus dans la brousse,

    Les Gobelins filent dans le brouillard.

    Ils ne sont pas en retard

    A leur rendez vous avec une Fée rousse

    (Toujours féroces en matière de rencards),

    Mais sont pris d'une sacrée frousse,

    et décanillent comme des trouillards

    Car les affreux Orcs sont à leurs trousses.

     

    Ils ne veulent pas finir en soupe,

    En compagnie des croutons et du gruyère,

    Ils courent de peur qu'on les découpe,

    Vociférant de vaines prières,

    Volant à la vitesse des soucoupes

    A travers les lianes et les fougères.

     

    Après une longue course,

    Ayant semé leurs ennemis héréditaires,

    Ils atteignent une jolie source.

    Pensant être sortis d'affaire,

    Ils baissent leur garde, se mettent à boire,

    Et aussitôt tombent sous les griffes des Panthères,

    Car c'est là leur territoire.

     

    Les Orcs, hilares, atteignent les lieux du carnage,

    Et partagent leurs proies avec les félins.

    Aux uns les têtes aux autres les oesophages.

    Pour tous c'est un vrai festin,

    La table des esthètes, le Paradis des nécrophages.

     

    Tout cela est possible grâce aux Lutins :

    Sous leur haut patronage

    Orcs et Panthères collaborent

    Et se répartissent le butin.

    Vive les relations de bon voisinage,

    A la vie à la mort !

    (Et les fées rousses ridées au sourire mutin.)

     

    Moralité :

    Acceptez toujours un rencard avec une fée rousse,

    même féroce,

    Sinon préparez vous à être poursuivi dans la brousse

    Par des bêtes atroces.


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  • Au fond des jardins obscurs,

    Tapis dans l’ombre des chênes,

    Affligés d’horribles blessures,

    De sombres esprits se déchainent.

     

    Ces terrifiantes créatures,

    Mues par l'envie et la haine,

    Ce soir visitent ta masure :

    Ce n'est vraiment pas de veine.




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  • Message d'oiseau voyageur confidentiel à destination exclusive du Roi des Montagnes Bleues et d’Occiputanie, le très Saint Louis D'Hors

     

    Votre Majesté,

     

    Nous sommes au regret de vous annoncer que la magie n’a plus cours dans nos contrées.

    Au cours des différentes tentatives auxquelles le Chevalier Longuépée et moi-même nous sommes livrés ces derniers jours, aucune n’a été couronnée de succès. Nous n’avons même pas été en mesure de transformer les barriques de vin de notre hôte en eau. Nos compétences ne peuvent absolument pas être remises en cause en la matière, il s’agit d’un sort mineur d’apprenti mage, l’un des premiers enseigné après l’aspiration des morves.

    Il nous faut donc nous rendre à l’évidence, Majesté, la magie n’opère plus en votre royaume. Le Chevalier Longuépée a suggéré que nous sortions de nos contrées pour nous rendre en Autarcie, et ce afin de nous livrer aux mêmes expérimentations. J’adhère à cette proposition, et nous partons ce jour. En cas de contrordre, je vous prie Majesté d’envoyer les instructions correspondantes au poste frontière d' Alguemorne par oiseau voyageur. Nous devrions l’atteindre sous huitaine.

    Le Chevalier Longuépée se joint à moi pour vous renouveler notre serment de tirer cette affaire au clair.

    Mille vœux de longévité à notre Roi.

     

    Comte Olive de Lamotte, Archimage Royal.




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  • Il était une fois un vieux château au cœur d’une grande forêt épaisse où vivait toute seule une vieille femme qui était une très grande magicienne. Le jour, elle se transformait en chatte ou en chouette, mais le soir elle reprenait ordinairement forme humaine. Elle avait le pouvoir d’attirer les oiseaux et le gibier, et elle les tuait ensuite pour les faire cuire et rôtir. Si quelqu’un approchait du château à plus de cent pas, il était forcé de s’arrêter et ne pouvait plus bouger de là tant qu’elle ne l’avait pas délivré d’une formule magique : mais si une pure jeune fille entrait dans ce cercle de cent pas, elle la métamorphosait en oiseau, puis elle l’enfermait dans une corbeille qu’elle portait dans une chambre du château. Elle avait bien sept mille corbeilles de cette sorte dans le château avec un oiseau aussi rare dans chacune d’elle.

    Or, il était une fois une jeune fille qui s’appelait Jorinde ; elle était plus belle que toutes les autres filles, bien aidée en cela par son papa, le plus célèbre chirurgien esthétique du royaume. Et puis il y avait un très beau jeune homme nommé Joringel : ils s’étaient promis l’un à l’autre. Joringel avait tous les attributs nécessaires à la séduction de Jorinde : il était très riche, sa famille ayant fait fortune dans la construction de chevalets de torture. Il avait aussi un corps magnifique sculpté par des heures et des heures de construction de chevalets. Il avait surtout un carrosse en ronce de noyer, avec un triple essieu aux roues surbaissées, le tout entrainé par 16 chevaux vigoureux. L'intérieur en alcantara beige et rouge était du meilleur goût. Ils étaient au temps de leurs fiançailles et leur plus grand plaisir était d’être ensemble. Ils jouaient principalement au scrabble, sans avoir jamais réussi à terminer une seule manche.

