•  

    Je n'ai jamais été considéré comme quelqu'un de normal mais j'ai plus ou moins réussi à me fondre dans la masse pendant une trentaine d'années.

    Je contrôlais mes pulsions en fréquentant les animaleries. 

    Longtemps, les râles et les hurlements que je suis incapable de retenir sont passés pour une forme incomprise d'humour dans mon cercle amical.

    Très tôt, mon apparence a fait peur aux enfants et aux âmes sensibles. Il faut dire que ma peau grise et pendante, couverte d'ulcères purulents, n'est pas très ragoûtante. Pas plus que les rares touffes de cheveux secs qui parsèment mon crâne ou la bave qui s'échappe en permanence de ma bouche, à travers mes lèvres fendues.
    J'en conviens volontiers.

    Ce n'est pas de ma faute : ma "condition" a débuté à l'adolescence et les armées de médecins qui ont essayé de me soigner ne sont jamais parvenues à identifier l'origine de mon mal. Il y a quelques années, j'ai renoncé aux soins. Ras le bol de toutes ces ponctions, tous ces onguents, toutes ces piqures et toutes ces valises de médicaments inefficaces.

     

     

    Quand j'ai mordu Christine, la petite amie de ma nièce, un soir de réveillon trop arrosé, les doutes qu'éprouvaient à mon endroit mes connaissances se sont transformés en certitudes.  

    Elle était trop tentante, cette épaule grasse et nue, située à moins de trente centimètres de ma mâchoire pendant plus de quatre heures de repas. 

    Le ton était monté avec les autres convives quand j'avais refusé de recracher le morceau d'épaule que je lui avais arraché. Dans mon esprit c'était clair : "tout ce qui est avalé ne peut être rendu". 

    Après cet incident, je me suis retrouvé seul. Ma famille a coupé les ponts, mes rares amis ont pris leurs distances. 

    Au tribunal, mon avocate a plaidé une crise de démence éthylique. Comme je n'avais pas d'antécédents, je n'ai pris que deux ans de prison avec sursis, et une grosse amende pour indemniser la dodue petite amie de ma nièce. 

     

     

    C'est à ce moment là que j'ai commencé à roder la nuit à la recherche de proies.

    J'avais faim. Cela faisait bien longtemps que je ne pouvais plus digérer le pain, les fruits ou les légumes, et la viande crue ne suffisait plus à étancher mon appétit. J'avais besoin de muscles frais, irrigués par un sang pulsé à la bonne température. Les vendeurs des animaleries auprès desquels je m'approvisionnais jusque là commençaient à avoir des doutes à mon sujet. Ils me regardaient d'un sale oeil : j'étais leur plus gros acheteur de souris et de rats et ils ne m'avaient jamais vendu le moindre python réticulé. Les hurlements que je ne pouvais retenir à la vue des lapins, des cochons d'Inde et des perruches ne m'ont pas aidé non plus. Et j'avoue, le rat cru c'est dégueulasse, j'en avais marre.

    Pendant quelques temps après ce que j'appelle "ma première bouchée", je me suis contenté des chiens et des chats errants qui se laissaient bêtement approcher pour assouvir mon besoin de chair fraîche. Mais comme je n'étais pas seul sur le filon, il s'est vite épuisé.

    Ma ville n'était pas si grande que cela, et les services de la Mairie faisaient preuve d'efficacité (si, si...) pour débarrasser la ville de tous les animaux indésirables. On a appris par la suite qu'ils faisaient un trafic de pigeons avec un volailler du marché central. Et il y a eu des rumeurs sur les restaurants asiatiques et les chats. Mais il y a toujours des rumeurs sur les restaurants asiatiques et les chats, la plupart infondées. Bref, les services de la Mairie m'affamaient. 

    J'avoue que l'efficacité des services municipaux m'a bien arrangé. Depuis que j'avais mangé un bout de l'épaule de la grosse Christine je n'avais plus qu'une obsession : retrouver la suavité d'une chair humaine palpitante entre mes dents. Un grand merci, donc, aux municipaux qui m'ont permis d'éviter une douloureuse privation, en ne me laissant pas d'autre choix que d'attaquer les citoyens de ma bonne ville.

     

     

    Je n'éprouvais plus depuis plusieurs années le besoin de dormir. J'occupais toujours mon emploi de mécanicien dans le Garage Gorily en journée. Mon patron m'avait juste demandé de ne plus m'approcher des clients, car je faisais, parait-il, fuir la clientèle. 

    Dans un atelier de mécanique, mes râles et mes hurlements passaient le plus souvent inaperçus, quand ils ne faisaient pas rigoler mes collègues. Les mécaniciens ont un sens de l'humour qui diffère de celui du commun des mortels.  

    Le soir, une fois rentré dans mon modeste deux pièces, je n'avais qu'une hâte : en ressortir pour me mettre en chasse. 

    Je sortais uniquement une fois la nuit tombée. J'attirais moins les regards.

    Je n'ai tué personne. Je me suis contenté de faire de petits prélèvements musculaires aux noctambules. Jamais plus d'une bouchée par personne. 

    Mon activité a fait la une des journaux, mais uniquement au niveau local. 

    Une nuit, alors que je rentrais chez moi en mâchonnant avec délice une oreille de clubbeur, je suis tombé sur une scène de carnage : dans une petite rue, une femme était en train de déchirer à pleines dents les intestins d'un promeneur insomniaque. Ça faisait du bruit. J'ai commencé à m'approcher pour interrompre les activités de cette folle avant une issue tragique : ce genre d'incident allait attirer l'attention et me compliquer la tâche pour poursuivre mes propres activités nocturnes dans une relative tranquillité.

    Alors que je lui mettais la main sur l'épaule pour mettre fin à ses agapes, j'ai réalisé qui était la femme qui s'acharnait sur le pauvre éventré : c'était Christine, la petite amie anciennement enrobée de ma nièce. Elle avait perdu énormément de poids depuis le réveillon. La peau de son visage, jadis lisse, rose et sans défauts, était devenue livide, fripée, pleine de pustules.

    Contrairement à ce que l'on dit de nous, les Zombies ne sont pas forcément lents d'esprit : j'ai vite fait le rapprochement entre la morsure que j'avais infligée à Christine et sa transformation en mangeuse d'andouillettes crues. Je lui avais transmis mon mal. 

    Ce qui voulait dire que les dizaines d'autres prélèvements que j'avais fait au cours des derniers mois allaient mettre dans les rues autant de Zombies.

    J'ai donc décidé de quitter immédiatement la ville ; plus rien ne m'y retenait et la multiplication des chasseurs nocturnes allait inévitablement finir par mal tourner.

    J'ai pris le premier train, pour la destination la plus éloignée possible. Arrivé dans cette nouvelle cité, j'ai rapidement trouvé un boulot de mécanicien, en me maquillant à outrance pour dissimuler ma condition. Mais une fois que j'ai repris mes activités nocturnes, je n'ai toujours pas pu me résoudre à tuer mes victimes. Quand six mois plus tard je suis tombé au cours d'une virée sur l'une de mes anciennes proies, qui s'adonnait désormais au même type d'activité que moi, j'ai à nouveau quitté la ville précipitamment.

     

     

    Après ça, j'ai dû visiter une quinzaine d'autres villes. À chaque fois, le même processus s'est répété. Je n'ai pas volontairement répandu ma maladie, je suis juste incapable de me retenir de mordre, et encore plus incapable de tuer des innocents sous prétexte de protéger le reste de la population. 

    Aujourd'hui, la situation sanitaire est hors de contrôle. À ce jour, plus d'une centaine de Zombies ont été abattus par la police et plusieurs milliers d'autres ont été placés en détention. Cette fois ci ce n'est plus la presse locale qui traite le sujet. Le sujet est mondial. Les plus grands laboratoires de recherche travaillent sur un vaccin, qu'ils promettent pour les mois à venir. 

    Le virus Z1-B7 est présent sur tous les continents. Quand je pense qu'à titre personnel je n'ai jamais pris l'avion...

     

     

    J'ai été arrêté il y a cinq semaines : pris sur le fait par la patrouille après avoir mordu au mollet un chauffeur de bus. Je me suis rendu sans histoire, ce qui m'a évité d'être criblé de balles, comme l'ont été tant de mes anciennes victimes. Compte tenu de ma contagiosité, j'ai été placé à l'isolement dans un établissement de haute sécurité. Le gouvernement a lancé à grande échelle la construction de structures spécialisées pour accueillir les infectés comme moi, suite aux nombreuses contaminations qui ont eu lieu dans les prisons du pays. 

    Je pourrais terminer cette confession en exprimant les remords qui m'assaillent. Après tout je suis responsable d'une pandémie mondiale. Mais ce matin j'ai un autre sujet de préoccupation : j'ai perdu deux doigts de la main gauche.

    J'avais faim. 

     


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  • Abattu

    Blessé 

    Abasourdi 

    Naïvement attaché à un arbre la veille des vacances

    Déçu

    Oublié par ceux qui prétendaient l'aimer

    Ne croyant plus à un retour longtemps espéré

    Niant l'idée même de faire à nouveau confiance un jour

    Éperdu 

     

    André-Louis a beaucoup de mal à comprendre les raisons qui ont poussé ses maîtres à l'abandonner en pleine forêt, après l'avoir attaché à un arbre avec une solide corde.

    C'est vrai qu'il avait boudé ses croquettes plusieurs fois au cours des semaines écoulées, mais il faut dire qu'elles étaient moisies.  

     

    Après plusieurs journées à se nourrir de pommes pourries et à laper la rosée, André-Louis parvient à ronger la corde qui le maintenait prisonnier. 

    Son premier réflexe est de retrouver sa famille. 

    Il ère dans la lande pendant des jours, sans jamais les retrouver. 

    Près d'une ferme, André-Louis est repéré par un Beauceron menaçant, bientôt rejoint par son épouse et ses enfants. 

    André Louis est apeuré, il se fait le plus petit possible et tremble de tout son corps.

    Un des jeunes Beaucerons s'approche doucement et lui apporte une gamelle d'eau et quelques friandises, sur lesquelles André-Louis, affamé, se jette.

    La famille de Beaucerons (une famille d'agriculteurs aisés) décide de le garder, ils lui achètent un nouveau collier et André-Louis a désormais pour mission de veiller sur la basse cour, dont il devra éloigner fouines, chats et renards.

    Il est nourri, soigné, aimé.

    Même s'il a tort, André-Louis (rebaptisé Marco) craint d'être à nouveau abandonné. Il angoisse à l'idée de faillir à sa tâche. C'est pourquoi il se montre parfois nerveux et défend son territoire avec zèle, au point de se montrer menaçant avec les visiteurs. 

    Mais sa nouvelle famille rassure les étrangers tout en donnant quelques caresses à Marco : leur humain est un peu vif, mais il n'est pas méchant. 

    La famille en est très satisfaite et a même décidé de le récompenser : elle a récemment posté une annonce sur le bon coin, avec une belle photo de Marco légendée ainsi : "Marco, superbe mâle type européen, très bon gardien, affectueux, joueur, non Lof, proposé pour saillie gratuite."

     

     

    La famille de Teckels qui a abandonné André-Louis a de son côté connu un destin funeste. Elle a entièrement péri dans l'incendie du gite de vacances (qui n'acceptait pas les humains) dans lequel elle passait jusque là un séjour idyllique. 

     

     

     

     

     

     


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  • En 2208, "Le Baltique", vaisseau d'exploration du conglomérat Euro-Russe, arriva dans le système Eridiani TB87, doté d'un soleil de type K moins chaud et plus stable que celui du système solaire, distant d'un peu plus de cent soixante dix années lumière de la Terre.

    Le système comptait (et compte toujours) treize planètes, dont six planètes telluriques. Deux des planètes telluriques se trouvaient (et se trouvent toujours) dans la "zone de vie". Les autres, deux géantes gazeuses et cinq géantes de glace, se trouvent sur des orbites plus éloignées. Le Baltique, vaisseau d'exploration jaugeant 2,7 millions de tonnes, essentiellement construit à partir de roches et de métaux lunaires, comptait à son bord 769 scientifiques, 656 militaires, 782 membres d'équipage et 3811 accompagnants (employés civils et familles des explorateurs).

    Le voyage depuis le système solaire a duré 17 mois sans incidents majeurs. (6 décès accidentels largement compensés par 227 naissances. Il faut dire que les vaisseaux d'exploration ne sont accessibles qu'aux volontaires mariés de moins de 40 ans ayant déjà un enfant et qui s'engagent contractuellement à en avoir un minimum de 4. Les vaisseaux d'exploration lointaine sont donc tous dotés d'une maternité à la pointe de la modernité. Les obstétriciens et les sages-femmes qui la font tourner ont l'avantage d'être payés pendant le voyage, avant de poursuivre leurs fonctions sur la colonie.)

     

    L'arrivée du Baltique a permis de confirmer la présence des deux planètes habitables, connues des astronomes et des exobiologistes depuis cent soixante ans. 

    La première planète habitable, Eridiani-A, est une super-Terre, qui fait douze fois la masse de la Terre. C'est une planète-océan, entièrement recouverte d'eau. Les sondes mises en orbite autour d'Eridiani-A révélèrent un spectacle incroyable : des animaux aquatiques serpentiformes de plusieurs centaines de mètres de longueur, venant régulièrement prendre l'air à la surface des eaux. La planète est cependant inexplorable et inexploitable par l'homme, du fait des conditions extrêmes qui y règnent : la gravité est telle qu'aucun humain ne pourrait y survivre et il serait de toute façon quasi-impossible d'y faire atterrir ou décoller un astronef. À cause des difficultés techniques pour atteindre la vitesse de libération et l'impossibilité de faire fonctionner des moteurs Xiang-Cho dans l'atmosphère d'une planète.

     

    La seconde planète de la zone habitable de l'étoile est nommée Eridiani-B. Elle fait 1,2 masse terrestre pour un rayon de 6600 kilomètres. La gravité est légèrement supérieure à la gravité terrestre, la teneur de l’atmosphère en oxygène est d'environ 22 %, et la température moyenne est inférieure d'environ 10°C à celle de la Terre. La vie est présente, uniquement sous forme végétale (algues, plantes) et microbienne. L'eau et la glace sont présentes en grande quantité, recouvrant 60 % de la surface de la planète. Le climat est aussi diversifié que celui de la terre, mais la planète est en période de glaciation depuis environ 120000 ans selon les climatologues. Des calottes glaciaires de plusieurs kilomètres d'épaisseur recouvrent 30 % de la surface totale de la planète. Les scientifiques ont rapidement déterminé que si la température moyenne remontait de 7°C et que les calottes fondaient, il ne resterait plus que 17 % de terres émergées. Il existe un volcanisme comparable à celui de la Terre. Les zones libres de glace sont situées de part et d'autre de l'équateur. 

    La journée dure un peu moins de ving heures terrestres, la révolution complète autour d'Eridiani dure 1,4 année terrestre.

     

    Le vaisseau d'exploration une fois en orbite autour d'Eridiani B, les équipes d'exploration ont focalisé leurs drones et leurs études sur trois sites distincts, afin de diversifier les options d'implantation de la colonie. Tous les sites sont choisis à un minimum de 1000 mètres au dessus du niveau de la mer, afin d'anticiper une fonte rapide des glaces au cours du siècle à venir.

    Des équipes d'exploration ont été envoyées au sol sur les trois sites dès la deuxième semaine après l'arrivée du Baltique en orbite. Après quelques jours, les scientifiques ont pu retirer leurs combinaisons et ont pu respirer l'air de la planète. Les micro-organismes présents sont déclarés sans danger, a priori incompatibles avec la biologie humaine. 

    Tous les autres scientifiques sont ensuite débarqués sur Éridiani dans les semaines suivantes, encadrés par les militaires et les employés civils du conglomérat. 

    Les premiers essais de culture et d'introduction de faune terrestre et aquatique dans le milieu sont positifs. La végétation locale, qui exploite la photosynthèse, est déclarée en grande partie assimilable par les espèces introduites. Les premières explorations géologiques révèlent des sources de métaux conformes aux prévisions. La sismologie est déclarée légèrement inférieure à ce qui était attendu, la pluviométrie est normale et les évènements climatiques exceptionnels semblent peu fréquents. Le faible angle d'inclinaison de la planète et l'absence de gros satellites donnent à la planète un climat plus stable et moins violent que celui de la Terre, ainsi que des saisons moins marquées.  

    Après huit mois d'évaluation, le conseil scientifique du vaisseau confirma le statut de la planète et la déclara apte à la colonisation, au grand soulagement des passagers du Baltique qui trépignaient d'impatience. En cas de non confirmation du statut, le voyage aurait repris vers une autre destination, avec un minimum de 14 mois de voyage supplémentaire. 

