• Le conte impossible.

    Nous devions aujourd'hui vous narrer un conte formidable. Une histoire d'enlèvement de jeune Princesse par un terrible Dragon, suivie de son sauvetage par un preux Chevalier. Ce conte avait un très gros potentiel, il était déjà presque certain de remporter le Grand Prix du Conte de Brie comte Robert. La fin du récit était formidable : après moultes péripéties l'aventure se serait terminée sur une note positive et émouvante: « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants ».

    Oui, mais voilà, nous ne pourrons pas vous faire ce cadeau. Le Dragon kidnappeur est mort ce matin, et nous n'avons personne pour le remplacer à patte levée.

    Au lieu de se faire enlever au beau milieu du marché aux mille fleurs de Nogent le Rotrou, la Princesse Shakirira, Billontsé de son doux prénom, ne connaitra pas les affres de l'enlèvement. Après avoir dépensé la solde de la garde du château en pâquerettes et en tulipes, elle pourra donc se rendre comme prévu au concert du jeune chanteur à mèche Justin Trimargarine. Il faut simplement espérer qu'elle ne jettera pas sa petite culotte sur la scène, comme ce fut le cas lors du dernier concert de Patrick Cruel (un saltimbanque peu scrupuleux qui s'empressa de revendre le petit morceau de soie aux enchères sur le marché aux souvenirs de la baie d'Y).

    Au lieu de faire valoir ses qualités athlétiques, son courage et sa prestance, le Chevalier Lechevalier, de son prénom Poulain, passera sa journée dans une taverne, à jouer aux dès et aux petits chevaux dans une ambiance de veillée funèbre.

    La nature ayant horreur du vide, le Chevalier Poulain Lechevalier et la Princesse Billontsé Shakirira finiront par se rencontrer. Mais au lieu de le faire au sommet d'une tour immense, dans un territoire inconnu, au milieu des jets de flammes et d'urine d'un dragon gigantesque, ils se rencontreront lors du bal des débutantes donné au château. Leur histoire aura beaucoup de mal à passionner les foules, et leur aventure commune se limitant à quelques tours de piste maladroits (au lieu d'exploits formidables et d'épreuves terrifiantes), leurs liens ne seront pas très solides. Quelques mois après leur mariage Billontsé finira par s'enfuir avec Justin Trimargarine à l'occasion d'une de ses nouvelles tournées dans le Royaume. Mais ceci est une autre histoire.

     

    Tout cela à cause de l'affreux assassinat d'un jeune Dragon gourmand. Nous n'allons pas en dire trop de mal, car après tout il est mort ce matin, et il faut attendre au moins quelques jours avant de dire du mal des morts, surtout ceux dotés d'une famille de Dragons. Mais c'était tout de même un sacré gourmand.

    Sa maman pourtant, l'avait bien prévenu :

    • Flaminou, tu n'as pas oublié que tu avais un contrat ce matin ? Tu as un enlèvement sur le marché aux mille fleurs de Nogent le Rotrou, Royaume du Hareineby, à 11 heures ! Si tu arrives encore en retard, ton père va te roussir les ailerons !

    • Oui, moman, ne t'inquiète pas, j'y serais, j'ai juste un petit creux à boucher avant.

    • On les connait tes petits creux ! N’exagère pas, sinon tu ne va pas pouvoir t'envoler !

    • Mais non, mais non, je vais juste manger une paire de gnomes, c'est tout.

       

    Et telle était bien son intention. Quelques gnomes pour la route, puis direction Nogent le Rotrou, vol direct sans escales, enlèvement de Princesse, puis vol retour direction la grande Tour. Et après ça hop ! Deux ou trois mois de farniente au bord de l'eau à attendre le Chevalier Poulain Lechevalier. Flaminou espérait que cette Princesse serait moins pénible que la précédente. Il se méfiait des Princesses de ce Royaume du Hareinby. Son dernier contrat, la Princesse Riannaciré Shakirira, avait été un calvaire permanent. Persuadée d'avoir un don pour le chant, elle avait chanté des gammes pendant plus de six mois au sommet de la tour, son Chevalier s'étant perdu en route à maintes reprises (on le comprend, il n'était pas particulièrement pressé de faire le deuil de ses tympans).

    Mais Flaminou, en bon Dragon obéissant, avait bien l'intention de remplir la mission assignée par Boutefeu, son père, à condition de ne pas travailler le ventre vide. Les cinq dauphins de la veille l'avaient calé, mais cette nourriture spongieuse manquait de consistance. Rien ne vaut le gnome de roche pour sustenter un Dragon avant un vol longue distance.