    Un jour, ils allèrent se promener dans la forêt afin de pouvoir parler en toute intimité. Ils voulaient débattre de la meilleure stratégie possible pour le Q, une lettre qui leur posait pas mal de problèmes au cours de leurs parties.

    • Garde-toi, dit Joringel, d’aller aussi près du château. (notez le bien cette remarque aura par la suite son importance.)

    C’était une belle soirée, le soleil brillait entre les troncs d’arbres, clair sur le vert sombre de la forêt, et la tourterelle chantait plaintivement sur les vieux hêtres un vieil air de Francis Cabrel. Jorinde et Joringel devisaient gaiement de leur sujet de prédilection tout en avançant dans la foret, tant et si bien qu'à la fin ils ne surent plus retrouver leur chemin. 

    Jorinde pleurait par moment, elle s’asseyait au soleil et gémissait ; Joringel gémissait lui-aussi (on a beau posséder une fortune issue de la vente d'engins de torture, ça ne fait pas de vous un dur). Ils étaient aussi consternés que s’ils allaient mourir ; ils regardaient autour d’eux, ils étaient perdus et ne savaient pas quelle direction ils devaient prendre pour rentrer chez eux. A force de jouer aux jeux de table, ils n'avaient même pas les connaissances de base pour distinguer le Nord du Sud, ni l'Ouest de l'Est. (Ce n'est pourtant pas bien compliqué, la bière pousse au vice, ah non, la mousse pousse au Nord. Les limaces et les renards ont toujours la tête au sud, les cinglés sont tous à l'Ouest et l'Est n'est pas lourde). Il y avait encore une moitié de soleil au-dessus de la montagne, l’autre était déjà derrière, bien planquée. Il y avait aussi une grosse boule blanche dans le ciel que Joringel n'avait jamais vue. Joringel regarda à travers les taillis et vit la vieille muraille du château tout près de lui ; il fut pris d’épouvante et envahi par une angoisse mortelle. Il faillit faire pipi dans sa culotte. Jorinde elle, se mit à chanter, sur un vieil air de Sylvie Vartan :

    « Je suis perdu-du-du-du-du-due,

    Que va t-il nous arriver (Oh my god !Oh my god !) :

    Je crois bien qu'on l'à dans le c.. tsitt, tsitt, tsitt. »

    Joringel se tourna vers Jorinde. Elle était transformée en rossignol qui chantait " Tsitt, Tsitt ". Elle aurait pu faire l'effort de chanter en bon Français, tout de même, il aurait bien aimé connaître la fin de la chanson. Une chouette aux yeux de braise vola trois fois autour d’elle et par trois fois cria " hou, hou, hou " (elle arrivait un peu tard pour faire les cœurs, mais enfin...) Joringel ne pouvait plus bouger : il restait là comme une pierre, il ne pouvait ni pleurer, ni parler, ni remuer la main ou le pied. (Non vraiment, rien d'autre non plus). A présent, le soleil s’était couché, quelle grosse feignasse celui là ! Jamais là quand on en a besoin : la chouette vola dans le buisson, et aussitôt après une vieille femme en sortit, jaune, maigre et voûtée avec de grands yeux rouges et un nez crochu dont le bout lui atteignait le menton, ce qui n'est pas pratique pour manger des sandwichs au pâté. Elle était entièrement nue, et ce n'était pas beau à voir. (Car il est bien connu que lorsque on se transforme en animal, on ne peut conserver ses vêtement, c'est le b-a-ba du transformisme animalier.) Elle marmonna, attrapa le rossignol et l’emporta sur son poing. Joringel ne put rien dire, ne put pas avancer : le rossignol était parti, sa belle envolée. Ne lui restaient que ses yeux pour pleurer, mais il ne pouvait pas pleurer. Et il se demandait surtout où était passée la chouette choriste : pas un son en provenance du buisson d'où était sortie l'horrible vieille.