    Eridiani-B est alors devenue officiellement la septième planète colonisée par le conglomérat Euro-russe, et la vingt et unième planète colonisée par des humains. 

     

    Une fois le Baltique reparti, les colons se lancèrent dans les préparatifs pour accueillir le premier vaisseau de colonisation. Celui ci arriva dans le système d'Eridiani quatre ans plus tard, en 2213. Trois autres arrivèrent au cours des quatre années suivantes.

    Suite à ces arrivées, Eridiani-B comptait un peu plus de 63 000 habitants en 2218. Conformément à la charte de colonisation, aucune société ou individu ne pouvait posséder directement ou indirectement plus de 5 km² de terres cultivables ou 10 km² de propriété forestière. Les terres ont été achetées au conglomérat par les colons avant leur départ, ce qui a grandement participé au financement de la colonie. Les passagers du Baltique constituèrent le pouvoir administratif, politique, scientifique et militaire de la colonie. Conformément à la charte, le conglomérat Euro-Russe exploitera la planète sans partage pendant 129 ans, avant de transmettre le pouvoir politique aux habitants d'Eridiani-B.  D'ici là les habitants éliront tout de même des représentants, mais ceux ci n'auront qu'un rôle consultatif. 

    Des villes ont été construites sur deux des sites d'exploration initiaux, le troisième étant abandonnée à cause d'un phénomène bi-annuel de mousson qui entraine des inondations.

    50 % de la population de la planète est alors rurale, les primo-colonisateurs étant essentiellement constitués d'agriculteurs et de mineurs. Vingt deux centrales hydroélectriques ont été construites sur les sites les plus favorables entre 2210 et 2217, permettant ainsi de ne plus dépendre entièrement des six centrales à fusion arrivées avec le Baltique. 

     

    En fin d'année 2218, dix ans après l'arrivée du Baltique dans le système, une équipe de géologues et de cartographes découvrit un artefact extraterrestre, dans une partie de l'hémisphère nord recouvert par les glaces. 

    On ne le savait pas encore, mais c'était la première usine Quadri découverte par l'humanité.

    Ils commencèrent par détecter une masse de métal phénoménale avec leurs instruments. La masse en question était située à 700 mètres sous les glaces, alors que le sol était supposé se trouver à plus de 3 km sous la glace. 

    Après plusieurs journées d'incompréhension et de spéculations, le géologue Giovanni Aldoni déclara qu'il s'agissait d'une structure artificielle cylindrique qui devait mesurer au minimum 2000 mètres de haut pour un diamètre de 2500 mètres.

    Les membres de l'équipe d'exploration ayant abondamment commenté leur découverte auprès de leurs proches, la nouvelle ne put être étouffée par le conseil d'Eridiani-B, et la nouvelle fut bientôt diffusée à l'humanité toute entière.

    C'est la première fois que l'humanité découvrait un artefact Alien explorable. Toutes les autres traces de civilisation découvertes l'avaient jusqu'à présent été sur des planètes inexplorables (puits de gravité impraticables, planètes Vénusiennes, etc).

     

    Le Conglomérat Euro-russe déclara aussitôt le site d'intérêt stratégique. Il décréta un embargo total sur le site et sur les 50 000 km² entourant la découverte. 

    Les militaires présents sur Eridiani-B reçurent pour mission de construire une base à l’aplomb du site et de la protéger en attendant l'arrivée d'une équipe d'exploration dédiée.

    Deux cent volontaires ont alors été recrutés dans la population générale pour construire une base à l’aplomb de l'artefact qui servira de camp de départ pour l'exploration. La base est nommée officiellement Aurile par ses créateurs. 

    Une fois la base en place, l'excavation débuta. Avec des moyens techniques limités des colons, la progression ne fut que d'une vingtaine de mètres par mois, à la façon d'une mine à ciel ouvert.

     

    Fin 2220, la 4ème flottille du conglomérat Euro-russe se mit en orbite autour d'Eridiani-B. Les Corvettes de la flotille se mirent immédiatement en action pour expulser les vaisseaux espions du conglomérat Américain, du bloc Australo-Chinois et des États Islamiques Unis qui avaient été repérés dans le système. 

     

    Dans les jours qui suivirent, plus de 9000 soldats et scientifiques débarquèrent sur la base Aurile, qui devint de facto la ville la plus importante d'Eridiani B. Les conditions extrêmes qui règnent sur la base (température moyenne de – 15°C) nécessitèrent rapidement l'organisation d'une rotation du personnel vers les zones tempérées. 

     

    En sept mois, grâce au matériel d'excavation apporté par la flottille, l'équipe d'exploration arriva au contact de l'artefact. L'alliage de métal utilisé, à base de métaux rares sur Terre, présentait une résistance et une solidité stupéfiantes. Les premières datations de l'alliage donnèrent un âge de 36 000 ans. Après de nombreuses batailles d'experts la date de l'artefact fut ramenée à 25 000 ans dans l'année qui suivit.

    Les experts finirent par convenir qu'il était imprudent de tenter de percer l'alliage. Il a alors été décidé d'explorer la surface afin de trouver une ouverture existante. Les recherches durèrent trois mois, avant d'enfin trouver une trappe accessible et une semaine de plus pour l'ouvrir sans endommager la structure. 

    La première exploration fut menée par une équipe de 150 hommes, menée par le Professeur Surakov sur le plan scientifique mais c'est le Colonel Wenland, commandant du 6ème Régiment Alpin Euro-russe, qui dirigea la mission.

    L'exploration de cette première équipe de 150 hommes a révolutionné la technologie et l'histoire de l'humanité. 

     

    Mais l'équipe a connu bien des déboires. Sur les 150 hommes qui la composaient, seule une petite quarantaine est ressortie de l'usine, 3 jours plus tard. Il faut avouer qu'il était difficile de prévoir que des systèmes de défense automatiques seraient toujours actifs après 25 000 ans d'inactivité.

    Mais à l'époque on ignorait que les Aliens qui avaient construit cet artefact l'avaient déserté, et l'angoisse était très forte au sein de la population d'Eridiani-B, qui craignait de subir des représailles de la part d'aliens dont on envahissait la maison. 

     

    Les équipes d'exploration suivantes furent systématiquement dotées de droïdes de combat, afin de protéger les explorateurs du gros des dégâts infligés par les systèmes automatiques de l'artefact.

    La première équipe d'exploration Sukarov-Wenland a tout de même remonté de belles trouvailles à la surface. Après des analyses coûteuses (se terminant le plus souvent par des explosions et des scientifiques morts pour le Conglomérat auxquels on a érigé par la suite des statues) la communauté scientifique certifia que l'artefact était selon toute vraisemblance une usine d'armement. 

    La mission scientifique révéla dans l'année qui suivit ses conclusion sur les constructeurs de l'usine : les aliens furent nommés "Quadri" car quadrupèdes, dotés également de quatre bras, de mains à quatre doigts et, on le suppose, de quatre yeux. 

    Le conglomérat commercialisa rapidement les premières applications des découvertes faites sur le site, notamment tout ce qui concerne les systèmes Anti-grav, qui révolutionnèrent la technologie humaine en quelques années. Par contre toutes les découvertes militaires furent soigneusement mises à l'écart des autres Conglomérats, qui ne tardèrent pas à s'en inquiéter. 

     

    En 2223, après 3 années d'exploration, d'exploitation et de rétro-ingénierie des découvertes compréhensibles par les scientifique Euro-Russes, le conglomérat Australo-Chinois exigea soudainement que l'usine soit mise à disposition de leurs chercheurs. Cela leur fut bien entendu refusé, et les tensions montèrent très rapidement lorsque une flottille de plus de soixante de leurs vaisseaux entra dans le système Eridiani, quelques mois plus tard. 

    La flottille Australo-Chinoise fut vaporisée par une arme Quadri, si mal maitrisée par la flotte Euro-russe qu'elle entraina également la perte de cinq de ses propres vaisseaux.

    Cet incident signa le début de la première guerre Quadri, de 2223 à 2226. Le bloc Australo-Chinois, qui ne bénéficiait pas de la technologie Quadri, en sortit exsangue. Il fut délesté de plus de la moitié de ses systèmes colonisés et rabaissé au rang de puissance mineure sur Terre.

    Mais à force de trahisons, d'agents double, d'infiltrations de commandos ennemis, les premières escarmouches à l'intérieur de l'usine eurent lieu en 2224, et finirent par provoquer ce qui est désormais connu comme « le premier effondrement » en 2225. Six niveaux de l'usine entièrement rasés par une explosion en chaine. On n'a jamais su si il s'agissait d'un accident ou d'un sabotage. 679 Eridaniens y perdirent la vie. 

    L'exploration de l'usine fut interrompue pendant deux ans, le temps de sécuriser le site. 

     

    Lorsque le site fut réouvert à l'exploration en 2227, on s'aperçu très vite que le conglomérat Américain avait profité de l'interruption pour s'introduire dans les niveaux inférieurs par un tunnel transversal (de plus de cinquante kilomètres) et qu'il avait pillé l'usine en toute tranquillité pendant plus de deux ans. 

    La découverte des pilleurs du bloc Américain dégénéra rapidement en guérilla pour reprendre le contrôle de l'Artefact et de leur tunnel d'accès, puis en guerre ouverte entre les deux conglomérats dès 2228.

    Comme le conglomérat Américain disposait à présent lui aussi d'un échantillon représentatif de l'armement Quadri, le conflit fut beaucoup plus équilibré et la deuxième guerre Quadri (2228 – 2230) fut beaucoup plus douloureuse pour le conglomérat Euro-russe, qui finit par perdre le système Eridiani à l'issue de la seconde bataille d'Eridiani de 2229 au cours de laquelle les deux flottes ennemies s'annihilèrent presque entièrement dans un déluge de feu (c'était pas vraiment du feu, c'est juste une image). 

    Les deux frégates Américaines qui étaient à l'écart de la zone de combat purent prendre possession du système, faute de combattants.

    Les combats se poursuivirent près d'un an dans l'usine, mais l'annonce d'un accord de paix entre les deux conglomérats mirent fin au conflit. Les 76 derniers combattants Euro-russes, retranchés dans les niveaux inférieurs de l'usine, purent retrouver l'air libre (et de la nourriture). Peu de temps après, le « second effondrement » détruisit à nouveau 3 niveaux de l'usine. L'enquête n'a jamais pu déterminer qui étaient les responsables de l'explosion.

     

    Pendant les sept années qui suivirent, les conglomérats Américain et Euro-Russe poursuivirent plus ou moins en commun l'exploration des 238 niveaux qui avaient survécus aux deux effondrements.

    La site perdit une grande partie de son intérêt stratégique en 2236, lorsque fut révélée la découverte d'une autre usine Quadri, à 375 années lumières de là, dans le système Sarfa, un système colonisé par les États Islamiques Unis. 

     

    La troisième guerre Quadri (2236-2239) débuta par l'attaque (et l'anéantissement) d'une colonie du conglomérat Américain par un bombardement d'armes Quadris, lancée depuis les écoutilles de vaisseaux identifiés comme appartenants aux États Islamiques Unifiés.

    Les conglomérats Américain et Euro-Russe, ainsi que le bloc Australo-Chinois s'allièrent contre les États Islamiques Unis, qui venaient de proclamer le lancement du « Djihad final » contre tous les incroyants, grâce aux armes découvertes dans l'usine du système Sarfa.

    Ce troisième conflit fut de très loin le plus dévastateur : 37 milliards de morts (60 % de la population humaine recensée), vingt six colonies détruites (sur les 40 de l'époque), la population de la Terre dévastée à 90 % par les nano-bombes Quadri.

    L'usine de Sarfa fut entièrement détruite au cours du conflit. Les États Islamiques Unis furent démantelés, leurs colonies restantes réparties entre les blocs vainqueurs, leurs dirigeants survivants exécutés. 

    Les accords de paix à l'issue du conflit instituèrent une nouvelle charte universelle, dans le but de mettre tous les conglomérats à égalité dans l'exploitation des technologies aliens. Un organisme indépendant fut créé pour l'exploration et l'exploitation des artefacts Quadri : l'UQRO (pour United Quadri Research Organisation).

    Dans l'année qui suivit, les conglomérats Américain et Euro-Russe évacuèrent officiellement la base Aurile, donnant les commandes de l'exploration de l'Artefact à la nouvelle organisation, comme le prévoyait les accords de paix. 

     

    L'UQRO mit alors en place un système d'explorateurs contractuels, chargés d'explorer le site contre une rémunération au pourcentage des revenus générés par leurs découvertes. Les possibilités de gains rapides attirèrent rapidement les aventuriers de toute la zone d'influence humaine, la population de la base Aurile repassa la barre des 9000 habitants en 2241. 

    Mais moins de trois années après la prise en charge du site par l'UQRO, deux nouvelles usines Quadri furent découvertes coup sur coup aux confins de la zone d'expansion humaine, sur des planètes explorables qui entrèrent de facto dans le giron de l'UQRO, conformément aux accords de la fin de la dernière guerre. La grande majorité des explorateurs choisirent d'aller explorer l'une ou l'autre des deux nouvelles usines, aux ressources inviolées et forcément plus rémunératrices que la ruine dépecée qu'était désormais devenue Aurile. 

    Fin 2244, il ne restait plus que 340 personnes sur la base Aurile, une équipe réduite d'administrateurs et les explorateurs trop vieux ou trop ruinés pour envisager un voyage de plusieurs années pour atteindre une nouvelle usine.

     

    C'est à ce moment que débute notre aventure. 

    L'aventure d'une jeune fille, Solveig Haland, fille d'un explorateur disparu dans l'Artefact depuis plusieurs années, qui recherche inlassablement son père.

    Elle explore de long en large l'Artefact avec ses deux chiens, Lili et Lolo, deux molosses génétiquement modifiés, capables de détecter la technologie Quadri avec leur flair (et qui ont aussi l'avantage non négligeable de faire des cacas comestibles.)

    Elle va faire plusieurs découvertes incroyables, du genre découvertes-qui-peuvent-tout-changer (genre niveaux secrets souterrains et embryons Quadri congelés prêts à l'emploi), et elle devra faire face à l'adversité (ongles cassés, attaques de droïdes), aux trahisons (petit ami infidèle, meilleur ami au service d'une puissance étrangère), aux espions (américains, chinois, arabes, zoulous) et aux assassins d'une confrérie secrète (mais on finira par savoir qui ils sont.)

    Même qu'à la fin ce sera super émouvant. Avec un brave chien courageux qui meurt pour sauver sa maîtresse. Sans oublier toute une bande d'amis très sympas (dont un musulman noir, gay et handicapé plein d'humour), des barbecues à base de steaks végans et tout plein de surprises technologiques (dont de nouvelles apps pour iPhone XXXII incroyables). 

    19,99 € dans toutes les bonnes librairies, dès que je l'ai fini.

    Et j'oubliais : à la fin il y a un vaisseau Quadri qui arrive dans le système Eridiani, suite au déclenchement intempestif d'une alarme de couveuse dans la nurserie. Ne manquez pas ça !

     

     


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    Normalement, à cinquante ans passés, on ne se cache pas dans un placard au moindre bruit nocturne.

    C'est pourtant là que se trouve Léonard, apeuré.

    Quelques instants plus tôt, son chat, un splendide Ragamuffin blanc, a fait tomber une plante en pot qui se trouvait sur la table de la cuisine. Léonard a été réveillé en sursaut, et il s'est immédiatement réfugié dans le double fond du placard de sa chambre, aménagé à cet effet. 

     

    Il faut dire que Léonard a des raisons d'avoir peur : il est recherché par la police politique de son pays. Et la police politique de son pays n'a pas pour habitude de renoncer face à des obstacles immatériels comme les frontières, les droits de l'homme ou la prescription.

    Cela fait plusieurs années que Léonard s'est réfugié dans un pavillon de la banlieue Toulousaine. Il mène une vie discrète, travaille comme ingénieur informatique dans une entreprise industrielle située à quelques minutes de son domicile. Hormis les sorties au supermarché pour son approvisionnement et les quelques pots d'entreprise dont il ne peut s'affranchir, il ne sort presque jamais de chez lui. 

    Dans son voisinage il passe pour un excentrique, un étranger au fort accent des pays de l'Est qui ne tond jamais sa pelouse sans ses lunettes de soleil et son chapeau de paille. 

    Léonard vit dans la peur. Il passe facilement deux ou trois nuits par mois dans le double fond de son placard. C'est le seul endroit de sa maison dans lequel il se sent en sécurité.

    Pourtant, ses portes et ses fenêtres sont sécurisées, il possède un fusil de chasse et une arme de poing, avec assez de munitions pour soutenir un petit siège.

