• D'allocs et d'eau fraîche : Faut pas abuser

    Si vous trouvez ce message, je vous supplie de le remettre toutes affaires cessantes au délégué Général du CABIA* de l'étang du Miroir. Ne surtout pas remettre à la Reine ou à sa fille.

     

    Monsieur le délégué Général,

     

    Vous ne me connaissez probablement pas, je me nomme Archibald Dheuthéniss, Archie pour les intimes. Je me suis marié ce week end et je vous écris à la lueur d'une bougie depuis la chambre nuptiale où ronfle mon horrible épouse. Je rédige cet appel au secours sur un petit secrétaire qui me permet à peine de faire tenir ces quelques feuillets, le bougeoir et un encrier. J'écris doucement, pour ne pas réveiller ma supposée moitié (qui fait le double de mon poids), et je tremble à l'idée de casser ma plume. Il ne manquerait plus que ça, je n'en ai qu'une.

    Je suis un simple demi-hobbit des Marécages qui résidait il y a encore peu avec sa famille sur le domaine de l'étang du Miroir. Ma femme est Marthe-Tchung Tapedur, la fille de Marthe-Ungh Tapedur, la Reine des fées de l'étang du Miroir.

    Voilà mon histoire :

    Je suis le dix neuvième enfant de Kurt et Rackette Dheuténiss, avant dernier de la fratrie maximale de vingt enfants bénéficiant des allocations Seigneuriales. Ma maman Rackette est la première fille d'une noble famille de Farfadets des Prés, déshéritée depuis ses épousailles avec mon Papa Kurt, un Hobbit des marécages qui a cessé toute activité depuis que la commission des inadaptés a reconnu son allergie aux nénuphars. Je n'ai que trente trois ans, et bien que majeur depuis trois ans, je vivais encore chez mes parents il y a quelques jours, en compagnie de trois de mes sœurs et de six de mes frères.

    La vie était belle alors, et je ne m'en rendais même pas compte. Comme toutes ces disputes pour la répartition équitable des allocations avec mes parents en ma qualité de délégué familial du CABIA me semblent aujourd'hui dénuées de sens !

    Car depuis lors, ma vie a pris une toute nouvelle tournure.

    Cela a commencé alors que je venais de claquer la porte de notre hutte, suite à un énième accrochage au sujet de la Redaloc*. Passablement énervé par la tournure des négociations avec Papa dont la ritournelle devenait vraiment lassante :

    « Tu n'auras rien, pas un fifrelin !  Tu veux des allocations ? Fonde une famille, fais toi reconnaître inapte, fais des enfants ! Tu crois que les allocations vont te tomber toutes cuites dans l'escarcelle ? Non jeune homme, il faut faire des efforts pour les obtenir ! ».

    Cette ritournelle commençais même à sérieusement m'indisposer, je décidais donc d'aller relever les collets et les nasses malgré l'heure matinale (il n'était même pas midi, et j'étais dehors !). Après tout, l'essentiel du fondement juridique des revendications du CABIA pour la Redaloc portait sur la participation des allocataires indirects aux tâches et corvées des cellules familiales...

    Je le reconnais bien volontiers, ma qualité d'allocataire m'interdisait normalement toute activité de chasse ou de pêche sur les terres Seigneuriales, mais comme vous le savez, nous luttons au CABIA contre cet abus de droit et nous prônons la désobéissance civile.

    J'étais donc tranquillement en train de relever mes nasses lorsque j'entendis un bruit derrière moi.

    Je me retournais avec la vivacité légendaire propre à mon espèce pour me retrouver nez à nez avec une des plus grosses Fées qu'il m'eut jamais été donné de voir. Elle devait bien faire un bon mètre de haut et plus de vingt kilos. Ses yeux immenses donnaient à son visage un air de bébé géant et ses ailes transparentes, pareilles à celles d'une mouche cauchemardesque, me donnèrent immédiatement la chair de poule mouillée.

    Je peux vous dire que lorsque vous avez un pareil monstre en face de vous, vous n'en menez pas large.

    «  - Tiens tiens, dit-elle avec un sourire sournois, ne serait-ce pas le délégué local du CABIA en train de braconner les poissons et les écrevisses de l'étang du Miroir ?

    • Ah mais non ! Pas du tout ! Je me promenais lorsque j'ai vu dépasser un fil de l'eau : je l'ai tiré et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir une nasse pleine de choses grouillantes à son extrémité ! tentais-je alors, désespérément.
    • Bien sur, bien sur, gloussa l'immonde créature. Il se trouve qu'en ma qualité de fille de Marthe-Ungh Tapdur, Reine de l'étang du Miroir, j'ai la responsabilité de faire appliquer la loi, le devoir de rendre justice, et la lourde tâche d’exécuter les délinquants. Tu connais la peine relative au braconnage, pour les allocataires ?