    Enfin, la femme revint et dit d’une voix sourde et granuleuse de grande fumeuse en regardant la boule dans le ciel : " Je te salue, Zachiel, si la Lune brille sur la corbeille, détache-le, Zachiel, au bon moment. " Alors Joringel fut délivré et appris le nom de la boule dans le ciel qu'il n'avait jamais encore vue : Zachiel. A moins que ce ne soit Lune, comment aurait il pu le savoir : il n'avait jamais vu ni l'un ni l'autre. Il tomba à genoux devant la vieille femme et la supplia de lui rendre sa Jorinde (avec qui allait il bien pouvoir jouer au scrabble ?), mais elle déclara qu’il ne l’aurait plus jamais et s’en alla en prenant garde de ne pas marcher sur ses seins, qu'elle avait forts longs. Il appela, pleura et se lamenta, attitude prouvant si besoin qu'il était bien issu d'une famille de roturiers, mais ce fut en vain, la vieille était couchée. Derrière des murs de trois mètres d'épaisseur elle ne risquait pas d'entendre ses jérémiades, car elle avait pris une décoction à base de fientes de putois, de pus de crapaud pustuleux et de jus de slip de soldat de retour d'un mois de manoeuvre pour bien dormir, elle avait du mal à trouver le sommeil depuis quelques années. Un problème de conscience paraît il, maladie très rare et très mystérieuse.

    Après plusieurs minutes de jérémiades, Joringel se rendit enfin compte d'une chose : il avait faim et il pouvait bouger. Il s’en fut donc au hasard et finit par arriver dans un village inconnu (n'oublions pas qu'il était toujours perdu) où il resta longtemps à garder les moutons. Il allait souvent tourner autour du château, mais pas trop près, pas plus de vingt lieues. Ce n'est pas parce que votre famille vend des instruments de torture qu'on est capable d'affronter un vieux débris au seins plus longs que les bras. Tout aurait été pour le mieux si les gens du village avaient accepté de jouer au Scrabble, mais ils prétextaient tous de motifs divers et variés pour éviter de l'affronter en combat singulier. En fait, ils avaient peur, car ils étaient tous nuls au scrabble, ce qui est à peu près compréhensible lorsque on ne sait ni lire ni écrire. Au comble de l'ennui, une nuit, Joringel rêva qu’il trouvait une fleur rouge sang avec une belle et grosse perle en son cœur. Il cueillait cette fleur et l’emportait pour aller au château : tout ce qu’il touchait avec la fleur était délivré de l’enchantement, et il rêva aussi qu’il avait trouvé Jorinde de cette manière. C'était la première fois depuis des lustres qu'il ne rêvait pas de moutons.

    En se réveillant le matin, il se mit en quête par monts et par vaux (mais avec son troupeau de moutons) d’une fleur semblable : il chercha jusqu’au neuvième jour, et voilà qu’à l’aube il trouva la fleur rouge sang. En son cœur, il y avait une grosse goutte de rosée, aussi grosse que la perle la plus belle. Joringel remercia le dieu du Scrabble pour tous ses bienfaits.

    Il porta cette fleur jour et nuit jusqu'à ce qu’il arrivât au château. Quand il s’approcha à cent pas du château, il ne fut point cloué sur place, mais il continua à marcher jusqu'à la porte. Le système de sécurité, uniquement basé sur la détection des odeurs, le prit pour un mouton. Joringel s’en réjouit fort, il toucha la porte de sa fleur et elle s’ouvrit d’un coup. Il entra, traversa la cour, prêtant l’oreille pour savoir s’il n’entendrait pas les nombreux oiseaux : enfin, il les entendit. Il alla dans cette direction et trouva la salle où la magicienne était en train de donner à manger aux oiseaux dans leurs sept mille corbeilles. A raison de six secondes par corbeille pour l'ouvrir, y mettre sa petite graine, puis la refermer, il lui fallait environ douze heures pour nourrir tous les oiseaux. Les passions les plus intenses sont aussi les plus exigeantes.

    Quand elle aperçut Joringel, elle se fâcha : prise d’une grande fureur, elle l’injuria et vomit tout son fiel contre lui, mais elle ne put pas l’approcher à plus de deux pas (à cause de l'odeur). Il ne tint pas compte de la magicienne et alla examiner les corbeilles aux oiseaux ; mais c’est qu’il y avait là des centaines de rossignols. Comment allait-il retrouver sa Jorinde maintenant ? Bonne question.

    Pendant qu’il regardait ainsi corbeille après corbeille, il s’aperçut que la sorcière s’emparait à la dérobée d’une petite corbeille contenant un oiseau et gagnait la porte avec elle. Sur-le-champ il bondit sur elle, toucha la petite corbeille avec sa fleur et la vieille femme aussi : maintenant elle ne pouvait plus rien ensorceler (le pouvoir des fleurs est souvent sous estimé), et Jorinde était là, le tenant embrassé, aussi belle qu’elle l’était auparavant, et nue comme un ver (à cause de la règle numéro uno du transformisme animalier, etc, etc.) Alors Joringel, qui n'avait jamais vu de jeune fille nue, refit aussi de tous les autres oiseaux des jeunes filles nues, uniquement pour vérifier que la fleur fonctionnait correctement, dit-il à Jorinde. Puis il perdit momentanément la vue et la raison et rentra avec sa Jorinde, non pas chez eux car ils ne savaient toujours pas retrouver leur chemin, mais dans le village inconnu. Ils y vécurent longtemps heureux car ils furent quarante années durant vainqueurs de l'édition annuelle du tournoi de Scrabble en double mixte du village, essentiellement grâce à des mots utilisant la lettre Q, comme Qulbute ou encore Qulotte.