    Mais il sait très bien que si la police politique de son pays le retrouve, ces armes ne lui seront d'aucune utilité. À part peut être celle d'éviter la torture. 

    Léonard était un activiste libertaire. Il tenait un blog très critique envers le Président à vie du pays. Il prenait beaucoup de plaisir à le tourner en ridicule, en détournant des vidéos et en recourant aux techniques du "deepfake".

    Léonard avait une formation d'ingénieur en informatique et pensait avoir mis au point un système de dérivation de proxy et de masquage d'IP impossible à démêler pour les services techniques de la police de son pays. Malheureusement pour lui, son gouvernement a alors sous-traité la traque de ses opposants politiques à une société Californienne spécialisée. 

    Ladite société a remonté la piste menant à Léonard en quelques jours. Léonard n'a dû son salut qu'aux remords de l'ingénieur Californien qui l'avait localisé. Ce dernier lui a envoyé un message sur son portable, lui indiquant que la police était sur le point de venir l'arrêter. 

    Léonard a quitté précipitamment son logement, son pays, sa fiancée, sa famille. Il n'a emporté que quelques disques durs et son chat, pour atterrir un peu par hasard dans la région de Toulouse, après plusieurs semaines d'errance. Il a très vite trouvé un emploi grâce à sa formation d'ingénieur réseau et à sa maîtrise des langues françaises et anglaises. 

     

     

    Aux premières lueurs de l'aube, en l'absence du moindre nouveau son dans sa maison, Léonard sort de sa cachette. Il est bientôt l'heure de se rendre au travail.

    Il émerge péniblement du double fond de son placard, fait un arrêt technique aux toilettes avant de se diriger vers sa cuisine pour nourrir le chat et se préparer un petit déjeuner. 

    C'est alors qu'il découvre son chat, les pattes scotchées entre elles par du ruban adhésif, la gueule en sang, dans les bras d'un homme cagoulé, entièrement vêtu de noir, assis sur la table de sa cuisine. Celui ci s'adresse à lui dans un grand sourire : 

    - Bien dormi, Camarade ?

    Léonard n'a pas le temps de répondre. Un autre membre du commando s'est approché sans un bruit derrière lui et lui assène une décharge de 100 000 volts.

    Léonard s'écroule, inconscient. 

    Il se réveille un peu plus tard. Il vient d'être ranimé par un seau d'eau froide.  Il reconnait son sous-sol, il est attaché sur l'une de ses chaises. Face à lui, deux hommes cagoulés sont accroupis. À leurs pieds, sur une couverture, sont disposés tout un tas de pinces, de seringues et d'autres objets métalliques aux usages inconnus. Nulle trace de son chat. 

    Un des deux hommes prend la parole : 

    - Alors Camarade, nous avons des questions à te poser, tu sais. Ce serait mieux si tu répondais spontanément. Ce serait moins fatiguant pour nous et moins douloureux pour toi. 

    Léonard s'apprête à répondre qu'il ne veut pas être torturé, il est prêt à cracher tout ce qu'il sait sur ses contacts. Mais il doute que ça leur suffise : il a toujours travaillé seul et il ne connait pas les identités des membres de son ancien réseau.  

    Au moment où Léonard est sur le point de tout déballer, le son caractéristique produit par les armes munies d'un silencieux retentit, et la tête du cagoulé qui vient de parler explose. Moins d'un quart de seconde plus tard, son acolyte subit le même sort. Les murs, le sol et le plafond dsous-sol sont recouverts de sang et de matière cérébrale. 

    Un homme en espadrilles et bermuda, lunettes de soleil accrochées à la poche frontale de sa chemise hawaïenne, panama crème sur la tête, un pistolet muni d'un silencieux à la main, entre tranquillement dans le champ de vision de Léonard. De son autre main, il tient contre sa poitrine le chat, débarrassé du ruban adhésif qui lui entravait les pattes. 

    Il vérifie du pied que les deux cagoulés sont bien morts, puis il se retourne vers Léonard. C'est un noir, avec des dreadlocks qui lui arrivent aux épaules. Il s'adresse à Léonard en anglais d'une voix profonde, avec le plus grand calme :

    - Salut Léonard. Comme tu peux le constater, ton pays t'a retrouvé. Tu as deux options : soit tu essaies de te trouver une nouvelle planque, soit tu rejoins mon organisation. 

    - Quelle organisation ? bafouille Léonard, toujours attaché à sa chaise.

    Dans un grand sourire son sauveur lui répond :

    - Une organisation apolitique, à but non lucratif : l'Association Mondiale de Protection des Ragamuffins. Nous avons besoin d'un ingénieur en informatique pour lutter contre la propagande de l'Association Mondiale du Ragdoll.

    - Vraiment ? lui demande Léonard, éberlué. 

    Le black lui sourit de plus belle et lui répond : 

    - Nan, mec. J'adore pour de vrai les Ragamuffins, mais je suis aussi de la CIA. 

     

    C'est comme ça que Léonard a rejoint la CIA.

    Avec son chat. 

     

     


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    Il est libre, le jeannot

    Il a coupé toutes les amarres,

    Il dérive sur son rafiot,

    Perdu au milieu des eaux.

    Il est libre, seul à la barre,

    Navigation sans GPS, sans radar,

    Sans sextant,

    Avec pour seule destination,

    Celle du vent.

     

    Subitement, Éole baisse les bras, 

    Le voyage semble fini.

    Jeannot termine sa dernière biscotte,

    Il boit sa dernière bière,

    Et en zélote de l'oubli,

    Il se jette à la mer.

     

    Il lui faut plusieurs heures

    Pour toucher le fond.

    Tout du long,

    Une à une,

    Les couleurs ont disparu.

    Assis sur le sable rugueux des abysses,

    Dans l'obscurité absolue,

    Il attend.

    Il attend d'oublier Alice.

     

    Mais les souvenirs ne disparaissent pas,

    Du moins pas comme ça,

    Elle est toujours là.

    D'ailleurs, la voilà qui approche,

    Pas à pas,

    Diaphane, dans un halo blanc,

    Avec aux lèvres son sourire affolant.

    Sa chère, sa tendre complice,

    La sublime Alice.

     

    Arrivée à ses pieds, elle s'arrête.

    Doucement, elle secoue la tête,

    Se penche tendrement, lui prend la main,

    Et dans un sourire étincelant,

    Le projette d'un geste serein

    Vers la surface de l'océan.

     

    Jeannot émerge,

    Il remonte sur son navire, non sans mal.

    Pendant un long moment, il gamberge,

    Hésite à l'idée de replonger,

    Puis il hausse les épaules, résigné :

    Jusqu'à la lie, il boira son calice.

    Après avoir hissé sa petite voile,

    Il repart vers sa destinée,

    Avec pour seule compagnie le souvenir d'Alice.

     

     

     

     


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    Galeuse, brebis de la bergerie évadée,

    Est à la recherche éperdue

    D'un loup depuis longtemps perdu de vue.

    Elle arpente plaines, montagnes et vallées

    Pour retrouver son canis lupus envolé.

     

    Solitaire, loup de la bergerie échappé,

    Pas trop fier, fuit depuis lors à corps perdu

    La brebis sur laquelle il avait jeté son dévolu.

    Il court à en perdre haleine, comme un dératé,

    Dans une fuite perpétuelle au goût de liberté.

     

    Le hasard, au soir de leur vie, sans crier gare,

    Les réunira nuitamment au bord d'un escarpement.

    La brebis aura depuis longtemps perdu espoir,

    Le loup aura presque oublié son cauchemar,

    Pourtant, ils se reconnaitront immédiatement.

     

    Ils passeront ensemble un long moment,

    Un loup sans dents ne pouvant facilement

    Égorger une vieille brebis,

    À la toison aussi fournie.

     

    Le loup mourra étouffé par la laine rassie,

    La brebis, bouffie de chagrin, se jettera dans le ravin.

    Une histoire d'amour ne finit pas toujours très bien,

    C'est pour cela qu'en général on en raconte pas la fin.

     

     

    Chassé croisé


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    Las de l'indifférence générale,

    Un colonel de l'armée de l'air

    Dont l'avion ne peut plus voler,

    Pour exprimer toute sa colère,

    Décide un beau jour de s'immoler,

    Au beau milieu de la place Ducale. 

     

    Il agonise dans un dernier râle,

    Complètement carbonisé,

    Sous le regard de badauds sans morale

    Et celui de leurs immondes portables.

     

    Bien vite caméras et regards défocalisent,

    Car une nouvelle attraction s'organise :

    Voici qu'arrive un cheval,

    Sur la place Ducale.

     

    Tous espèrent le voir glisser sur les pavés :

    S'il reste un peu de liquide inflammable,

    On pourra alors l'achever,

    Pour éradiquer la souffrance animale.

     

    Ainsi va le monde,

    Formidable.

     


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    Prisonnier d'une bulle d'air,

    Au milieu d'un océan inconnu,

    Sur une planète étrangère,

    (Planète invisible à l'oeil nu,

    En tout cas depuis la Terre)

    Les pensées du Gobelin dérivent.

     

    Au gré des courants, des lumières,

    Et du passage des baleines locales,

    Chevauchées par des sorcières imaginaires,

    Il repense aux raisons de sa présence

    Dans cette prison sidérale

    Aux murs en eau de mer.

     

    Tout est si beau, au milieu de l'eau,

    Sa punition lui semble finalement bien légère,

    Au regard des destructions massives

    De l'ouragan de feu, attisé par le vent,

    Allumé, un soir, par un Gobelin éméché et en colère,

    Avec une simple bouteille d'éther. 

     

    Tout cela à cause d'une passion ardente

    Et d'un petit problème d'adultère. 

     

    Élément perturbateur,

    Condamné à un perpétuel exil solitaire,

    Le Gobelin vogue en douceur

    Dans une bulle de torpeur salutaire :

    Ce n'est pas vraiment le bonheur,

    C'est juste une condamnation élémentaire. 

     

     

     

     


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    Ou comment une ZAD a été démantelée sans violence, à cause d'une recette de Zitonis farcis aux épinards :

    Ces pâtes délicieuses, dont tous les ingrédients bios étaient issus de la ZAD de la Fosse Ferchaud (dont l'ambition était la mise en échec de la construction d'une zone commerciale), étaient fabriquées dans un mini-atelier artisanal en tôles par Salvatore Disani, jeune Italien dynamique, entreprenant et solidaire. Il distribuait le fruit de son labeur à tous ses camarades, les troquant contre d'autres biens ou contre de simples sourires. (Surtout si les sourires étaient féminins.)

    Composition : Zitonis (farine de blé dur, eau, oeufs, sel) farcis aux épinards, à l'oseille et aux pleurotes et parfois avec la mozzarella de chèvre du gros Léon. (Quand le gros Léon réussissait sa mozzarella, ce qui n'était pas fréquent, vu qu'il oubliait souvent de traire ses chèvres. Et quand il n'oubliait pas la traite, il se gourait régulièrement dans la recette.)

    Ce plat est rapidement devenu l'emblème de la ZAD, sa dégustation était un passage obligé pour tous ses visiteurs. 

     

    Un beau jour, les camarades de Salvatore l'ont vu rejoindre une limousine qui s'était arrêtée en bordure du camp. Une dame d'un certain âge, très distinguée dans son manteau de vison, en est descendue et s'est adressée quelques instants à Salvatore. Puis, à la stupéfaction générale, ils sont tous les deux montés dans la voiture de luxe, et Salvatore est parti, sans un regard ni une parole pour ses compagnons de lutte, sans même récupérer ses maigres possessions. Abandonnant son atelier de tôles et une fournée de zitonis en cours de préparation. 

    Le lendemain, les journaux apprirent à ses camarades que suite au décès de son père, Guiseppe Disani, Salvatore lui succédait à la tête de l'empire agroalimentaire Disani-Picollo. (11 Mds € de CA, produits laitiers et plats cuisinés avec une diversification dans l'aéronautique et les systèmes de guidage de missiles, groupe côté à la bourse de Milan). 

    Quelques semaines plus tard, une recette industrielle des Zitonis aux épinards et à l'oseille a été commercialisée dans la plupart des grandes surfaces Européennes, sous une des marques du groupe Disani-Picollo. Elle a connu dès son lancement un vif succès.

    Un succès qui a eu d'importantes répercussions sur la ZAD, puisque certains de ses membres historiques ont été découverts en train de manger des Zitonis industriels en cachette sur le site. Par nostalgie selon eux, par trahison selon les autres. Ce qui démarra comme une simple engueulade se mua en quelques minutes en quasi guerre civile. 

    Quelques jours plus tard, la gendarmerie, assistée de quelques bulldozers, ne rencontra aucune résistance lors du démantèlement de la ZAD. Les zonards, éreintés par plusieurs jours de "Guerre des Zitonis" n'ont eu ni la force ni le courage de s'opposer aux gendarmes. Seul le gros Léon s'est fait arrêter pour "jet de projectile sur dépositaire des forces de l'ordre". En l'occurence quelques paquets de Zitonis qu'il n'avait pas eu le temps de consommer. 

    On peut d'ailleurs trouver ces zitonis dans les rayons du magasin Auchan qui s'est construit sur le site précédemment érigé en "Zone À Défendre". 

    Pour des motifs complexes liés aux réglementations fromagères Européennes, on ne peut pas y trouver de mozzarella de chèvre. Mais de l'avis de ceux qui ont pu y goûter du temps de la ZAD, ce n'est pas une grande perte pour le consommateur.

     

     

     

     


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    C'en est terminé pour les peintres,

    On peut dérouler le tapis rouge difforme,

    Sur lequel défileront bientôt des modèles filiformes.

    Les habilleuses passent par l'entrée des artistes,

    En maintenant bien hauts les cintres,

    Pour ne pas que se déforment

    Les robes chères et tristes.

     

    Dehors c'est l'émeute, la foule, énorme,

    Est venue admirer ces modèles affolants,

    Et ce faisant, empêche de passer la noblesse affolée.

    Pour que les invités puissent entrer,

    Pour que les modèles puissent défiler,

    La maréchaussée est autorisée à se défouler

    Sur l'assemblée excitée des fidèles.

     

    Finalement c'est parti,

    Les modèles ont pu se changer,

    Et enfiler leurs robes trouées.

    Les nantis ont tous pris place,

    Ils ont en main une coupe tiédasse.

    Ils échangent parfois des regards attristés,

    Face à ce défilé de corps affamés.

     

    Dehors,

    Les manants comptent leurs abattis,

    En rêvant de champagne et de canapés.

    La maréchaussée suce des glaces,

    En rêvant aux modèles qu'ils ont croisés.

    Pour ceux là, la soirée est finie,

    Ils vont bientôt libérer la grand place.

     

    À l'intérieur,

    La soirée ne fait que commencer.

    Certains modèles vont défaillir,

    Seront obligés de manger, c'est rageant.

    D'autres, pour la onzième fois, se feront déflorer,

    Ce ne sera pas dérangeant, si leur agent

    A bien reçu l'argent promis par l’émir.

     

     

    Les filles défilent, bien braves,

    Les pervers sortent du bois,

    Les nobles iront en enfer,

    Les manants vocifèrent,

    La caravane de CRS aboie.

     

    Finalement, tout le monde en bave,

    Ou en bavera.

     

     

     

     


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    C'est vraiment collant la toile d'araignée.

    On ne s'en rend pas compte habituellement, les quelques toiles parfois trouvées dans un angle de mur ou un sous sol ne présentent pas vraiment de difficultés pour un humain normalement constitué.

     

    Mais mon expérience personnelle sur le sujet a radicalement évolué au cours des dernières vingt quatre heures.

    Depuis que je suis collé au centre d'une toile d'araignée immense, elle même située dans une caverne obscure de Namibie.

    Au début, quand je me suis pris dedans, je n'ai pas identifié la matière dans laquelle je me suis retrouvé englué.

    C'est ma lampe torche qui m'a donné la réponse à mes interrogations : les motifs géométriques de la toile dans laquelle j'étais prisonnier étaient trop parfaits pour être dûs au hasard.

    Heureusement que je tenais ma torche en main quand je me suis pris dans la toile, sinon je serais encore moins bien informé. Et je n'aurais pas pu faire fuir l'araignée géante qui venait récupérer son casse-croûte, il y a quelques heures. Ma lampe torche l'a fait fuir, mais je ne suis pas certain que ce sera le cas la prochaine fois. Et je finirai bien par m'endormir, par lâcher ma lampe ou par mourir de peur.

    Il faut dire que la bestiole est énorme, poilue, noire, dotée des huit pattes règlementaires, avec des yeux immondes qui tirent sur le rouge. Je n'oublie pas les mandibules. Énormes les mandibules. Avec ça, aucun problème pour ouvrir un crane humain en mode casse-noix. Pour vous faire une idée, elle est plus grosse qu'un hippopotame. 