    • C'est la suppression d'un mois d'allocations, je crois... Tentais-je tout penaud.

    • Ah, non, il s'agit là de la peine annexe, destinée à mettre au pas la famille de l'allocataire. La véritable peine pour le contrevenant c'est la noyade, me dit-elle avec un grand sourire écoeurant, dévoilant une dentition d'une régularité et d'une blancheur dégoutantes.

    • Ah... Mais j'vous jure, Princesse, je ne braconnais pas ! Pitié ! »

    La Princesse s'approcha doucement de moi et je vis une lueur démoniaque briller dans son regard.

    «  - Il y aurait peut être une solution, dit-elle, toute mielleuse. Mais je ne suis pas persuadée qu'elle te satisfasse.

    • Dites toujours ? Lui demandais-je, le cœur plein d'espoir et les intestins liquéfiés.

    • Et bien... tu pourrais m'épouser ?

    • Quoi ? (A cette idée, je sentis l'anguille de mon petit déjeuner faire une tentative de sortie pour prendre l'air à l'extérieur.) Vous n'y pensez pas ?

    • En fait, si, dit-elle, un brin vexée. A bien y réfléchir, je te propose la noyade ou la bague au doigt. Décide toi, je n'ai pas toute la journée. »

    Bon, je dois admettre que mon hésitation a été un peu longue. J'étais déjà à l'intérieur de la nasse et Marthe-Tchung était sur le point de la mettre à l'eau pour me noyer lorsque je finis par capituler. Dix minutes plus tard, le mariage était consommé, non sans que je lui vomisse dessus à plusieurs reprises (à chaque fois que j'ai ouvert les yeux, en fait). J'eu beaucoup de mal à la convaincre que pour nous, les demi-hobbits, c'est une façon d'extérioriser notre émotion. Il va sans dire que je ne lui ai pas précisé de quelle émotion il s'agissait. Lorsque votre femme fait plus du double de votre taille, il est certaines choses qu'il vaut mieux escamoter.

    Une fois l'affaire terminée, mon épouse insista pour que nous nous rendions séance tenante au château pour informer sa mère de son union. Elle me prévint :

    «  - Il n'est pas impossible que la Reine pique une petite colère. Je devais épouser la semaine prochaine le fils du Duc du Lac du Rat Mort. Si tu la vois devenir toute rouge, prend garde à toi et place toi derrière moi, je te protégerai du plus gros, me dit elle une nouvelle fois avec son horrible sourire. »

    Et en effet, notre entrevue avec la Reine fut des plus orageuses. Je crois que lorsque mon épouse et moi quittâmes la salle d'audience il ne restait pas un seul meuble qui ne fut réduit en allumettes minuscules. Depuis, je vis dans les appartements Princiers et on ne me laisse en sortir (sous bonne garde) uniquement pour des motifs d'ordre physiologiques ou pour consulter le Chambellan de la Seigneurie.

     

    Si je tente de vous faire parvenir aujourd'hui cette missive, Monsieur le délégué général, ce n'est pas pour faire casser le mariage, je sais bien que c'est impossible. L'idée de ma future progéniture, filiforme, munie d'ailes diaphanes et d'yeux immenses m'empêche de dormir, certes, mais il est des sujets bien plus graves qu'il me faut vous confier :

    Tout d'abord, je viens d'apprendre que mon Papa allait recevoir un dixième de la dot promise au Duc du Lac du Rat Mort. C'est une catastrophe, cette somme va lui faire perdre son statut d'allocataire, car ce revenu inattendu va le faire sortir des critères d'attribution pour cette année fiscale, ce qui va l'obliger à rembourser les allocations perçues depuis le début de l'année, et l'empêcher d'en percevoir l'an prochain. Hors, l'an prochain il n'y aura pas de nouvelle dot (le Dieu des marécages m'en préserve !) et comme vous le savez, les dossiers sont extrêmement longs à monter, et le temps de retrouver son statut, ma famille a le temps de mourir de faim. Je vous demande donc d'intervenir auprès de la commission des allocataires pour prendre les mesures nécessaires à la mise en place d'une allocation de substitution pour ma famille dès que le montant de la dot de la Princesse aura été épuisé, soit dans exactement 14 versements.