    Joringel ne retrouva jamais la chouette choriste. La vieille pas chouette, débarrassée du poids qui pesait sur sa conscience et pourvue désormais de douze heures journalières de temps libre, mis tout le royaume à feu et à sang pour se venger de Jorinde et Joringel. Ils ne le surent jamais.

    Moralité : le Q est un sujet de conversation déconseillé aux fiancés qui ne veulent pas se retrouver à jouer seuls au scrabble dans un village inconnu.


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  • Il était une fois dans une foret lointaine, par une belle matinée de printemps, un cadavre. Mort mais pas enterré, il était affalé sur une souche de sapin, dans une position aussi peu flatteuse que possible et dans un état de décomposition assez désespérant pour les fleurs situées à proximité.

    Vint à passer une demoiselle prénommée Gertrude. Elle était en quête de champignons aux vertus stimulantes pour sa clientèle. Incommodée par l'odeur, la délicate demoiselle plissa le nez, avant d'identifier l'origine de son déplaisir. Elle prit quelques instants pour contempler la mort dans toute sa splendeur, médita sur le caractère définitif de la situation quelques secondes, puis décida de vérifier s'il ne restait pas à ce cadavre quelques sous en poche.

    Si fait, elle s'approcha du cadavre en se pinçant le nez pour inspecter ses riches atours. Elle eut tôt fait de trouver une bourse bien garnie qu'elle empocha sans un remord, si ce n'est pour l'odeur. Elle trouva également une pochette en cuir ouvragé contenant quelques enveloppes et autres papiers pliés. Elle s'en empara sans sourciller plus que nécessaire. Inutile de faire de l’œil, ce client là était certes totalement raide, mais pas intéressé. Poursuivant son chemin dans la foret de Pallifrignac, elle s'en fut vaquer à ses petites affaires pour le reste de la journée.

    Une fois rentrée dans la pension de jeunes filles de mauvaise famille de Mademoiselle McRelle, elle se mit enfin à lire le contenu de la pochette en cuir. Hormis quelques reçus de blanchisseurs, quelques lettres d'amour ridicules qui lui permirent cependant d'identifier le cadavre de la foret (un certain Biquet D'Amour) et sa femme (une certaine Chouquette D'Amour), une missive étrange, dont la couleur jaunie et le papier très cassant laissaient présager le grand âge, retint son attention.

    Sur cette espèce de vieux parchemin, on pouvait lire :

     

    « Le cormoran du bois est un fieffé menteur

    De son bec ne sortent que des fariboles

    Il est tout sauf honnête, ce beau parleur

    Ne lui accordez ni votre confiance, ni votre obole.

    Il ne répond juste qu'à la première question

    Toutes les suivantes ne seront que déceptions.

    Si vraiment vous y tenez, vous le trouverez dans la foret de Pallifrignac

    Sous un hêtre pleureur proche de la grosse pierre en forme de Macaque.

    Essuyez vous les pieds avant d'entrer. »

     

    Intriguée, la demoiselle s'interrogea sur la nature du Cormoran : oracle authentique ou vulgaire bonimenteur ? Elle irait voir dès le lendemain si elle pouvait trouver son repaire. Après tout, la réponse juste donnée à la première question pouvait avoir son intérêt. Il suffisait de poser la bonne question. Elle connaissait bien la foret, il ne serait pas difficile d'y trouver une grosse pierre en forme de Macaque.

     

    ***

     

    Dès le lendemain, avant de prendre son travail, Gertrude commença ses recherches. Elle fit chou blanc la première journée, chou blanc la première semaine, chou blanc le premier mois, chou blanc la première année. Elle envisagea de cesser ses recherches lors de la douzième année, année où elle souffrit d'affreuses ampoules au pied. Mais Gertrude était obstinée, tout son temps libre passa dans la recherche de la pierre en forme de Macaque. Elle chercha durant vingt cinq longues années. Sa relative beauté de jadis s'était quelque peu fanée dans la moiteur des sous bois, ses affaires devinrent plus difficiles, ce qui lui donna encore davantage de temps pour intensifier ses recherches, quitte à revenir épuisée de chacune de ses randonnées.