     

    Il va sans dire que je suis entièrement coincé, je ne peux presque pas bouger. J'arrive juste à manipuler un peu ma lampe avec la main droite, et j'ai réussi à décoller la tête, au prix d'une bonne partie de ma chevelure.

     

    Quelle idée à la con, quand même, de partir explorer tout seul une grotte qui vient d'être découverte, tout ça pour l'insigne honneur de pouvoir nommer une nouvelle espèce de chauve-souris et peut-être, avec un peu de chance, deux ou trois nouveaux coléoptères.

     

    Bon, si mon blouson n'avait pas été entièrement boutonné, je serais probablement parvenu à m'arracher de là en l'abandonnant à la toile. Une fois mes bras sortis des manches de mon blouson, j'aurais pu me saisir de l'un de mes couteaux et j'aurais pu découper ce qui devait l'être pour finir de me libérer.

    Mais non, cette veste c'est de la marque, les boutons sont super solides d'origine. Et en plus ma mère a tenu à renforcer les coutures des boutons avant mon départ, arguant du fait que si j'en perdais un ce serait la croix et la bannière pour en trouver un de la même couleur.

    J'aurais dû lui dire qu'il suffisait d'aller en acheter un chez le vendeur de blousons, mais j'ai depuis longtemps renoncé à argumenter avec ma mère. Ça n'en vaut pas la peine.

     

    Et puis il faisait froid dans cette grotte. Avec le manque de sommeil et de nourriture, je commençais à perdre en lucidité. Je n'allais pas commencer à m'engueuler avec ma mère, qui d'ailleurs n'était même pas là. 

     

    J'en étais là de mes réflexions désabusées, quand j'ai entendu du bruit dans mon dos. Comme des sons d'aspiration et de crissement sur de la glace.

    J'avais déjà le trouillomètre à zéro, mais j'ai trouvé le moyen de passer en valeurs négatives.

     

    J'ai dû m'évanouir, car je me suis retrouvé dans mon lit, chez moi, en nage. J'avais super froid. 

    Mon robot aspirateur cognait contre la porte de ma chambre. L'araignée que j'avais repérée dans le coin supérieur gauche de la pièce (vu de mon lit) n'était plus là. Je n'avais pas eu le courage de me relever pour m'en débarrasser la veille au soir. Je me suis saisi de mon téléphone, sur lequel le message de ma mère, reçu avant de me coucher, était toujours affiché. « Léonard, tu as oublié ta belle veste indiana djaune chez nous. Je vais te renforcer la couture des boutons, pour ne pas que tu les perdes ».

     

    J'ai commencé à pousser un gros soupir de soulagement, mais bizarrement je me suis rendu compte que je n'arrivais pas à sortir de mon lit. J'étais comme collé sur mon matelas. Mon trouillomètre a fait une nouvelle embardée.

    C'est à ce moment là, alors que j'étais encore à moitié endormi, que l'araignée géante s'est jetée sur moi et m'a bouffé.

    Quoi de plus normal de faire un rêve rassurant quand on s'endort épuisé au beau milieu d'une réalité cauchemardesque ? 

     

    Fort heureusement, l'araignée m'a recraché entier quelques instants plus tard, au milieu de la caverne, sans trop de dégâts (j'ai eu mal, quand même), et j'ai pu regagner la civilisation par mes propres moyens. Je suis même devenu célèbre grâce à cette aventure, et j'ai pu nommer la nouvelle espèce d'araignée géante qui a défrayé la chronique pendant plusieurs jours.  

     

    Tout ça grâce à ma mère.

    J'avais effectivement oublié mon nouveau blouson chez mes parents, quelques jours avant mon départ pour la Namibie. Après avoir recousu tous les boutons de mon blouson Indiana "Djaune", ma mère avait pris l'heureuse initiative de l'imperméabiliser avec un spray spécialement conçu pour cet usage. Un spray dont la composition contenait un répulsif bien connu des arachnophobes.

     

    J'ai nommé la nouvelle espèce d'araignée géante « Incredibili Tutela Matris » (pour Incroyable Mère Protectrice).

    C'est bien entendu plus qu'une espèce, c'est une nouvelle famille pour l'ordre des Araneae.

    Ma mère m'a lancé un regard inquiet quand je lui ai parlé de ma découverte d'une nouvelle famille, mais je l'ai vite rassurée en lui expliquant que quoi qu'il arrive, c'est toujours à elle que je confierai le renforcement des coutures des boutons de mes blousons "Indiana Djaune". 

     

     

     

     


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  •  Par Lucifer,

    Par Belzébuth,

    Par Guy Lux

    Et par surprise,

    J'ai par erreur

    Mis les doigts dans la prise.

     

    Faute de lumière,

    J'ai pris 220 volts,

    J'ai vu 36 Chandelles,

    Tous mes poils sont en révolte,

    Mais j'ai fait l'appel :

    Aucun de mes organes ne sera mis en bière.

     

     


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  •  

    Du fond de mon canapé,

    Je regarde tomber les étoiles,

    En bâillant aux corneilles.

     

    Un jour tombera le voile,

    Un jour tomberont les épées.

    Une fois mes racines coupées,

    Sonnera l'heure de mon réveil. 

     

    Et alors,

    Et alors,

    J'irai me coucher,

    Et je trouverai le sommeil. 

     


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  •  

    Je suis dégoûté !

    J'avais à peine terminé le roman post-apocalyptique sur lequel je travaillais depuis plus de 5 ans quand l'apocalypse, la vraie, s'est produite.
    Cette succession de crises (Covid-19, crise financière, Guerre des Corées, Covid-20, Guerre de Chine, Ebola-Nil) a anéanti la civilisation et a transformé l'Asie de l'Est en désert nucléaire.

    Dans ces conditions, la difficulté à trouver un éditeur pour publier mon chef d'oeuvre s'est fortement accrue.

    Déjà, il faut dire qu'il n'y a plus d'éditeurs.

    J'aurais bien publié directement sur Internet, mais il n'y a plus d'Internet non plus. Les rares réseaux électriques qui sont encore alimentés y donnent un vague accès, mais d'une façon très limitée, la plupart des serveurs et des infrastructures réseau étant hors ligne. Et la connexion est plus lente que celle de la fin des années 90.

    Le principal problème, c'est surtout qu'il n'y a plus de lecteurs.

    En plus mon apocalypse a été complètement dépassée par les évènements. Elle était bien plus inoffensive que celle que nous venons de prendre dans les dents. Carrément utopiste, même.

    À l'heure où j'écris ces lignes, en 2022, on ignore quelle proportion de la population humaine a a été décimée par ces crises successives. Avant que les derniers médias et les derniers réseaux ne rendent l'âme, les chiffres variaient entre 96 et 99 %. Si j'en crois le nombre de personnes croisées au cours des six derniers mois, je suis peut-être le dernier humain de la planète. Bon j'exagère, j'ai vu de la fumée une fois ou deux, au loin. 

     

     *_*

     

    Après la première pandémie de Covid qui a touché le monde en début d'année 2020, les mesures de confinement ont fini par déclencher une crise financière qui a lourdement impacté l'économie mondiale, mais surtout les États Unis, mettant des millions d'Américains sur la paille. 

    La Corée du Nord, voyant la guerre civile débuter aux États Unis, suite à une histoire de trucage des élections Américaines par la Russie et la Chine, a cru avoir une occasion en or pour redémarrer les hostilités avec la Corée du Sud. Les deux pays furent rayés de la carte en Décembre 2020 sous un feu nucléaire croisé.  

    Les tensions entre la Chine et les États Unis (ou plus précisément l'Alliance des Côtes Américaines, qui avait la main sur l'appareil militaire Américain) ont alors escaladé jusqu'au point de non retour, au moment où le Covid 20, beaucoup plus virulent que le Covid 19, faisait des ravages dans la population mondiale. 

     

    Quelques mois après la guerre (d'une journée) entre l'Alliance des Côtes Américaines et la Chine, qui a vu la Chine périr sous le feu nucléaire (son propre arsenal ayant été saboté ou bombardé), la situation était déjà critique :

     

    D'après les informations qui nous parvenaient, la guerre civile faisait toujours rage dans les anciens États-Unis. L'Alliance des Côtes (Est et Ouest) avait récemment perdu la région des grands lacs qu'elle avait conquise de haute lutte en début d'année 2021, peu de temps après avoir trucidé 1 milliard de Chinois (à 100 millions près, on ne va pas chipoter). Le but de l'Alliance était toujours de relier les deux territoires principaux qui la composaient en s'emparant de toute la frontière avec le Canada, mais elle était toujours en échec dans les Montagnes Rocheuses, avant de subir une lourde défaite dans la région de Chicago.

     

    En Amérique du Sud, la guerre entre l'Équateur et la Colombie, liée à un obscur conflit territorial, avait fini par s'étendre à tout le sous continent.

     

    L'Arabie Saoudite avait profité du chaos généralisé pour écraser le Quatar et l'Iran, profitant d'une alliance objective avec les Israéliens. L'Égypte avait essayé d'envahir Israël, sans succès. 

     

    L'Australie était à feu et à sang, toute l'Asie du Sud-Est qui avait pu mettre la main sur une embarcation ayant débarqué sur les côtes nord de l'île-continent. D'abord plutôt conciliante pour accueillir les réfugiés fuyant les retombées radioactives des bombes qui avaient anéanti les Corées et la Chine, l'Australie a commencé à refuser aux bateaux d’accoster lorsqu'elle a jugé qu'elle ne pourrait pas accueillir plus de 30 millions de réfugiés, ce qui a instantanément déclenché la révolte de ceux qui étaient déjà sur son sol.

     

    En Inde également, la pression démographique des réfugiés du Sud-Est asiatique était énorme, et avait tourné aux émeutes anti-migrants dans certaines régions.

     

    Quant à la Russie, qui n'avait jamais réouvert ses frontières après la pandémie du Covid 19, personne ne savait ce qui s'y passait.

     

    Face à la rumeur d'une vague de famine sans précédent provoquée par l'anéantissement de la Chine (sans que l'on puisse vraiment identifier le lien de cause à effet), une énorme vague d'immigration Africaine s'était également lancée à l'assaut de l'Europe, en passant par la Turquie, qui en a profité au passage pour armer les migrants, « afin qu'ils puissent plus facilement se faire ouvrir les portes ».

    Ce qui a immédiatement déclenché une guerre entre les Européens et la Turquie, aujourd'hui presque totalement rayée de la carte par l'attaque conjuguée des Anglais, des Français et des Israéliens. Bien entendu cette guerre a aussi engendré une révolte des turcs et des Africains présents sur le sol Européen, transformé de facto en Balkans géants.

     

    Il y a avait donc la guerre partout ou presque en milieu d'année 2021, quand le virus Ébola-Nil a frappé. On suppose qu'il a été fabriqué par une grande puissance avant d'être diffusé simultanément dans le monde entier, tant la pandémie a été soudaine : fin Avril, il n'existait pas, fin Mai, la moitié de l'humanité avait péri.

    Le virus a poursuivi sur sa lancée jusqu'à la fin de l'année, le massacre prenant fin faute de combattants. Sans que l'on sache si les survivants étaient des chanceux ou des immunisés.

     

     *_* 

     

    Il n'y a plus ni armée, ni police, ni État, ni justice, ni services de santé. C'est la loi de la jungle. Mais je suis assez confiant sur le fait que quelque part, dans le pays, il y ait encore un service des impôts avec un ou deux fonctionnaires zélés qui attendent en tapant du pied les déclarations des contribuables pour l'année 2021.

     

    Les vivres se font rares, surtout en ville. C'est pour cette raison que je me suis mis au vert. 

    J'ai réussi à me constituer un cheptel d'animaux, récupéré dans des fermes, et je n'aurai pas de soucis pour m'alimenter dans les années à venir. J'ai même réussi à récupérer une partie des récoltes abandonnées dans les champs. 

     

    Au cours de l'hiver j'ai utilisé mon manuscrit de roman post-apocalyptique pour faire du feu.

    J'écrirais bien que ça ne m'a fait ni chaud ni froid, mais ce serait faux.

    Depuis, je me suis lancé dans un récit dystopique au long cours, en partant du postulat suivant : que ce serait-il passé si il n'y avait pas eu de pandémie de Covid 19 en début d'année 2020 ?

    Ça, c'est de la SF !

     

     

     


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    La première fois que j'ai vu Léa avaler une mouche, elle ne devait pas avoir beaucoup plus de trois ans.

    La famille était attablée dans la salle à manger de notre maison de campagne, dans le Vercors. Léa était debout, près de la porte fenêtre. Elle regardait fixement le sol. Elle s'est tournée vers la table, nous avons échangé un regard furtif, mais elle a aussitôt porté son attention sur les autres convives.

    Voyant que les grandes personnes l'ignoraient, elle s'est penchée, puis elle a tendu sa petite main pour attraper une mouche morte reposant sur le carrelage. Sans l'ombre d'une hésitation, elle l'a aussitôt mise dans sa bouche. Ce qui était probablement le signe que ce n'était pas une première. Elle l'a mâchée, et a terminé en lançant un « miam, bon ! » en me regardant et en se frottant le ventre. Avec je crois un petit air de défi dans le regard. J'extrapole probablement un peu cette impression, mais c'est vraiment le souvenir que j'ai de ce moment.

    Quand, incapable de me contenir, j'ai rapporté la scène à toute la famille, celle ci a plutôt pris ça à la rigolade, hormis la grand mère qui s'est inquiétée. Mais il faut dire qu'elle s'inquiétait pour tout, sans aucune échelle de gravité, adoptant des expressions horrifiées identiques en toutes circonstances ; aussi bien pour du vin renversé sur une nappe que pour le début d'un orage ou pour l'annonce d'une maladie incurable chez un membre de sa famille. 

    Le père de Léa (qui n'était pas le mien) a même lancé «  on en fera une entomologiste », ce qui a fait rire la tablée. J'ai ri avec eux, mais je ne savais pas ce que c'était un entomologiste. Je n'avais que 7 ans, et Wikipédia n'existait pas. 

     

    Dans les années qui ont suivi, j'ai souvent surpris Léa en train de manger des mouches. Comme cette habitude était jugée répugnante par tout le monde, elle avait pris l'habitude de faire ça en cachette, mais elle faisait une exception pour son grand frère. Plusieurs fois, pour me convaincre que « c'était super bon » elle m'a proposé d'y goûter, me présentant au creux de sa main un petit insecte ailé comme d'autres m'auraient présenté une fraise tagada. Hormis cette habitude désolante, c'était une petite fille normale, vive d'esprit, avec beaucoup de caractère. 

    Mais la sale habitude de ma sœur a fini par inquiéter notre mère, qui ne s'inquiétait pourtant pas pour grand chose, probable conséquence d'avoir été élevée par une femme qui s'inquiétait pour tout. Quand elle a découvert une boite d'allumette pleine de mouches mortes dans un des tiroirs du petit bureau de la chambre de Léa, elle a renoué avec un comportement classique de parent, à la frontière entre l'inquiétude, l'embarras et la panique.

    Peu après, Léa a commencé à faire le tour des psychologues et des psychiatres de la ville. Ça a duré plus d'un an, puis un beau jour notre mère a fièrement annoncé à toute la famille, à nouveau réunie un dimanche dans le Vercors, que « le problème était résolu ». 

    Pour appuyer sa démonstration, elle a demandé à Léa de le confirmer. Du haut de ses 6 ans, ma petite soeur a prononcé quelques phrases de contrition (de mémoire quelque chose du genre « les mouches c'est caca, je préfère le nougat ») qui avaient un accent de vérité. À l'issue de son speech, elle n'a cependant pas pu s’empêcher de me faire un clin d'oeil, à l'insu des adultes.  

    En plus de son caractère affirmé, elle avait déjà à cet âge un talent d'actrice indéniable. 

    Elle avait désormais bien compris que son addiction pour ces petites bêtes volantes n'était pas convenable, et encore moins acceptable. Elle avait décidé de ne plus jamais se faire prendre en flagrant délit. De sa fréquentation des cabinets médicaux, elle a seulement conservé une haine tenace des psychiatres. 