    Ensuite, je suis victime d'une spoliation de mes droits sans précédent : j'ai en effet été reconnu inapte aux fonctions de prince Consort, la Reine m'ayant accordé ce statut sans que j'aie eu le temps de le lui demander. (Comme quoi sous ses dehors revêche elle a tout de même un cœur, même si elle a semblé assez surprise de mes remerciements enjoués). Toutefois, je suis victime d'un complot : figurez vous que le Chambellan de la Seigneurie, un certain Pavitte, m'assure que mon inaptitude ne me permet pas de bénéficier d'une allocation ! Cette profonde injustice va à l'encontre de toute la jurisprudence Seigneuriale, c'est du jamais vu ! Je compte sur vous pour faire valoir mon droit le plus élémentaire au statut d'allocataire.

    Enfin, mes enfants à naître sont eux aussi victimes d'une injustice sans précédent : selon le Chambellan Pavitte (encore lui !) ils ne pourront en aucun cas me faire bénéficier d'allocations Seigneuriales, et ce malgré mon absence totale de revenus ! Vous imaginez ? Les petits enfants de la Reine ! Je peux vous assurer que pour un fils d'allocataire comme moi, c'est la pire des humiliations : l'incapacité dans laquelle je me trouve à reproduire le mode de subsistance de mes parents est la pire des ignominies.

    J'entends cependant faire valoir mes droits, et c'est pourquoi je me tourne vers vous. Je suis bien trop proche physiquement de la Reine et de sa fille mon épouse pour déposer une réclamation officielle devant la cour d'appel des allocataires. Je vous demande donc de bien vouloir le faire en mon nom et pour le bien commun, si possible à un moment où la Reine et mon épouse seront en visite diplomatique dans une autre contrée. Bien entendu, je nierai toute implication dans la démarche, par mesure de sauvegarde personnelle.

    En parlant d'épouse, l'immonde chose aux ailes d'insecte qui se trouve dans mon lit est en train de gigoter. Il me faut conclure au plus vite cette missive et vider la cuvette de vomi avant son réveil. J'attends très vite de vos nouvelles, cher délégué Général. Je vais lancer ce courrier par la fenêtre en espérant qu'une bonne âme viendra vous le remettre très vite.

    Votre dévoué disciple,

                                                               Archibald Dheuthéniss, Prince Consort (inapte) de l'étang du Miroir.

     

    PS  : je suis à jour de cotisation pour toute l'année en cours, même si je ne suis plus aujourd'hui un bénéficiaire indirect vous me devez assistance jusqu'à la fin de l'année fiscale, conformément au paragraphe III alinéa C tiret 18 de notre charte du sociétaire. J'adhérerai bien entendu dès l'an prochain à l'UBASAD* ou peut être au CoFSAR*.

     

    *CABIA = Collectif Agressif des Bénéficiaires Indirects d'Allocations

    *Redaloc = négociation familiale imposée par les membres du CABIA à leurs parents au sujet de la Répartition équitable des allocations des enfants ayant quitté la hutte familiale sans le déclarer à l'administration Seigneuriale. Il s'agit d'une négociation qui se termine en général par une lettre anonyme à l'administration lorsque les enfants membres du CABIA n'obtiennent pas satisfaction. Les fausses déclarations à l'administration Seigneuriale sont punies d'une peine de pendaison.

    *UBASAD = Union des Bénéficiaires d'Allocations Sans Activité Déclarée.

    *CoFSAR = Collectif des Fonctionnaires Sans Activité Réelle.

    (Toutes les notes sont du traducteur)

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 8 Septembre 2013 à 15:06

    Quelle belle histoire ... 

    Je suis sûre qu'elle finira bien, qu'Archie finira par tomber amoureux que sa  délicieuse épouse !

    Bon, cette histoire d'alloc est bien tristounette, elle ; comme quoi, l'injustice ça arrive, même dans les contes les plus délicieux et les plus merveilleux ...  

    2
    Dimanche 8 Septembre 2013 à 15:53

    La version définitive (pour aujourd'hui) est en ligne !

     

    3
    Lady Lama
    Dimanche 8 Septembre 2013 à 16:38

    Traumatisme lié poids des prélèvements français oO? Cela a au moins donné un peu de bonheur à la grosse et ronfleuse fille de la reine des Étangs!

    4
    Dimanche 8 Septembre 2013 à 16:48

    Elle n'est pas grosse. Le demi hobbit la voit grosse parce qu'elle est beaucoup plus grosse que lui mais en fait elle est super mignonne, c'est une fée. 

    5
    Dimanche 8 Septembre 2013 à 19:48

    ben oui, on avait compris qu'elle était adorable à nos yeux et seulement monstrueuse aux yeux du tiers-gnome !

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