    Après l'avoir arpentée tout ce temps, Gertrude connaissait très bien la foret de Pallifrignac, elle la connaissait même comme sa poche. Dans une petite clairière ayant quelque chose de familier, alors qu'elle prenait quelques minutes de repos bien mérité, assise sur une vieille souche de sapin, Gertrude finit subitement par réaliser qu'il n'y avait pas l'ombre d'une pierre en forme de Macaque dans cette foret. C'était à la tombée du jour par un sombre après midi d'hiver. Rompue de fatigue, terrassée par cette révélation abominable, elle mis quelques minutes à réaliser qu'elle se trouvait exactement à l'endroit où elle avait trouvé vingt cinq années plus tôt le cadavre de Biquet D'Amour et ses richesses. Les ossements de Biquet d'Amour avaient depuis longtemps été dispersés par les éléments et les animaux de la foret, mais elle ne tarda pas à repérer un bouton de culotte, car elle avait l’œil pour ce genre de détail. Ce fut comme si le sol s'ouvrait sous ses pieds. Gertrude en perdit la boule, anéantie par l'idée d'avoir passé sa vie à la poursuite d'une chimère. Elle se mit à sangloter, le cœur brisé, désespérée, souhaitant que la mort vienne l'emporter sur le champ.

     

    ***

     

    Gertrude émergea d'un trou noir pour se retrouver plongée dans l’obscurité : elle avait perdu la notion du temps, et ce qui devait arriver était arrivé : la nuit avait fini par tomber. Jamais au cours de ses recherches elle ne s'était aventurée dans la foret de nuit.

    Affolée, Gertrude commença à paniquer : elle n'y voyait rien, la lune était nouvelle, il n'y avait rien à espérer de ce côté. Elle eut tôt fait de se perdre totalement. Gertrude se traita de gourde, de truffe, d'écervelée et même de blonde, mais son énervement ne lui donna aucune indication pour retrouver son chemin. Bientôt, elle commença à entendre de petits bruits : des grattements, des bruissement de feuilles, des gémissements, des halètements. Elle en était persuadée, les loups l'avaient déjà encerclée. Elle se saisit à tâtons d'une branche d'arbre, bien décidée à se défendre bec et ongles. Elle avait repris du poil de la bête.

    C'est alors qu'elle distingua une lueur dans la nuit : aucun doute il s'agissait d'une flamme, probablement une lampe. Un fol espoir s'empara de Gertrude ! Au risque de se rompre le cou, elle se dirigea aussi vite qu'elle le pouvait vers son salut, criant à plein poumons pour se signaler tout en effrayant les bêtes sauvages.

    C'est une Gertrude percluse de plaies et de bosses qui arriva enfin au pied d'une torche. Frigorifiée, terrifiée, épuisée, elle n'en resta pas moins bouche bée. La torche était disposée dans l' anfractuosité d'un rocher en forme de macaque ! Il ne fallu que quelques instants à Gertrude pour identifier un magnifique hêtre pleureur à quelques pas.

     

    Une voix à la fois caverneuse et nasillarde émergea bientôt du hêtre :

    « - Et bien Gertrude, vas tu rester plantée là toute la nuit ? N'as tu pas froid ? Pourquoi ne viens tu pas poser tes questions, qu'on en finisse ? Ou bien vas tu continuer à hurler dans la foret pour le reste de la nuit ?

     

    Estomaquée, Gertrude se dirigea après un petit moment d'hésitation vers le hêtre. Elle écarta de la main les branchages pour se glisser sous cet arbre étrange. Dans une semi obscurité, elle distingua grâce à l'éclairage de la torche un hybride entre un oiseau et un homme. Il était immense, entièrement noir, son visage humain était affublé d'un bec jaune grotesque et il semblait avoir des ailes à la place des bras. Une quête de vingt cinq années arrivait à son terme et Gertrude avait le sentiment qu'elle allait s'effondrer à tout moment. Elle se retint de toutes ses forces de poser la moindre question du type « Qui êtes vous ? » ou encore « Êtes vous bien réel ?». Elle y parvint d'extrême justesse.

      • Bien, n'y passons pas la nuit, tu me cherches depuis suffisamment longtemps, je pense que tes questions sont prêtes depuis tout ce temps, dit de sa voix étrange le Cormoran, qui semblait agacé et impatient. Je t'écoute.

      • Oui, bien sur, bien sur... bredouilla Gertrude.

      • Allez, pose moi ta première question, je te prie.

    Gertrude prit son inspiration, et la gorge sèche posa la question qui lui brulait les lèvres depuis tant d'années :

      • Que dois-je faire pour devenir immensément riche ?

    Voilà, c'était sorti, il n'y avait plus de retour en arrière possible, Gertrude ressentit un soulagement presque inimaginable, elle avait posé la bonne question.

      • Ah ah ah, l'argent, toujours l'argent, j'en étais sur ! C'est toujours ça ou l'amour, mais ta profession t'a dégoutée de l'un sans jamais te faire renoncer à l'autre ! Écoute bien ma réponse : demain, à la tombée du jour, installe toi sur le petit pont de pierre, derrière l’Église de Pallifrignac. Un homme très riche viendra te faire chercher en calèche. D'ici deux semaines il t'aura demandé en mariage, et tu deviendras très riche.