     

    Au cours des cinq années qui suivirent, elle n'a d'ailleurs plus jamais été surprise en train de manger une mouche par un membre de la famille (précision faite que je m'exclue avec plaisir de ce groupe). Je savais par le bouche à oreille qu'elle se livrait parfois à des paris dans les cours d'école, à la fois par goût et pour gagner un peu d'argent de poche. Ça lui a valu une réputation de timbrée et un cercle d'amis très restreint. Évidemment ses exploits ont fini par remonter jusqu'aux oreilles de ma mère (il y a toujours des cafteurs), mais Léa s'en est sortie en prétendant que c'était juste pour épater la galerie et pour se faire un peu d'argent de poche. Ça n'a pas été plus loin, grâce à la force de persuasion de Léa et au fait que notre mère avait renoué avec son degré d'inquiétude très faible. 

    Léa a été punie pour la forme, mais elle s'en moquait, concentrée qu'elle était sur sa clarinette, à laquelle elle consacrait plus de deux heures par jour depuis quelques mois. Sur les conseils d'un psychiatre qui avait affirmé à ma mère que « pour vaincre une addiction, le plus simple c'est souvent de la remplacer par une autre, moins néfaste ». Elle avait commencé par le piano dès ses six ans, mais l'amatrice de mouches s'était logiquement tournée vers un instrument à vent dès que son souffle le lui avait permis.

    À l'époque j'étais bien moins collabo que dans ma tendre enfance. Je n'ai donc jamais fait mention à la Kommandantur familiale des paris de cours d'école qui me vinrent aux oreilles par la suite, ni de mes constatations, puisque ma sœur m'a toujours considéré comme une sorte de complice silencieux, une sorte de Bernardo des diptères. Il faut dire aussi que le don de Léa pour la musique était éclatant et qu'elle était en passe de devenir une star locale, remportant tant de concours que son père finit par faire l'acquisition d'une armoire à trophées.

     

    Dans ces années là, ma petite sœur et moi ne nous fréquentions pas beaucoup. Il y avait déjà la barrière de l'âge, mais c'est surtout que nous n'étions jamais ensemble pendant les vacances, rarement pendant les week ends, et en semaine ma pratique du foot et sa fréquentation assidue du conservatoire ne nous laissaient en commun que quelques repas familiaux. Il n'y avait guère que les petits déjeuners au cours desquels nous étions seuls tous les deux. 

    J'étais un adolescent blasé, et je ne m'offusquais pas outre mesure de la voir régulièrement parsemer ses Miel Pops de grosses mouches noires, qui finissaient inévitablement par surnager dans le lait, telles des pépites de chocolat flottantes. À vrai dire, à force de la regarder manger ses mouches, j'avais fini par m'habituer. En dehors de cette manie elle se comportait à peu près normalement pour une gamine de onze ans. Ça se terminait toujours par un clin d'oeil, avant qu'elle ne mette son bol au lave-vaisselle. 

    Je suppose que ma fausse indifférence faisait effectivement de moi un complice, tant cette histoire de mouches était complètement sortie de l'esprit de la famille, qui prenait le plus grand soin à ne jamais évoquer le sujet. Mais le boomerang n'allait pas tarder à leur revenir dans les gencives. 

     

    Au cours de l'hiver de ses onze ans, Léa s'est subitement fait renvoyer du conservatoire.

    Il faut dire que son élevage illégal de mouches, soigneusement dissimulé dans les sous-sols de l'établissement, était assez mal passé auprès de la direction. Une direction qui avait subi plusieurs inspections des autorités préfectorales les mois précédents, suite à des parents et des professeurs qui avaient porté réclamation. Le rapport des enquêtes administratives faisait mention de salles de répétitions « infestées de mouches », signe d'une hygiène déplorable. Le directeur avait même reçu un blâme.

    Plusieurs semaines de recherches intensives avaient été nécessaires pour trouver l'origine de l'infestation, un petit placard de la chaufferie fermé à clef. Le responsable de la maintenance avait dû forcer le placard pour l'ouvrir, occasionnant un nouveau nuage de mouches dans tout le conservatoire.

    Léa a été dénoncée par son complice, Alban, fils du directeur de l'abattoir local (joueur de tuba médiocre, mais seul élève en mesure de lui fournir des têtes de mouton pour produire des mouches en plein hiver.) Le jeune tubiste, suspect évident, a négocié directement avec le conservateur le nom du « cerveau de l'affaire » en échange de son renvoi immédiat et définitif. Son rêve étant de jouer au foot, sa trahison était, sinon légitime, au moins compréhensible.

     

    À l'annonce du renvoi, la famille est tombée des nues, tant elle avait voulu se convaincre de la « guérison » de Léa. J'ai bien entendu été interrogé, et j'ai nié avec vigueur avoir la moindre connaissance de sa « rechute ». Il en allait de mon argent de poche mensuel. 

     

    Léa fut confinée dans sa chambre pendant les jours qui suivirent son expulsion. Chambre dans laquelle plusieurs caches de mouches avaient été découvertes, suite à une fouille minutieuse. 

    Le père de Léa, d'un naturel calme, est entré dans une colère noire, qui a duré environ deux minutes. Une fois calmé il a décidé de confier le dossier à sa femme, car « il n'avait pas de temps à perdre avec ces conneries ». Il faut dire qu'il avait de grosses responsabilités à cette époque dans son travail. Il avait été chargé par son N+2 de mettre en place d'urgence « un protocole d'intégration des sous-comités de chaque service dans le processus décisionnel d'affectation du budget des services généraux ». 

    Quand il évoquait le sujet avec gravité au cours des repas, ça semblait vraiment très important.

    J'ai appris plus tard qu'il s'agissait d'organiser une répartition équitable des Post-it entre les différents services du siège social de sa boite, la Cogecem. La mission lui avait été confiée suite à une prise de bec (avec tirage de cheveux) entre la sous-directrice de la comptabilité analytique et la secrétaire de direction du directeur des ventes Amsud.

     

    Bref, c'est notre mère qui a géré comme elle a pu la « rechute ». Léa a été condamnée à rester dans sa chambre, privée d'école et bien évidement de conservatoire, n'ayant d'autorisation de sortie que pour son hygiène personnelle, ses repas, et ses visites à ses psychiatres. 

    Comme elle n'avait pas été privée de son instrument, la clarinette résonnait dans l'appartement quasiment en continu du matin jusqu'au soir, au grand dam de nos voisins. 

    C'est la surveillance renforcée de sa mère au cours des jours suivants qui mena à une seconde révélation, encore plus choquante que la « rechute ». 

    Léa avait reçu une interdiction totale de s'enfermer dans sa chambre ou dans la salle de bain, de façon à pouvoir subir des contrôles anti-mouches inopinés. Notre mère, en pénétrant dans la salle de bain pendant que sa fille prenait une douche, fit une découverte stupéfiante : deux ailes diaphanes qui émergeaient des épaules de sa fille. Des ailes transparentes tachetées de noir, des ailes de mouches format XXL.

    Sa première réaction fut de conduire immédiatement Léa aux urgences. Elle fut hospitalisée dans la foulée, pour subir des examens complémentaires, plusieurs professeurs de l’hôpital local se voyant déjà en couverture de Nature ou du Lancet. 

    Le cas de Léa finit immanquablement par attirer les médias (parce qu'il y a aussi des cafteurs dans les hôpitaux), et l'affaire fit grand bruit au niveau local, avant de passer au niveau national, puis international. J'ai même été interviewé par CNN à ma sortie du collège dans la semaine qui a suivi. Mon anglais était tellement bon que le Ministère de l'éducation Nationale a lancé dans la foulée un « grand plan d'amélioration de l'apprentissage des langues au collège ». 

    Pendant ce temps là, Léa était toujours confinée dans notre appartement, dans l'attente des décisions judiciaires. 

    Effarée par l'attitude des médecins qui avaient refusé de procéder à l'ablation des ailes de ma sœur, la famille avait pris un avocat, dans le but d'obtenir une décision du tribunal administratif obligeant l'hôpital à amputer Léa de ses ailes de mouche. 

     

    Personne n'avait demandé l'avis de Léa sur la question. Elle n'avait que onze ans, bientôt douze, et son avis n'intéressait personne. 

    Elle a donc décidé de prendre les choses en mains, ou plutôt les choses en ailes.

    Et elle s'est envolée. Littéralement. 

    Elle a découpé ses vêtements pour s'y aménager des passages d'ailes, puis s'est élancée dans le vide. Nous habitions au 7ème étage.

    J'ai entendu toquer à ma fenêtre, j'étais dans la chambre qui jouxtait la sienne. J'ai ouvert le rideau, ma sœur était en vol stationnaire et me faisait des signes de la main, hilare. 

    Puis elle est allée survoler la nuée de journalistes qui faisait le pied de grue au bas de notre immeuble depuis plus de deux semaines. Elle leur a même joué un petit concert de clarinette en vol stationnaire, avant de rejoindre sa chambre.

    Le recours administratif pour l'ablation de ses ailes a été rejeté deux jours plus tard. Il y avait tellement de journalistes au pied du tribunal administratif que la circulation a du être coupée dans l'artère principale de la ville.

     

    Quelques semaines plus tard, l'effervescence médiatique un peu retombée, Léa a repris une scolarité normale. À l'exception des paparazzis qui ont un temps planqué devant le collège. Elle n'a pas été réintégrée au conservatoire, mais son professeur préféré lui a trouvé une nouvelle école de musique. 

    L'avocat de la famille, faute de nouvelles poursuites à engager, a été chargé de trouver un agent artistique pour gérer la carrière de Léa. Elle a donné des concerts de « clarinette volante » qui ont eu beaucoup de succès pendant quelques mois, mais elle a vite arrêté lorsqu'elle s'est rendue compte que les gens ne venaient pas pour sa musique. 

    Ce qui a donné lieu à une nouvelle crise avec son agent et la famille. 

     

     

    Huit mois après la révélation au monde de l'existence de Léa, une deuxième « petite fille volante » est apparue devant la presse mondiale, en Hollande. Quelques mois plus tard, une nouvelle apparaissait au Brésil, puis presque aussitôt une autre au Japon.  

    Depuis c'est devenu tellement commun que seule la presse locale se déplace pour documenter les nouveaux cas. 

    Aujourd'hui, Léa ne se cache plus pour manger des mouches. Mais elle n'en consomme presque plus. 

    Elle ne trouve plus ça marrant. 

    Elle a terminé ses études normalement, au conservatoire de Paris, avant d'intégrer un orchestre philharmonique de réputation mondiale, sous un pseudonyme. La plupart de ses collègues ignorent qu'elle est la première « petite fille volante ».

    Elle travaille actuellement à l'adaptation en Opéra du livre célèbre de William Golding "Lord of the Flies".

     

     


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    Comme un poisson,

    Qui ne sait pas nager

    Et coule au fond de l'eau,

     

    Comme un oiseau,

    Qui ne sait pas voler

    Et préfère faire du vélo,

     

    Comme un mille-pattes,

    Qui ignore comment nouer

    Les lacets de ses chaussures,

     

    Comme la brebis,

    Qui défie les chiens de bergers

    Et ne craint pas les morsures,

     

    Comme un Hibou,

    Qui veut le jour chasser

    Et la nuit dormir,

     

    L'ours Casimir ronfle en été

    Et veut hiberner

    Jusqu'à la fin de l'avenir. 

     

    Il a refusé de se déconfiner

    Car il voulait éviter

    D'être contaminé par des cons finis.

     

     

     

    Devant sa caverne se trouve une pancarte

    Sur laquelle on peut lire : 

    "Bande de tartes,

    Réveillez moi quand vous aurez besoin d'un roi.

    Dans tous les autres cas,

    Passez votre chemin si vous ne voulez pas

    Provoquer mon ire et me servir d'encas."

     

     

    Voilà une position peu banale

    Qui ne manquera pas d'entrer dans les annales.

     

     

     

     


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    Monsieur le Juge d'instruction,

     

    Suite à ma dernière audition dans vos locaux, je tenais à vous écrire car je pense que je me suis parfois mal exprimé, et je souhaite apporter à mes déclarations quelques éclaircissements. Certains des faits que je vous ai relatés au cours de l'audition ne l'ont probablement pas été de façon claire, et ont pu vous donner une fausse image de ma personnalité.

     

    Comme je vous le disais, je ne nie pas les faits qui me sont reprochés, mais je tiens à rétablir le contexte dans lesquels ils se sont produits.

     

    Tout d'abord, j'ai fait l'acquisition d'un bébé tigre d'une façon que je croyais parfaitement légale, sur un site internet américain. Il est exact que je ne me suis pas présenté comme un particulier, mais je n'y peux rien si les américains n'ont pas vérifié que Zooval était mon nom de famille.

     

    J'ai reçu le bébé tigre par colis UPS en Avril 2017. Pendant les 6 premiers mois, tout c'est bien passé, le tigre se comportant au départ comme un chaton, puis comme un gros chat par la suite.

     

    Il est vrai que ma femme a commencé à avoir des doutes sur le long terme quand notre tigre (que nous avions nommé « Minou ») a commencé à rapporter lors de ses sorties nocturnes des animaux des plus en plus gros. Au début, les souris et les rats, c'était plutôt sympa. Josiane a toujours eu horreur des rongeurs. C'est pour cette raison que je n'ai pas essayé de limiter son comportement de prédation (pas celui de Josiane, celui de Minou). J'ai eu tort sur ce coup là, je le reconnais.

    Je n'ai pas réagi non plus quand il commencé à rapporter des taupes, des hérissons, des pigeons et des corneilles.

     

    Mais je vous assure que lorsqu'il a ramené son premier chat domestique, nous avons pris immédiatement la décision de ne plus le faire sortir de la maison. À ce moment là, il avait 10 mois et il était déjà assez gros, mais il écoutait encore assez bien.

     

    Le problème de Minou, c'est qu'il avait pris l'habitude de sortir. Et il n'a pas compris qu'il devait rester dans la maison. Il nous a tout fait : ouverture de la porte d'entrée avec les pattes, passage par les fenêtres ouvertes du premier étage. Il a a réussi plusieurs fois à forcer la baie vitrée de la véranda, et une fois Il a même essayé de creuser un tunnel dans la salle de bains. J'ai dû refaire tout le carrelage.

    Bien sûr, je me suis inquiété de le voir ramener des animaux morts de plus en plus gros à l'issue de ses escapades. Mais je dois dire que le Berger Allemand, ça m'a fait un choc.

    Je reconnais que j'ai enterré trois chiens et douze chats dans mon jardin. Mais qu'auriez vous fait à ma place ? Vous les auriez laissé pourrir devant la porte de votre véranda ? Ça n'aurait pas été très hygiènique.

     

    Ce n'est pas de ma faute si Minou était un génie. Il s'est même caché dans le coffre de la voiture, une fois. Mais je ne sais pas si il l'avait fait exprès. Josiane a eu une peur bleue en ouvrant le coffre pour y ranger sa valise.

    C'est le jour où elle m'a quitté, d'ailleurs. Je m'en souviens, Minou venait d'avoir 18 mois. 

     

    J'avoue qu'à cette période j'avais en effet des difficultés financières pour nourrir Minou. Il faut dire qu'il n'était jamais rassasié. Il lui fallait au minimum 8 kilos de viande par jour pour le calmer un minimum. Mais ses sorties nocturnes n'ont jamais été une façon pour moi d'éviter les dépenses d'alimentation, comme vous avez semblé le suggérer perfidement lors de mon audition.

     

    Les rares fois où j'ai oublié de le nourrir, il a tout cassé dans la maison. Il a même fait tomber mon aquarium tropical de 600 litres par terre pour pouvoir manger mes poissons exotiques. Il a bouffé toute la famille de Discus que j'entretenais avec passion depuis des années, et à laquelle j'étais très attaché. 

    Quand je suis rentré du travail ce jour là, il y avait de l'eau dans toute la maison.

    Ce jour là, je l'ai grondé.

    Mais quand j'ai essayé de l'enfermer de force dans sa cage, il s'est rebiffé et s'est montré menaçant envers moi. C'était la première fois.
    C'est à ce moment là que je me suis demandé si je n'avais pas fait une bêtise en adoptant ce tigre.

     

    Mais je certifie sur l'honneur, Monsieur le Juge, que je ne l'ai pas volontairement abandonné dans la forêt de Rambouillet.

    Il se trouve que j'avais pris l'habitude, depuis qu'il ne sortait plus seul la nuit, de le mettre sur les sièges arrière de la voiture et de l'emmener en ballade, pour le déstresser. Il appréciait beaucoup ces sorties. 

     

    Il se trouve que dans la nuit du 11 Juin 2019, alors que je m'étais arrêté en imite de la forêt de Rambouillet pour satisfaire un besoin naturel, j'ai mal refermé ma portière quand je suis descendu de voiture. 

    Minou en a profité pour s'enfuir, je ne suis pas arrivé à le retenir. Il faut dire qu'à ce moment là il était adulte, et devait peser largement plus de 200 kilos. 