    Flaminou s'approcha donc subrepticement du territoire des gnomes. Il faut savoir que les gnomes sont les pires saletés qui soient. Ils sont souvent décrits de façon très positive dans les livres, mais ce n'est qu'une supercherie liée à leur omnipotence dans le monde de l'édition. Les gnomes exercent en effet une censure sans merci envers tous les livres les présentant sous un jour défavorable, et encouragent les auteurs à les dépeindre sous les traits de joyeux drilles bienfaisants. Alors que chacun sait qu'il s'agit de petits monstres difformes, sournois et méchants. Mais tout à fait comestibles.

    D'ailleurs, la chair de gnome rôtie était comme une drogue pour Flaminou. Il adorait en particulier briser leurs os de sa mâchoire puissante pour en aspirer la succulente moelle. Il aurait passé sa vie à la chasse aux gnomes si son père ne lui avait pas ordonné à intervalles réguliers d'accomplir des missions d'enlèvement dénuées d'intérêt (enlever la princesse, la supporter, attendre le Chevalier, faire semblant de mourir dans un combat bidon, enlever la princesse, etc.).

    C'est au cours de cette dernière chasse que Flaminou cracha ses dernières flammes, mangea ses derniers gnomes. Alors qu'il avait mis la patte sur un second terrier de gnomes (le premier n'ayant recelé que des gnomes de fort petite taille) et qu'il s’apprêtait à les enfumer pour les faire bondir de leur trou, un gnome particulièrement détestable dynamita la montagne qui surplombait le terrier. Flaminou n'eut pas le temps de souffrir, un pan de montagne lui dégringola sur l'échine et il périt écrasé comme une crêpe au fromage.

    Sa famille a eu la délicatesse de nous prévenir par pigeon voyageur de l'incapacité de Flaminou à remplir sa part de contrat. La famille a ajouté qu'elle n'était malheureusement pas en mesure de le remplacer, Boutefeu étant sur une autre affaire d'enlèvement et Madame Boutefeu devant poursuivre la préparation du repas de la convention annuelle des Dragons. La soupe de gnomes aux ailerons de dauphins est un plat nécessitant une surveillance de tous les instants, c'est vrai. En post scriptum sur le message du pigeon (auquel il manquait une patte), la famille Boutefeu précisait que les arrhes ne sauraient être remboursées dans ce cas de figure précis.

     

    On se tue à vous expliquer que les gnomes sont de sales petites ordures, vous nous croyez maintenant ? Grâce à leur méchanceté conjuguée à la gourmandise d'un jeune dragon, vous voilà privés de conte, la princesse Billontsé Shakirira va se barrer avec un chanteur à mèche et le Chevalier Poulain Lechevalier est condamné à jouer aux petits chevaux dans une taverne minable jusqu'à la fin de ses jours.

    Il y a des journées comme ça, où l'on ferait mieux de rester couché.

     

     

    « De l'utilité des Trolls en temps de Paix.Grivoiserie bien ferrée »

  • Commentaires

    1
    Hélène Louise Profil de Hélène Louise
    Mardi 27 Novembre 2012 à 21:15

    Oui les gnomes sont de sales petites ordures, qui sentent pareil, c'est bien connu !

    (de tous ceux qui connaissent leurs classiques , que la honte  décime, dilacère et digère les autres)

    2
    Le Gobelin Aveugle
    Dimanche 10 Février 2013 à 13:44

    En tant que représentant de la race des Gobelins, je suis d'accord pour une extermination massive et incontestable de cette race qu'est le gnome.

    3
    Jean de Le Bidet Profil de Jean de Le Bidet
    Dimanche 10 Février 2013 à 14:14

    N'allons pas jusque là, il faut en conserver quelques uns pour montrer aux générations futures ce qu'est le mal. 

    4
    Mardi 12 Mars 2013 à 09:19

    Bon c'est quand même vachement bien. Je suis arrivé sur ce blog parce que je cherchais des histoires de chevalier prétentieux et misogynes et google par sa formidable et légendaire perspicacité ma montré le chemin de ce blog. Je suis pas déçu, c'est pas tout à fait ce que je cherchais mais en ce moment je lis H2G2 d'Adams et j'aime le second degré. Votre univers est complet et crédible. Et je finirais en citant Mel Brooks : 

    « La tragédie, c’est lorsqu’on se coupe le doigt. La comédie, c’est quand on tombe dans une bouche d’égout ouverte et que l’on meurt.  »

    5
    Jean de Le Bidet Profil de Jean de Le Bidet
    Mardi 12 Mars 2013 à 12:47

    Merci Monsieur monsieurju 

    Très jolie citation.

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