      • Mais comment le reconnaitrais- je ? Demanda Gertrude.

      • Tu ne le pourras pas, il faudra répondre à la première invite.

      • Sera t-il beau, au moins ?

      • Ah, mais tu m'as demandé la richesse, pas la beauté, ricana le Cormoran. Que ne m'as tu posé la question « Comment puis-je rencontrer un beau et riche mari ? », tu ne peux t'en prendre qu'à toi même !

      • Certes, mais sera t-il au moins de bonne compagnie ?

      • Certainement pas. Écoute, nous n'allons pas lister toutes les qualités du mari idéal : ton mari sera très riche, mais aussi très laid, très méchant, il te battra comme plâtre chaque jour, même le dimanche. Il te battra lorsque la soupe sera trop chaude, lorsqu'elle sera trop froide, lorsqu'elle sera trop salée ou trop fade. Tes enfants seront d'ignobles petits moutards, moches, bêtes et méchants, leur papa en dix fois pire.

      • Mais... mais c'est horrible ! Gertrude, effondrée, sentait poindre une nouvelle crise de larmes, tout en se jurant de ne plus jamais faire de soupe de sa vie.

      • Je ne fais que répondre à tes questions le plus honnêtement possible, ma chère. Si tu ne veux pas connaître cette vie de richesses, tu restes libre de ne pas te rendre au pont de pierre demain soir. Sur ce, je pense que nous nous sommes tout dit. Tu as posé quatre questions, c'est déjà une de trop. Cela fera cent sous.

      • Cent sous ! Cent sous pour ces mauvaises nouvelles ? Tu n'auras rien, pas un fifrelin ! »

         

    C'est ainsi que Gertrude quitta l’abri du hêtre pleureur : très en colère. Elle marcha au hasard dans la nuit, jusqu'au lever du jour, où elle put enfin retrouver son chemin.

    De retour dans sa chambre de la pension McRelle, elle dormit toute la journée. La nuit tombée, elle décida de se rendre au petit pont de pierre avec la ferme intention de tourner le dos à son destin si celui ci n'y mettait pas un peu plus de bonne volonté.

    Elle n'était pas installée depuis cinq minutes qu'une carriole pourrie s'arrêta près d'elle. Un horrible bonhomme au sourire édenté lui fit un signe égrillard et l'invita à monter. Gertrude prit une mine outragée et tourna les talons, faisant mine de s'éloigner. Elle regagna son poste dès que l'affreux s'en fut allé. Quelques minutes plus tard, un magnifique carrosse passa devant elle sans faire mine de s'arrêter. Le cocher ne la regarda même pas. Puis plus rien. Gertrude, résignée, s'apprêtait à repartir lorsque le carrosse repassa dans l'autre sens. Cette fois ci le cocher fit halte, et s'adressa bientôt à elle :

    « - Savez vous, Mademoiselle, ou se trouve la gente dame habituellement présente en ces lieux ?

    • Non, Monsieur, je l'ignore.

    • Mon maître en sera fort déçu, je le crains, me feriez vous l’obligeance de m'accompagner et de la remplacer ?

    • Oui, certes, je le puis, mais votre maître ne serait il pas de ceux qui maltraitent les dames ? questionna Gertrude dans l'espoir d'infirmer les dires du Cormoran.

    • Certainement pas, Messire Jean n'a jamais maltraité qui que ce soit à ma connaissance, c'est un bon maître.

    • Très bien, dans ce cas je vous suis. »

     

    Une fois arrivée après une petite heure de carrosse dans un château de taille fort respectable, Gertrude fit la connaissance de Messire Jean, Vicomte de la Chaise à Trou. C'était un homme affable et charmant, plus de la première jeunesse, certes, mais dont le physique n'avait rien d'infamant. Ils passèrent une excellente soirée, et pendant toute la semaine qui suivit, Messire Jean vint la faire chercher tous les soirs à la pension de la mère McRelle.

    Gertrude n'était pas amoureuse, elle ne croyait pas en l'amour, mais cet homme était de très bonne compagnie, d'une richesse largement suffisante pour lui assurer une vie confortable, bien loin de l'humidité de la foret de Pallifrignac et de ses activités nocturnes inavouables. Le Cormoran était bien un fieffé menteur passée sa réponse à la première question. Aussi, lorsque deux semaines après leur première rencontre Messire Jean lui fit sa demande en mariage, elle accepta sur le champ.

     

     

    ***

     

    Dans la foret de Pallifrignac, par une belle matinée de dégel après un rude hiver, reposait un cadavre. Mort au milieu des bois, au centre d'une petite clairière, il était affalé sur une souche de sapin, dans une position aussi grotesque que possible et dans un état de décomposition assez avancé pour que les fleurs situées à proximité en éprouvent une infinie tristesse.