     

    Alors c'est vrai, j'aurais dû prévenir les autorités. J'avais prévu de le faire dès le lendemain matin, mais j'ai trouvé porte close au commissariat qui était sur le chemin de mon travail. J'avais prévu d'y repasser le soir, mais quand j'ai entendu à la radio qu'un tigre avait dévoré deux promeneurs en foret de Rambouillet, j'ai fait le rapprochement, et j'ai pris peur.

     

    Après cela, le battage médiatique fait autour des attaques suivantes ne m'a pas incité à venir me dénoncer. De toute façon, Monsieur le Juge, si je m'étais dénoncé ça n'aurait rien changé. Minou n'a jamais obéi à mes ordres de rappel. Cet animal n'en faisait qu'à sa tête. 

     

    Lorsque une semaine après l'évasion de Minou j'ai trouvé le cadavre à moitié dévoré d'un homme habillé en tenue de chasseur sur le pas de ma porte, j'ai paniqué.

    Je tiens toutefois à vous faire remarquer que je ne l'ai pas enterré avec les animaux, mais dans une autre partie de mon jardin.

     

    Alors, j'admets que je me suis mal exprimé pendant notre entretien, je suis désolé pour les 17 victimes de Minou. Contrairement à ce que je vous ai dit, je ne pense pas que tous ces gens se soient montrés menaçant envers lui. C'est certainement lui qui les a attaqué, parce que c'était dans sa nature. 

     

    Bien entendu, je regrette tout ce qui s'est passé, et je tiens à présenter mes excuses aux familles des victimes. J'ai commencé à rédiger des lettres d'excuses.

     

    Et pour répondre à votre dernière question, non : au moment des évènements, je ne me souvenais plus qu'il y avait mes coordonnées sur le collier de Minou. Ce n'est que lors de ma garde à vue que j'ai compris comment la gendarmerie m'avait retrouvé.

     

    Enfin, contrairement à ce que j'ai pu dire dans votre bureau sous le coup de l'émotion, je n'ai pas l'intention de porter plainte contre la gendarmerie, même si j'estime qu'ils auraient pu endormir Minou au lieu de l'abattre.

     

    Espérant que vous voudrez bien prendre en compte mes explications et que celles ci permettront d'adoucir un peu votre jugement sur mes actions, veuillez agréer, Monsieur le juge d'instruction, l'expression de mes respectueuses salutations.

     

    Georges Zooval

    Prison de Fleury Mérogis.

     

     


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  •  

    Je suis un fleuve d'ignorance

    Dans lequel s'ébattent

    Encore de petites connaissances

    Aux reflets argentés.

     

    Si j'essaie de les attraper,

    Elles se débattent,

    Et finissent par m'échapper.

     

    Pour éviter la démence,

    Je me contente d'admirer la danse

    Des dernières rescapées :

     

    Elles sont vives et délicates,

    J'ai beaucoup de chance,

    Pour un fleuve aux eaux grises

    Et aux rives décapées.

      

     

     


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  • 3ème épisode des encaisseurs.

    Lien vers la première partie : la phrase d'introduction

    Lien vers la deuxième partie : gaufrettes à gogo

     

     

    Il y avait quelqu'un qui menaçait notre business. Ron et moi étions remontés. Enfin, surtout moi. Ron était surtout préoccupé par ses récents problèmes de digestion et avait même évoqué une possible visite à un médecin.

    Je ne savais pas trop si c'était du lard ou du cochon, vu que de mémoire d'homme je n'avais jamais vu Ron fréquenter un quelconque office médical. Sauf pour des raisons professionnelles, évidement. Qu'il s'agisse de dentistes dingues de roulette (dans les casinos), de cardiologues avec des problèmes de coeur (à cause de call-girls pas dans leurs moyens) ou d'addictologues trop soucieux de comprendre leurs patients (au point de les imiter) : nombre de représentants du corps médical étaient et sont toujours nos clients réguliers.

    Mais il était peu probable que Ron aille voir un docteur pour se soigner, et prendre ainsi le risque de faire face au seul individu sur Terre capable de lui suggérer de manger un peu moins. Sans y perdre sa dentition, j'entends.

    C'était juste sa façon à lui de me taquiner. Il savait que j'étais responsable de sa soudaine aversion pour les gaufrettes. Je savais qu'il savait, et il savait que je savais qu'il savait. Tout ça sans jamais évoquer frontalement le sujet, vu que nous étions tous les deux en tort : lui par excès de gloutonnerie, moi par excès de fourberie. Et puis après tout, nous étions des hommes : cela faisait longtemps que nous avions acquis à la dure des principes essentiels de survie, comme la règle consistant à ne pas évoquer des choses potentiellement désagréables quand ça ne semble pas indispensable.

     

    Ça s'est terminé assez rapidement, cette histoire de docteur. Après quatre ou cinq gueuletons. À mes frais. Et pas dans des crêperies.

    Si le bon fonctionnement de mon partenariat avec Ron me tenait à coeur, j'étais surtout concentré sur la recherche de notre saboteur, celui qui prévenait nos clients de nos visites. Dans notre métier un client prévenu est souvent un client envolé. Et si le client prévenu n'est pas envolé, il devient potentiellement un client dangereux.

    Le fait que le saboteur ait poussé le vice jusqu'à informer nos clients de l'histoire des gaufrettes était plutôt bon signe. C'était le signe qu'il pensait être malin, alors qu'il ne l'était pas. 

    Si il s'était contenté de prévenir les clients, il nous aurait fallu plus de temps pour découvrir le problème. 

    C'était aussi le signe qu'il cherchait avant tout à ruiner notre réputation dans le milieu, en faisant capoter nos procédures de recouvrement amiable.

    Si désormais le problème de fond (les gaufrettes) était plus ou moins sous contrôle, on ne pouvait pas laisser passer ça. Quand un jobard te marche sur les arpions, tu ne te chausses pas d'espadrilles en attendant qu'il remette ça. Ou alors t'as un problème.

     

    Pour trouver qui était derrière cette opération, j'ai opéré méthodiquement. Je ne connais pas d'autre façon de procéder. 

    D'abord, dans la deuxième quinzaine de Septembre 2018, nous sommes allé interroger nos donneurs d'ordre. Ça aurait été simple si toutes les affaires avaient été liées à un même donneur, mais ce n'était pas le cas. Nos donneurs d'ordre ont tous juré qu'il n'étaient pour rien dans les fuites, mais ça ne nous a pas empêché de les questionner. En fait je voulais surtout identifier nos concurrents, ceux qui pouvaient bénéficier de nos difficultés, récupérer nos missions après nos échecs.

    Je n'ai rien appris de bien nouveau, nous les connaissions quasiment tous. Nous avions une liste de quatorze suspects, quatorze concurrents susceptibles de récupérer notre boulot en cas de défaillance de notre duo. Pour la plupart des équipes sérieuses, certaines avec lesquelles nous entretenions des rapports de courtoisie professionnelle, sinon amicaux. 

     

    Dans un deuxième temps, j'ai cherché par quel moyen le saboteur avait récupéré les infos sur nos clients. J'avais désormais la certitude qu'il ne les avait pas obtenues directement de nos donneurs d'ordre.

    J'ai donc fait appel à une des plus grosses pointures en sécurité électronique de la région : Mario Gallapagos. Un des trois ou quatre gars sur la Région Parisienne capable de dupliquer un I-Phone à distance, spécialiste du matériel d'espionnage à la James Bond et amateur de grosses cylindrées. Ce qui nous avait permis de faire sa connaissance quelques années plus tôt.

    Mario a une boutique de téléphonie dans le 18ème, qui lui sert de devanture pour ses autres activités.

    Il a procédé à une analyse de nos téléphones portables : ils n'étaient pas piratés. Puis il est passé à la voiture. Il n'y avait pas de mouchard dans le moteur ou sous la carrosserie. Mais le GPS de la voiture, lui, était infecté par un malware. 

    Il faut dire que j'avais la mauvaise habitude de programmer les trajets vers nos clients la veille de nos déplacements. Ce qui avait rendu la tâche facile à notre concurrent indélicat, vu qu'il récupérait toutes les infos entrées dans notre GPS en temps réel.

     

    Nous savions donc comment nous étions doublés. Mais nous ne savions toujours pas par qui. Mario n'a pas pu localiser chez qui les données de notre GPS arrivaient. Une histoire d'IP, de proxys, de comptes anonymes. Les gars qui avaient piraté le GPS n'étaient pas du niveau de Mario (selon lui), mais ce n'étaient pas des tocards. La piste s'arrêtait net sur un serveur situé aux Philippines. Un serveur du ministère de l'agriculture Philippin. Une impasse.

    Ce qui en soi était déjà une information. Et a donné envie à Ron de manger dans un restaurant Philippin. On trouve de tout à Paris.

    Après cela, nous avons tenté de remonter la piste des clients. Ils avaient été forcément prévenus par un moyen ou par un autre. Cet autre étant probablement leur téléphone, mais une vérification s'imposait.

    Ça nous a donné un prétexte pour rendre une nouvelle visite à Sophia, la copine de Cindy Mc Farlane. 

    Nous étions début Octobre, Sophia était donc beaucoup plus habillée que la dernière fois quand elle nous a ouvert la porte de son appartement. Nous ne l'avions pas prévenu de notre visite et elle était assez surprise de nous voir, et à mon grand regret pas très contente : 

    - Cette fois ci, je vous assure que Cindy n'est vraiment pas là, elle est repartie chez ses parents à Brooklyn. Et son problème d'agent a été réglé.

    - Oui, on ne vient pas pour ça, lui répondis-je avec le ton le plus aimable dont j'étais capable.

    - Vous avez des gaufrettes ? demanda immanquablement Ron.

    Avant que Sophia ne réponde, je me retournai vers Ron :

    - Non Ron, je doute que Sophia ait racheté des gaufrettes depuis notre dernière visite. De toute façon nous ne sommes pas là pour ça. 

    Alors que Ron se renfrognait, je me retournai vers la jolie rousse : 

    - On peut discuter cinq minutes ? On a juste une question à vous poser.

    Visiblement rassurée sur nos intentions, elle ouvrit en grand la porte de son appartement. 

    - Entrez. Vous voulez boire quelque chose ? Je vous préviens je n'ai pas de bières, mais j'ai du jus de tomates et je peux aussi vous faire du maté, si vous préférez. 

    Au cas où elle n'aurait pas compris la grimace éloquente de Ron, je lui répondis :

    - Non, ça ira, on ne va pas vous embêter longtemps. Nous voudrions juste savoir qui vous a prévenu de notre visite la dernière fois.

    Sophia me jeta un regard incisif.

    - Bon je suppose qu'il ne sert à rien de nier que nous avons été prévenues. C'est Cindy qui a reçu un appel la veille au soir. Mais c'était un appel masqué, elle ne pourra pas vous donner le numéro.

    - Qui était l'informateur ? Un homme, une femme ?

    - C'était un homme je crois, mais Cindy m'a dit que sa voix était déformée, comme dans les demandes de rançons dans les films. Il a surtout insisté sur le fait que nous ne devions pas révéler avoir été prévenues, sous peine de représailles.

    - Ne vous inquiétez pas, il n'y aura pas de représailles. 

    Après quelques questions complémentaires qui n'apportèrent rien, hormis de passer quelques minutes de plus en compagnie d'une aussi jolie jeune femme, nous prîmes congé. À regrets. En lui laissant tout de même notre carte de visite, au cas où elle aurait besoin de l'assistance de professionnels. Notamment en cas de problèmes avec un ex-petit ami jaloux ou avec d'autres harceleurs indélicats. On peut toujours rêver.

    Nous avions au moins appris que les clients étaient prévenus par téléphone, c'était l'objectif principal de notre visite. 

     

     

    Il était donc temps de passer à la dernière phase de notre enquête : le piège. 

    Dans les jours qui suivirent, nous avons mis en place plusieurs trappes, en prenant soin de programmer soigneusement le GPS la veille de nos déplacements. 

    J'ai utilisé des anciens clients qui avaient pignon sur rue, avec des numéros de téléphone facilement accessibles. Avec Mario en support technique, nous n'avons même pas eu besoin de leur rendre une visite préalable pour implanter un mouchard sur leur téléphone. Il était capable de faire ça depuis son bureau. 

    Après plusieurs coups dans l'eau, le 11 Octobre, le saboteur a fini par mordre à l'hameçon :  il a appelé en fin d'après midi un de nos clients, un notaire d'Issy les Moulineaux qui avait des soucis avec son bookmaker, quelques heures seulement après que j'aie programmé son adresse dans le GPS de la voiture. 

    Mario a enregistré toute la conversation, et il nous l'a fait écouter quelques heures plus tard dans le petit bureau de son arrière boutique :

    - Allo ?

    - Maître Hallard ? demanda une voix d'outre tombe, modifiée par une application spécialisée. 

    - Oui, c'est moi. 

    - Tu vas recevoir demain dans la journée la visite de deux encaisseurs mandatés pour collecter une de tes dettes de jeu. J'appelle pour te prévenir. Un gros balèze et un petit nabot.

    - Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.

    - Je pense que si, tupitsa, mais si mes informations ne t'intéressent pas, je raccroche.

    - Non, d'accord, j'écoute ce que vous avez à me dire.

    - J'ai un bon plan pour toi, si tu veux t'en sortir.

    - J'écoute.

    - Tu vas offrir des gaufrettes au gros qui accompagne le nabot. Ça va les adoucir. Le gros est un demeuré qui adore les gaufrettes. Si tu lui en donne, il va oublier d'être méchant. 

    - Des gaufrettes ? Vous vous moquez de moi ? 

    - Je te garantie que non, tupitsa. De toute façon t'as rien à perdre. Si tu ne les attendris pas, tu vas passer un sale quart d'heure.

    - Et qu'est-ce qui m'empêche d'appeler la police ? 

    - Tu peux, tupitsa. Si tu veux que la police mette le nez dans tes affaires, c'est ton problème.

    La conversation prend alors fin, l'interlocuteur à la voix de Fantômas ayant raccroché. 

     

    L'objectif initial était de localiser le numéro appelant, ce qui n'était pas gagné d'avance si le saboteur brouillait les pistes aussi bien que pour les données GPS, mais ça s'est avéré inutile. Gaufrette et moi avions identifié le coupable. Nous avions un concurrent local qui utilisait le mot "tupitsa" à tout bout de champ. C'était un Russe, un mafieux exilé depuis quelques décennies en France, qui tentait en vain de mettre en place une tête de pont en Région Parisienne. Un certain Fédor Grégoriov, auquel nous avions déjà eu affaire par le passé. Un chauve au physique de lutteur, accompagné partout par deux hommes de main, qui donnait du "tupitsa" à tours de bras. L'équivalent du "cabrón" espagnol.

    Sans nous concerter, nous décidâmes de rendre immédiatement une petite visite à Fédor. Trouver son adresse ne prit que quelques minutes à Mario. 

    Cette adresse là, je ne l'ai pas programmée dans le GPS de la voiture. Nous y sommes allés à l'ancienne, en regardant les panneaux. Bon j'avoue je suis quand même allé sur Google Maps avant de partir, histoire de repérer les lieux.

    Ron et moi sommes arrivés au domicile de Fédor Grégoriov un peu avant 20h, un bel hôtel particulier de Boulogne-Billancourt. Le soleil était couché mais il ne faisait pas encore totalement nuit. 

    Le portillon de l'entrée était fermé, mais Ron l'a convaincu de s'ouvrir avec un bon coup de latte dans la serrure, emportant dans son élan quelques morceaux de maçonnerie. Il était assez chafouin depuis l'écoute de l'enregistrement de notre saboteur avec le notaire. Le "demeuré" n'était pas très bien passé. 

    Comme souvent dans ces propriétés modernes dotées de toutes les dernières technologies, notre entrée surprise a été repérée. À peine avions nous fait quelques pas dans la cour que la porte de la maison s'ouvrait, laissant trois chiens surexcités en sortir comme des dératés pour se lancer dans les escaliers, dans notre direction. Ce n'était pas pour la petite commission. 

    - Ataka ! lança une voix depuis le palier de la maison.

    Pas besoin de Google Trad pour comprendre les intentions du comité d'accueil, en l'occurence trois dogues argentins pas commodes. Je dirais même trois dogues argentins très sanguins, et possiblement consanguins. 

    Je n'étais pas trop inquiet, mais j'ai tout de même cherché un refuge sur lequel me percher, et je me suis élancé vers un arbre qui me semblait accueillant. 

    Pour rien, car Ron a fait du Ron. Il s'est accroupi, et il a écarté les bras. Dix secondes plus tard il avait trois nouveaux copains. C'est un don.

    Grégoriov, toujours sur son pallier, est resté bouche bée quelques secondes, mais il s'est vite repris. Il s'est précipité à l'intérieur en prenant soin de claquer la porte.

    Ron s'est lancé à sa poursuite, la porte n'étant qu'un obstacle vite franchi. Les chiens l'ont suivi dans la maison. Moi aussi.

    Le temps que je rejoigne Ron, il avait déjà désarmé Grégoriov, qui s'était précipité vers son présentoir à armes à feu une fois la porte fermée.

    Pour être tout à fait exact, ce n'est pas vraiment Ron qui a désarmé le Russe, mais l'un de ses chiens qui lui a bouffé le bras, voyant que son ancien maître s'apprêtait à faire du mal à son nouvel ami géant.

    Après ça, Ron s'est mis à califourchon sur notre saboteur Russe et a commencé à lui enfiler des baffes en lui posant en rythme toujours la même question : 

    - A-(Schlack !) VEZ (Schlack !) VOUS (Schlack !) DES (Schlack !) GAU-(Schlack !) FRETTES ?

    Jaloux de leur collègue, qui avait montré un certain sens de l'initiative vexant, les deux autres chiens se jetèrent également sur leur ancien maître. Le deuxième se saisit de l'autre bras, et le troisième se contenta de ce qui restait, le milieu du pantalon. 

    Nous n'avons jamais sû si oui ou non Grégoriov avait des gaufrettes. Son manque de dents, de virilité et de connaissance ne lui permirent pas de nous donner une réponse.

    Avant de partir, je m'employais à briser toutes les ampoules de l'hôtel particulier. C'est à ce jour toujours mon record : 148 ampoules brisées !

    Ron a refusé que nous laissions les chiens dans la maison, pour éviter que le Russe ne se venge dessus. Aujourd'hui, les trois chiens vivent toujours avec Ron dans son appartement, au grand désespoir de ses voisins.

    Nous n'avons plus jamais eu de nouvelles du Russe, qui a disparu le lendemain de notre visite et n'a plus jamais donné signe de vie.

    Par contre, trois jours plus tard ses deux hommes de main ont essayé de nous tendre un guet-apens : ils n'auraient pas dû faire ça au moment où nous emmenions faire vacciner les chiens de Ron chez le vétérinaire. Les hommes de main ont également disparu de la circulation, probablement à la recherche d'un dentiste très calé en prothèses.

    Depuis, on a la paix du côté des Ruskoffs. Ça ne durera peut-être pas, ou peut-être que ça durera.

    Souvent on pense que l'on pourrait changer le monde avec une machine à remonter le temps. Moi je pense qu'on peut déjà faire beaucoup avec une simple machine à démonter les dents. 

     

    Plus personne ne nous a jamais proposé de gaufrettes au cours d'une de nos opérations de recouvrement. 

    Mais Ron s'est depuis pris de passion pour les Pépitos.

    C'est la vie.

     

     


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  •  

    Chers sujets,

     

    Comme vous le savez, depuis deux ans, les tavernes, les estaminets et les cabarets dédiés à la populace sont fermés, suite à la très grave épidémie de Mouchette de la Vouivre qui a frappé notre belle contrée.

     

    J'ai cependant décidé, dans ma grande mansuétude, de procéder à la réouverture partielle de ces établissements à compter du Loudi 11 Fleurôse.

     

    Afin d'éviter une reprise de l'épidémie, les règles suivantes devront être appliquées à la lettre, sous peine d'amputations irréversibles :

     

    Concernant les tavernes et estaminets :

    • Un seul convive par table.

    • Les mets proposés aux convives devront avoir été cuits à température bouillonnante pendant un minimum de 21 heures.

    • Le port du casque à pointe intégral est obligatoire pour le personnel en cuisine et en salle, mais aussi pour les convives, qui devront se présenter dans les établissements munis de leurs pailles personnelles.

    • Les plats, soupes et boissons  proposés devront contenir au minimum un tiers de purée de sangsue grise et un tiers de bile de Gnome des Roches, conformément aux recommandations de mon Trio d'Apothicaires Royaux Échevelés.

    • Les convives qui éprouveraient le besoin de se soulager au cours du repas se verront remettre à la sortie de l'établissement leurs fèces, miasmes et urines, qui auront été préalablement collectés et empaquetés par le personnel de l'établissement. Charge aux convives d'en disposer dans leurs propres latrines lors de leur retour à leur domicile.

     

    Concernant les cabarets :

    • Un seul convive par spectacle.

    • Les troubadours, danseuses, amuseurs publics et autres jongleurs devront se positionner dos au spectateur afin de ne pas l'asperger de leurs miasmes.

    • Le spectateur devra conserver en permanence son casque à pointe intégral sur la tête pendant toute la durée de la représentation.

    • Le spectateur qui éprouverait le besoin de se soulager au cours du spectacle auquel il assiste se verra remettre à la sortie de l'établissement ses fèces, miasmes et urine qui auront été préalablement collectés et empaquetés par le personnel de l'établissement. Charge au spectateur d'en disposer dans ses propres latrines lors de son retour à son domicile.

     

    En sus de ces dispositions :

    • Tout établissement dans lequel un convive ou un hôte serait atteint de la Mouchette de la Vouivre (morve bleue épaisse sortant des narines, vomissement de sangsues, suées nauséabondes abondantes) sera immédiatement fermé et entièrement brulé. (Avec à l'intérieur les convives et le personnel de l'établissement présents lors de la détection de la maladie).

     

    Le corps des Sénéchaux du Royaume de Brie est en charge de l'application du présent décret.

    Tout contrevenant sera amputé sur le champ d'un membre supérieur, ou du nez si sa taille est jugée suffisante. Si le contrevenant n'a plus ni membres supérieurs ni nez adéquat, la peine s'appliquera sur les membres inférieurs.

     

     

    Mes chers sujets, ces dispositions sont contraignantes, je le sais. Mais seule une application stricte de ces règles nous permettra de retrouver la prospérité et le bonheur qui fuient depuis déjà deux longues années mon beau Royaume.

    Grâce à vos efforts et à ma grande clairvoyance, la Mouchette de la Vouivre ne sera bientôt plus qu'un mauvais souvenir.

    Vous pouvez vous rassoir.

     

    Reine Heuse.


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  • Manuscrit de JK Duchemin, écrit au crayon de papier :

     

    Ce matin là, je me suis levé vers 5h30, comme d'habitude. 

    Comme d'habitude, j'ai voulu me faire du café : il n'y en avait presque plus dans le paquet que j'avais presque terminé la veille, j'ai donc ouvert le placard dans lequel je rangeais mon café. Je savais pertinemment qu'il y avait plusieurs paquets dans ce placard, pour les y avoir placés moi même.

    Dans le placard, à la place normalement occupée par le café, il y avait la tête d'un homme que je ne connaissais pas, dans un de mes plats Pyrex®. Il y avait un peu de sang dans le fond du plat. 

     

    J'ai refermé le placard, et j'ai décidé de faire du thé. J'ai même commencé à faire chauffer de l'eau dans ma bouilloire avant de pleinement réaliser ce que je venais de voir.

     

    Je suis resté avachi devant la petite table de ma cuisine quelques minutes afin de mobiliser tout mon courage disponible. Il fallait que j'ouvre à nouveau ce placard. J'avais peut être rêvé. 

     

    C'est du bout des doigts que j'ai ouvert mon placard pour la seconde fois. La tête coupée était toujours dans son plat, au milieu de mon placard à épicerie, entre les boites de thon, les nouilles, les paquets de riz basmati et les paquets de soupe lyophilisée. Et, cachés derrière la tête coupée, il y avait bien mes paquets de café. 

     

    Dans un état second, j'ai tout de même vu qu'il s'agissait d'un homme relativement jeune, le teint blafard, les cheveux noirs. Le visage était marqué par une expression d'horreur, bouche et yeux grands ouverts dans un long cri soudainement interrompu.

     

    J'étais bien content de ne pas avoir pris mon petit déjeuner avant d'ouvrir mon placard.


    Une fois les hauts de cœur passés, j'ai appelé la police. Il était 5h39.

    La conversation a été assez surréaliste. 

     

    • Police secours, Chef Dugard, à qui ai-je l'honneur ? Décrocha une voix d'homme épaisse au bout du 17.

    • Bonjour, je suis Jean-Kevin Duchemin, je vous appelle parce que je viens de trouver une tête d'homme tranchée dans un des placards de ma cuisine. 

    • C'est une plaisanterie ?

    • Pas du tout, Monsieur, je vous assure, je viens de trouver la tête d'un homme dans un de mes plats Pyrex®, au milieu de mon placard à spaghettis.

    • Donnez moi votre adresse, je vous envoie une équipe. 

    • 227 Boulevard du 14 Juillet, à Bonsouffle. Appartement 317.

    • Très bien Monsieur, une équipe sera sur place dans moins de quinze minutes. Ne bougez pas de chez vous, ne touchez à rien, on arrive.

    • C'est d'accord, je vous attends. 

       

     

    Après avoir raccroché, j'ai hésité à bouger. J'ai toujours été très suiveur des consignes des autorités. Une fois, je suis resté quarante cinq minutes à un feu rouge qui refusait de passer au vert. Avant de de me rendre compte qu'il fallait que j'avance sur une plaque détectrice avec ma voiture pour que le feu change de couleur. Mais j'ai tout de même décidé d'aller m'habiller, je ne voulais pas recevoir les gendarmes en pyjama. Il y a des choses qui ne se font pas.

    Quand je suis entré dans la salle de bains pour mettre mon pyjama dans le bac à linge, j'ai été assez surpris de constater qu'il y avait un corps sans tête, nu, dans ma baignoire. Ça m'a fait encore un choc. J'ai connu des façons plus agréables de débuter une journée.

     

     *=*=*

     

    Quelques minutes plus tard, on a sonné à la porte de l'appartement. Je suis allé ouvrir à trois gendarmes. Les deux plus jeunes avaient tous les deux l'air excité, la main sur l'étui de leur arme. Le troisième, un adjudant relativement petit, plus âgé, semblait beaucoup plus calme que ses adjoints. Il m'a tout de suite fait penser à un vieil épagneul breton. Il en avait le regard, à la fois doux et éteint. 

    • Je suis bien content de vous voir, leur dis-je, je viens juste de trouver l'autre morceau ! Je ne comprends pas comment on a pu déposer le corps d'un homme dans mon appartement pendant que je dormais !

    • Quel autre morceau ? demanda l'adjudant.

    • Le corps qui doit correspondre à la tête, pardi !

    L'adjudant échangea un regard avec ses collègues, du genre « on est encore tombé sur un zinzin ». 

    Il me dit : 

    • Vous êtes seul dans l'appartement ?

    • Je pensais l'être, avant de trouver ce Monsieur en morceaux. 

    • Et si vous nous montriez tout ça ? 

    • Bien entendu, suivez moi. Ne vous embêtez pas avec les patins, il n'y en a pas assez pour tout le monde, de toute façon. 

    Je les conduisis aussitôt à la cuisine, où ils purent tous constater la présence de la tête dans mon plat Pyrex®, puisque j'avais pris soin de laisser la porte du placard ouverte. 

    L'adjudant, livide, se tourna vers moi :

    • Et vous avez le reste du corps où ?

    • Dans la salle de bains, je viens de le trouver en mettant mon pyjama au sale. Venez.

    Je les emmenai aussitôt à la salle de bains. Le corps sans tête était toujours dans la baignoire. Je ne voyais pas comment il aurait pu en bouger. Il n'y a que dans les films que les corps sans tête se déplacent tous seuls.

    Cette fois ci, l'adjudant et ses deux adjoints blanchirent encore un peu plus. L'adjudant parla rapidement dans son talkie walkie, très vite, si vite que je ne compris pas un traitre mot de ce qu'il racontait. Son interlocuteur accusait réception de façon laconique, en égrenant les « reçu mon adjudant ». 

    L'adjudant, j'apprendrai un peu plus tard que son nom était Bonoreille, me posa ensuite une série de question :

    • Vous connaissez la victime ?

    • Non, je n'ai pas la moindre idée de qui il s'agit. Je viens de le trouver ce matin. 

    • Votre porte d'entrée était fermée cette nuit ?

    • Je suppose que oui, vu qu'elle l'était quand je vous ai ouvert. Et de toute façon le verrou était tiré aussi. 

    • Quelqu'un d'autre que vous à les clefs de l'appartement ?

    • À part le syndic qui a un passe, non, personne. 

    • Et vous êtes certain qu'hier soir le corps n'était pas déjà en place quand vous vous êtes couché ?

    • Pour la tête, je ne sais pas, je n'ai pas ouvert mon placard hier soir, j'ai mangé une pizza. Pour le corps de la salle de bains, j'en suis sûr, si il avait été là quand je me suis lavé les dents, je m'en serais aperçu. 

    • Vous avez touché le corps ou la tête avant notre arrivée ?

    • Non, bien sûr que non, pour quoi faire ?

    • Très bien, dit-il, on va vous emmener à la brigade pour votre déposition, si vous voulez bien, Monsieur Duchemin. Et je vais devoir faire venir d'autres équipes pour procéder aux constatations.

    • D'accord, je suppose qu'on ne peut pas faire autrement.

    • Non, c'est la procédure.

    • Je pourrai appeler mon employeur pour le prévenir de mon retard à mon travail ?

    • Oui, vous pourrez faire ça à la brigade. Qu'est ce que vous faites comme travail, Monsieur Duchemin ?

    • Je suis équarrisseur à la Somarovia. C'est pour ça que je ne suis pas énormément choqué, je suis habitué à voir du sang et des cadavres toute la journée. Enfin, surtout des cadavres d'animaux, mais c'est un peu la même chose. Par contre je peux vous assurer que je n'ai jamais ramené de travail à la maison. 

    Ma blague n'a arraché de sourire à aucun des gendarmes. Par contre j'ai bien vu que l'énoncé de ma profession avait retenu toute leur attention. 

     

    Avant de descendre en bas de l'immeuble, l'adjudant fit une fouille rapide de l'appartement, en évitant de toucher à quoi que ce soit, puis demanda à l'un de ses adjoints de rester de garde devant la porte, dans l'attente du légiste et des équipes scientifiques. 

     

    Nous descendîmes les trois étages lentement, comme une procession funèbre. Le jeune gendarme qui était derrière moi avait toujours la main sur son arme. Elle n'avait pas quitté cette place depuis que je leur avais ouvert ma porte.

     

     *=*=*

     

    J'ai ensuite été conduit à la brigade de Bonsouffle. L'adjudant et un Lieutenant m'ont conduit dans une petite salle pour prendre ma déposition. Ils ont bien pris soin de me dire que je comparaissais comme témoin et que j'étais libre de repartir à tout moment si je le souhaitais. Tout en me faisant comprendre qu'ils avaient besoin de mon aide pour résoudre cette affaire, et que ce serait vraiment mieux pour l'enquête si je restais.

    Ils m'ont laissé appeler mon employeur, qui n'a pas cru un mot de mon histoire et qui commençait à m'engueuler comme du poisson pourri au téléphone. J'ai demandé à l'adjudant s'il pouvait lui confirmer ce qui se passait, ce qu'il a fait succinctement avant de raccrocher. 

     

    Ensuite, ils m'ont demandé si ils pouvaient prendre mes empreintes et prélever mon ADN, pour que la police scientifique puisse travailler le plus rapidement possible à identifier les empreintes qui n'étaient pas les miennes. 

    J'ai accepté, évidement. 

     

    Il faut reconnaître qu'ils ont été très généreux en café, en gâteaux secs, en boissons. Ils m'ont même offert un gros sandwich au pâté pour mon déjeuner, avec une bière sans alcool. 

     

    J'ai compris plus tard qu'ils faisaient tout pour me garder dans leurs locaux, retardant le plus possible le début de ma garde à vue. C'est mon avocate, Maître Saint Jean, qui me l'a expliqué un peu plus tard dans l'après midi, après que l’Adjudant Bonoreille et le Lieutenant Crachin m'aient notifié ma garde à vue, avant de me piquer les lacets de mes chaussures et la ceinture de mon pantalon. 

     

     *=*=*

     

    J'étais installé dans une petite salle d'interrogatoire quand Maître Saint Jean est entrée dans la pièce. C'était une jeune femme brune d'à peine trente ans, pleine d'assurance et assez joviale.

     

    • Bonjour Monsieur Duchemin.

    • Bonjour Madame.

    • Je me présente : Maître Saint Jean. Je suis l'avocate qui a été commise d'office pour votre cas. J'ai eu le temps de prendre connaissance du dossier qui m'a été remis, et qui est très vague. Vous pouvez me dire ce qui vous arrive, exactement ? 

     

    J'ai donc entrepris de lui raconter mon aventure matinale, qui était relativement simple. 