    Vint à passer un garçon de onze ans, Maurice, le plus jeune enfant du Maréchal-ferrant de Pallifrignac. Il était en quête de champignons toxiques pour se venger d'un de ses grands frères, un sale voleur de soldat de plomb. Surpris par l'odeur, Maurice plissa le nez, avant d'identifier l'origine de la nuisance. Il prit quelques instants pour contempler la mort de ses yeux ronds, réalisa combien cet état revêtait un caractère définitif, imagina son frère dans la même situation, puis décida de vérifier s'il ne restait pas à ce cadavre quelques sous en poche. Il pourrait peut être se racheter un soldat de plomb et ainsi éviter de mettre son projet à exécution, l'envie lui en étant subitement passée.

    Au vu de ses atours, le cadavre était certainement celui d'une pauvresse sans le sou, il fallait vraiment être dans la pire des misères pour porter des jupons aussi courts en hiver. Aussi fut il agréablement surpris de trouver sur elle une jolie bourse et une pochette de cuir ouvragé dans laquelle se trouvaient de vieux papiers. Il empocha le tout pour l'étudier plus tard, à l'abri des regards. Ce n'était pas comme si le cadavre en avait encore besoin. Peut être ces papiers recelaient ils une carte au trésor ? Le jeune garçon, à l'imagination fertile et aux faibles vertus, s'en fut avec un grand sourire. En guise de champignons vénéneux, il revenait au village avec une bourse suffisamment garnie pour faire l'acquisition de toute une armée de soldats de plomb, sans oublier les documents de celle qu'il identifierait bientôt comme une certaine Chouquette d'Amour.

    Perché à quelques mètres au dessus de la souche de sapin et de son cadavre, le Cormoran secoua la tête avec résignation, et soupira in petto : « C'est reparti pour un tour ».

     


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    Qui diable est cette bête au regard sévère ?

    Elle a tes yeux, ton front, ton nez, ton visage,

    Dans la glace fendillée de ta salle d'eau austère,

    Dès le lever du jour, elle te dévisage.

     
     
    C'est ta pire ennemie, elle veut te détruire,

    Tu lui tournes le dos et elle te poignarde.

    Son rêve est d'abattre, jamais de construire,

    Chaque jour tu fais face et elle te canarde.


    Trembler c'est périr et tu ne veux pas mourir,

    Ne baisse pas les yeux ou elle prend le pouvoir.

    Toi c'est elle, elle c'est toi, tue la d'un seul sourire

    Vois la disparaître, brise enfin le miroir.


    Tu as une famille d'Orcs et tu dois la nourrir.

    Quitte enfin cette salle d'eau et vas faire ton devoir.

    Va casser quelques têtes, va briser, va occire,

    Ce soir fait donc la fête, et demain, pas d'histoires.




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  • Je suis un tueur de mouche au style très épuré,

    De l'anus à la bouche, j'en fais de la purée

    (Poème Orc)

     
    Tout en haut du château, sur les remparts de la Tour Noire (aussi connue sous le nom de Very Black Tower), se tient Gertrude, la plus jolie et la plus délicieuse de toutes les Princesses. Elle semble fixer l’horizon, dans la direction de la grande mer. La jeune fille, en habits de nuit blancs, offre un contraste saisissant avec la noirceur des pierres de la tour. Un observateur attentif, au pied du château, pourrait peut être voir les larmes blanches jaillissant de ses yeux pour courir sur les pierres maudites. Le Roi son père (aussi connu sous le nom de The King's Father) lui refuse en effet toute sortie du château, et pourtant elle aimerait bien jouer au flipper à la taverne avec ses copines de temps en temps.
     
    Subitement, un grand dragon, connu dans la région reculée des « Boucs Fumants » sous le nom de Crachfeu (mais aussi connu sous le nom de Cry O'Fire), se jette sur elle, l’enlève et la séquestre dans la plus haute tour du plus haut château de l’univers (aussi connu sous le nom de Very High Castle). Tout le monde en est fort contrarié (à part le Dragon).
    Le Roi envoie un, puis deux, puis dix, puis cent chevaliers à la rescousse de la princesse, sans succès. Se présente enfin, seul, un chevalier homosexuel itinérant, Messire D'Abeille (aussi connu sous le nom de Lord Bee Bee), à qui le roi promet le jeune Prince Eltric (très connu dans le royaume de Californica sous le nom d'Eltric the Stick) en mariage s'il délivre la princesse Gertrude. N'ayant rien de mieux à faire, il accepte en sourcillant un peu pour le principe, et un peu par coquetterie.
    S’en suit alors une quête insensée au cours de laquelle le chevalier se liera d'une profonde amitié consécutivement avec un nain, un ogre, un babouin, une légion entière de soldats grecs sortis d’on ne sait où, un loup garou, une guitare six cordes (il faut absolument lire ce passage), une Pontiac Thunderbird 1957, une licorne (je ne vous fais pas de dessin), un elfe des bois, Jean sans Terre, de nouveau par une légion entière de soldats grecs (les mêmes car le chevalier s’est perdu), et enfin par le grand dragon qui avait enlevé la princesse dans l'unique but d'assouvir ses penchants avec les chevaliers missionnés pour la secourir.
    Arrive ce qui devait arriver : Messire D'Abeille et Crachfeu tombent fous amoureux l'un de l'autre. Cependant, après plusieurs semaines de bonheur intense (le château fume, tremble et vacille, Gertrude ne peut plus dormir), le Dragon Crachfeu meurt du tétanos dans d'horribles souffrances, blessé à mort par un rétroviseur rouillé de Pontiac Thunderbird 1957. C'est ce qui arrive lorsque on néglige la vaccination.
    Dépité, le chevalier se résigne à ramener la princesse à son père et à recevoir sa récompense. Le roi, fidèle à sa parole, marie aussitôt son fils Eltric à Messire d'Abeille.
    Ils vécurent heureux et eurent plein d’hémorroïdes.
     
    Peu de temps après le mariage princier, la princesse, tout en haut du château, sur les remparts de la tour noire, fixe l’horizon, dans la direction de la grande mer. La jeune fille, en habits de nuit blancs, offre un contraste saisissant avec la noirceur des pierres de la tour. Un observateur attentif, au pied du château, pourrait peut être voir les larmes blanches coulant le long de ses jolies pommettes pour ensuite courir sur les pierres maudites. Elle n'a en effet toujours pas l'autorisation d'aller jouer au flipper avec ses copines à la taverne « La belle bouse ». Le même observateur, doté d’une excellente ouïe, pourrait même l'entendre marmonner :

     « - Elle est vraiment nulle, cette histoire de chevalier pédé ».

     


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  • Tous les cinquante printemps,

    Se conjuguent pleine lune, alignement d'étoiles

    Et un pollen rare, féroce et puissant.

     

    Alors, l'herbe devient si douce,

    Les clairières deviennent si calmes,

    Que les fées et les trolls se prennent par la taille

    Et vont danser la gigue comme de petites cailles.

    Sautillants, légers, virevoltants sous le ciel étoilé,

    Dansants, libres et libérés, dans la douceur éthérée.

     

    Au matin, ils emprunteront différents chemins,

    Et s'ignoreront définitivement dès le lendemain.

     

    Huit saisons plus tard,

    Viendra l'enfant, une licorne gracile et fière,

    Au port altier digne de ses bonnes manières.

    Lorsque celle ci demandera après son père,

    La fée, gênée, inventera une légende peu sincère,

    Changera de version plusieurs fois, avant de se taire.

     

    Après bien des années,

    La fée morte et enterrée, la licorne quitte la maisonnée,

    Et chemin faisant, rencontre un vieux troll affamé,

    Aux chicots pourris, exhalant une fragrance très assaisonnée.

     

    Celui ci, bien élevé, demande le nom des voyageurs, avant de les manger.

    La licorne lui donne le nom de sa mère, la fée.

    Le troll a une mémoire calamiteuse, c'est un fait avéré,

    Mais il se souvient cependant de chacune de ses danses,

    Celles ci étant aussi fréquentes que des grenouilles ailées.

    Le troll sait réfléchir, qualité souvent passée sous silence,

    Au contraire de son appétit et de son odeur de fosse d'aisance.

    Il reconnaît la licorne pour sa fille, et il écarte ses immenses bras,

    Dans lesquels, folle de joie, elle vient aussitôt se jeter.

    Le troll serre, serre, l'étouffe et s'empresse de l'embrocher.

    (Car c'est bien connu, la licorne m'use, et il faut bien en terminer.)

     

    De sa jolie corne, il se fera un cure dent unique,

    Grâce à elle, il aura une bien meilleure haleine,

    Surtout lorsqu'il rigolera comme une baleine,

    Au congrès annuel des trolls sadiques.

     

    Plus tard, le troll regrettera de ne pas avoir eu des jumelles.

     

    Vous pouvez le trouver dans la troisième clairière du petit bois,

    A gauche après le petit pont de pierre, tous les avant-derniers samedi du mois.

    Il y attend très calmement le début de la prochaine guinguette,

    Amateur de cuisine asiatique, il rêve d'une paire de solides baguettes.

     

     


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  • Soixante dix sept soldats Alsaciens peu sourcilleux sifflent certains soirs les sensuelles saleuses de salsifis et c'est ainsi que les salsifis sont souvent sur-salés.




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