     

    • Et comment expliquez vous la présence de cet individu dans votre appartement ? Demanda mon avocate, perplexe.

    • Je ne l'explique pas. Je n'y comprends rien.

       

    Elle plongea quelques instants dans le dossier, avant de me livrer un premier verdict : 

     

    • Très franchement les faits ne plaident pas en votre faveur, mais pour le moment d'un point de vue matériel il n'y a pas beaucoup d'éléments contre vous, surtout que vous avez eu le bon réflexe d'appeler la police dès que vous avez trouvé le corps.

       

    Elle reprit : 

    • Je pense que pour le moment votre mise en examen est avant tout technique. Les gendarmes vous retiennent en attendant que les enquêtes techniques, comme les relevés d'empreintes ou d'ADN reviennent.

     

    Dans les heures qui ont suivi, j'ai de nouveau été interrogé par les enquêteurs, principalement le Lieutenant Crachin, qui s'est borné à répéter les mêmes questions que celles du matin. Je lui ai donné les mêmes réponses, je n'en avais pas d'autres. Mon avocate a assisté à l'interrogatoire, mais n'a rien dit. 

    J'ai passé la nuit en cellule, mon avocate m'avait dit que plus rien ne se passerait avant que les équipes techniques ne rendent leur verdict. 

     

    *=*=*

     

    Le lendemain, vers 10 heures du matin, on est venu me chercher dans ma cellule et on m'a ramené dans la petite salle d'interrogatoire de la veille. 

    L'avocate m'y a rejoint quelques minutes plus tard. 

    • Bon il y a du nouveau : la plupart des analyses sont revenues cette nuit. On va en savoir plus dans quelques instants. 

     

    Le lieutenant Crachin entra peu après, en compagnie de l'Adjudant Bonoreille.

     

    • Monsieur Duchemin, le plat Pyrex®, celui qui contenait la tête, portait vos empreintes. 

    • C'est un peu normal, c'est le mien après tout. Il n'y en a pas d'autres que les miennes ?

    • Non, rien d'exploitable. Vos empreintes ont également été trouvées sur la baignoire et dans la salle de bains. Nous n'avons trouvé aucune empreinte exploitable dans l'appartement hormis les vôtres. Les résultats des recherches ADN ne seront pas là avant plusieurs jours. 

      Selon le rapport du légiste l'individu est mort entre 17 heures et 19 heures hier soir et son corps a été déplacé, il n'est pas mort à l'endroit où il a été trouvé. Que faisiez vous à ces heures là, lundi ?
    • À 17 heures, je rentrai du travail. J'ai garé ma voiture et je suis allé faire mon tiercé au bar du coin. Puis j'ai fait des courses au Carrefour City d'à côté.

    • Qu'avez vous acheté ?

    • Une pizza surgelée, un pack de bière, des poires et un camembert. Je crois que c'est tout. Ensuite je suis rentré chez moi, un peu avant dix huit heures trente. 

    • Ça ne va pas arranger vos affaires, tout ça, soupira l'Adjudant.

     

    Quelques heures plus tard, j'ai été amené devant le procureur de la république, au tribunal de Mareuilly les Bains. En présence de mon avocate, il m'a notifié ma mise en examen et mon maintien sous mandat de dépôt. Mon avocate a essayé de me rassurer, m'expliquant que compte tenu des circonstances il était logique que le parquet procède ainsi, au moins jusqu'à l'obtention des analyses scientifiques.

    Je me suis donc retrouvé à la maison d'arrêt de Floyens. Je dois dire que les premiers jours ont été difficiles, mes compagnons de cellule n'étant pas des plus accueillants. Le premier jour je me suis fait voler mes chaussures, le deuxième jour ils ne m'ont rien laissé manger, et le troisième jour il y en a un qui a essayé de m'étrangler. Je ne me suis pas trop mal défendu et par la suite on ne m'a plus trop ennuyé. 

     

    *=*=* 

     

    Quinze jours plus tard, on m'a sorti de ma cellule pour une visite de mon avocate.

    On m'a conduit dans une salle grise, éclairée par des néons. Maître St Jean était installée devant une petite table sur laquelle des dossiers étaient étalés. Le gardien est ressorti et nous a enfermé dans la pièce, après nous avoir indiqué la sonnette placée à côté de la porte, pour qu'on vienne nous chercher quand nous aurions fini. 

    Maître St Jean a désigné une chaise libre de la main.

    • Bonjour Monsieur Duchemin, asseyez vous, je vous prie.

    • Bonjour Maître. Vous avez des nouvelles de l'enquête ?

    • J'en ai, elles ne sont pas toutes très bonnes, mais dans l'ensemble c'est plutôt positif. 

    Elle reprit :

    • L'homme qui a été trouvé chez vous a été identifié, c'est un certain Gianni Vincenza, originaire de Toscane. Ça vous dit quelque chose ?

    • Non, ça ne me dit rien. 

    • Vos déclarations ont été confirmées pour l'heure du crime, il y a plusieurs témoins qui se souviennent de vous avoir vu au bar et au magasin. On a retrouvé des traces de votre ADN sur le corps de la victime, mais vu qu'il était dans votre baignoire ça peut s'expliquer. Le point positif c'est qu'il n'y a pas votre ADN sur sa tête, et que les services de la police n'ont pas retrouvé de sang dans le siphon de votre baignoire, ni dans aucune de vos canalisations. Il n'ont pas retrouvé non plus de sang ou d'ADN du mort dans votre voiture. Ils n'ont également trouvé aucune trace de sang dans votre appartement, ce qui confirme que le meurtre n'a pas eu lieu chez vous. Le point négatif c'est qu'il n'a été identifié aucune autre trace ADN que la votre sur le cadavre.

    • C'est suffisant pour me laisser en prison, le fait qu'il n'y ait pas d'autres traces ?

    • Non, mais ce qui est ennuyeux c'est l'absence d'effraction. Votre serrure a été expertisée à ma demande, pour trouver des traces de forçage de la serrure. Et les conclusions ne nous sont pas vraiment favorables. Pour les experts, il n'y a pas de preuve solide que la serrure ait été récemment forcée. Vous êtes certain de n'avoir jamais perdu un trousseau de clefs ?

    • Non, je l'ai dit la dernière fois aux gendarmes, je n'ai jamais perdu mes clefs. Et j'habite cet appartement depuis plus de vingt ans. Je n'y comprends rien. 

    L'avocate reprit : 

    • Bon, j'ai fait une demande de remise en liberté, compte tenu du fait qu'il n'existe ni mobile apparent, ni arme du crime et que vous êtes celui à avoir prévenu les autorités. J'ai bon espoir d'être entendue par le juge.

    • Je pourrais donc être libéré ? 

    • Oui, c'est une possibilité, mais je doute qu'ils annulent la mise en examen tant qu'il n'auront pas résolu le mystère de la présence du corps dans votre appartement.

     

    *=*=*

     

    Quelques jours plus tard, après deux rencontres encadrées par les gendarmes chez le juge d'instruction, j'ai été relâché. Il m'a été notifié par le juge que je ne pouvais pas retourner vivre dans mon appartement, car il était « sous scellés ». Un policier m'a accompagné pour que je puisse y prendre quelques affaires, et récupérer mon courrier. En repartant, il m'a confisqué mon jeu de clefs. Il m'a par contre rendu mes clefs de voiture. 

    J'étais un peu perdu en sortant de chez moi. J'ai décidé d'aller à l'hôtel en attendant de trouver une solution de logement. 

     

    C'est comme ça que j'ai passé ma première nuit de liberté dans un hôtel Premier Prix de la périphérie de Bonsouffle. Un hôtel sans accueil, dans lequel tout se fait au guichet d'une machine. La chambre était petite mais propre. 

    J'ai eu beaucoup de mal à trouver le sommeil, ayant du mal à m'adapter à mon retour à la solitude, mais j'ai fini par m'endormir. 

     

    Le lendemain matin j'ai voulu prendre une douche. En tirant le rideau en plastique opaque de la douche j'ai trouvé le corps d'un homme nu. Sans tête. Il était assis dans le receveur, contre la paroi en plastique. Quand j'ai pu regarder une deuxième fois, j'ai vu que sa tête reposait entre ses jambes.

    Le cauchemar recommençait.

     

    Je dois dire que j'ai beaucoup hésité à appeler la police. J'ai fini par joindre Maître Saint Jean, qui m'a dit que je n'avais pas vraiment d'autre option que de les appeler. Elle m'a donné l'impression de ne pas me croire, quand je lui ai dit que je n'y étais pour rien.

     

    *=*=*

     

    Les gendarmes ne m'ont pas cru non plus, cette fois. Ce sont les mêmes qui sont venus faire les constatations, ils n'en croyaient pas leurs yeux. 

    J'ai même cru discerner une forme de déception dans l'oeil de l'Adjudant Bonoreille. C'était peut être la raison pour laquelle il ressemblait à un épagneul : il devait probablement accumuler toutes les déceptions que son métier lui procurait dans son port de tête et dans son regard. 

    Cette fois, ils m'ont passé les menottes directement. 

    Le soir même, malgré l'affirmation sincère de mon innocence au cours des interrogatoires, j'étais mis en examen pour meurtre, et reconduit à la maison d'arrêt de Floyens, où j'ai retrouvé mon ancienne cellule, sous les regards goguenards de mes codétenus. 

     

     

    Dans les semaines qui suivirent, Maître St Jean vint me rendre visite à plusieurs reprises. C'est elle qui me communiquait la plupart des informations sur les enquêtes, et qui me traduisait le charabia juridique du juge d'instruction.

    Une fois encore le corps appartenait à un complet inconnu, toujours Italien, un certain Paolo Rossetto. Il n'avait pas non plus été tué dans ma chambre d'hôtel mais déplacé après le meurtre. Il n'y avait aucune preuve formelle contre moi, hormis que le cadavre était dans ma chambre et que celle ci était fermée à clef. Mais cette fois ci, personne n'a voulu entendre que je n'avais rien à voir avec l'affaire. 

    Mon métier ne plaidait pas en ma faveur, selon Maitre St Jean. Cela faisait même de moi le coupable idéal. Le jury aurait forcément des a priori. 

      

    Elle n'avait pas tort : j'ai été condamné un peu plus de six mois plus tard à 25 ans de réclusion pour les deux meurtres. Sur les conseils de mon avocate, j'ai fait appel. J'ai été recondamné à la même peine un an plus tard. Maitre St Jean semblait déçue de ne pas être parvenue à réduire un peu ma peine, mais je voyais bien qu'au fond elle ne croyait pas à mon innocence. C'était trop difficile pour les connaisseurs du dossier d'imaginer que je n'y étais pour rien. Les deux hommes que j'avais découvert à mon réveil étaient des travailleurs saisonniers sans histoire, tous les deux pères de famille au casier vierge. Ils n'avaient ni liens avec la mafia, ni problèmes de couple, ni relations douteuses. 

    Dans la presse locale j'étais devenu une petite célébrité, j'avais été surnommé "l'Equarrisseur de Bonsouffle" et le "Tueur des Salles de Bains". 

     

     *=*=*

     

    Pendant ces deux affreuses années, la seule chose que voulaient obtenir les gendarmes, le procureur et les juges, c'était mes aveux. Ils voulaient tous savoir de quelle façon j'avais procédé, à quel endroit j'avais tué les victimes, comment j'avais fait disparaître les traces, quelle était l'arme du crime et où je l'avais cachée. 

    Je soupçonne même l'un de mes co-détenus d'avoir travaillé comme informateur pour le procureur. Il m'a harcelé de questions pendant des mois, en vain.

    Mais quels aveux aurais-je pu faire ? J'étais innocent !

    Mon avocate avait fait valoir pas mal d'arguments en ma faveur lors des procès : pas d'arme du crime, pas de trace des victimes dans mon véhicule, pas de sang sur mes vêtements, pas de mobile, scènes de crime inconnues, aucune trace de moi sur des vidéos de télésurveillance à l'heure supposée des crimes. Si j'avais été un tueur sanguinaire aussi doué, pourquoi aurais je laissé les victimes dans mes salles de bains, pourquoi aurais-je appelé la police ? 

    Je n'étais pas fou, les trois psychiatres qui m'avaient expertisé m'avaient jugé sain d'esprit. Ce qui à mon avis n'était pas le cas pour au moins deux d'entre eux. 

    La justice n'aime pas l'inexplicable. Si il y a meurtre, il y a forcément un coupable. La théorie du suicide par décapitation dans la salle de bains d'un inconnu avait assez vite été écartée par les enquêteurs. 

    Ce qui m'a vraiment fait du tort, c'est l'impossibilité pour mon avocate de présenter une hypothèse crédible qui expliquerait la présence des cadavres dans mes salles de bains à mon réveil. 

    Maître St Jean s'est échinée à démontrer que j'étais victime d'un complot. Les vrais criminels, très silencieux, revêtus de combinaisons étanches, étaient entrés à mon insu et avaient déposé les corps avant de repartir comme ils étaient venus, avec l'aide d'un passe. Cette explication alternative n'a convaincu personne. Si les victimes avaient été connues des services de police, ç'aurait été plus facile à avaler. Et pourquoi aurais-je été pris pour cible par des inconnus à deux reprises, dans deux endroits différents ?

     

    *=*=*

     

    J'ai été transféré quelques jours après mon deuxième procès dans la maison centrale de Romazeux, à plus de 350 kilomètres de Bonsouffle. Contrairement aux usages, j'ai été placé immédiatement dans une cellule individuelle, le directeur et le chef des gardes ayant préféré éviter de me mettre au contact de co-détenus, au vu de mes antécédents supposés. 

     

    C'était la première fois que je dormais seul dans une pièce depuis ma nuit dans l'hôtel Premier Prix de Bonsouffle. Avec un peu de chance, si tout se passait bien, j'allais pouvoir postuler à une demande le liberté conditionnelle dans une quinzaine d'année. Ce qui ne me ferait qu'à peine soixante ans à ma sortie potentielle.

     

    Le lendemain matin, au réveil, j'ai trouvé la tête d'un homme dans la cuvette de mes toilettes. 

    Le reste du corps se trouvait sous mon lit. Probablement parce qu'il n'y avait ni douche ni baignoire dans ma cellule. 

     

    Après avoir appelé le gardien, il n'a pas fallu plus de vingt minutes avant que le directeur ne pénètre dans ma cellule avec les gendarmes. 

     

     *=*=*

     

     

    Trois heures plus tard, mon interrogatoire débutait, toujours en présence de Maître St Jean, qui cette fois semblait complètement décomposée, et me regardait étrangement. Je ne le savais pas encore, mais c'était la dernière fois que je la voyais. 

    Cette fois ci, dès le début de l'interrogatoire, j'ai craqué, je n'avais plus rien à perdre. J'ai tout déballé. C'est sorti un peu en vrac, mais j'ai tout dit. 

    J'ai avoué mon enlèvement dans le monde du dessous par deux Elfes des Bois, l'avant-veille de la découverte du premier cadavre dans mon appartement. Ils m'avaient choppé à la sortie de mon boulot, ils étaient planqués à l'arrière de ma voiture. J'ai à peine eu le temps de voir leurs drôles de bobines et leurs grandes oreilles dans le rétroviseur, il y en a un qui m'a attrapé les épaules pendant que l'autre me jetait une sorte de poudre jaune sur la tête, j'ai aussitôt perdu connaissance. Je me suis réveillé dans le monde du dessous. Un endroit vraiment étrange, difficile à décrire, dans lequel il ne fait ni jour ni nuit, peuplé de toutes sortes de monstres singuliers. 

    J'ai avoué aux enquêteurs avoir été jugé dans le monde du dessous, au motif que j'aurais passé dans le broyeur de mon usine d’équarrissage le corps de la fille du Roi des Arbres. (Pour ma défense elle ressemblait vraiment beaucoup à un chevreuil écrasé. C'est vrai qu'il est rare de voir des chevreuils avec des colliers, mais je ne pouvais pas deviner non plus que c'était la Princesse des Arbres, vu que je ne savais même pas qu'il y avait des Princesses des Arbres dans le monde du dessous. D'ailleurs je ne savais même pas qu'il y avait un monde du dessous). 

    J'ai expliqué aux enquêteurs que je n'étais pas resté très longtemps dans le monde du dessous, car j'avais été jugé sur le champ. Enfin, pas vraiment sur le champ, le procès à eu lieu dans une clairière. Si j'avais été jugé dans un champ, c'est certainement le Roi des Récoltes qui m'aurait jugé. Mais à ma connaissance je n'ai pas broyé sa fille, donc la question ne se posait pas. Je n'ai même pas eu droit à un avocat, soi-disant que ça n'existerait pas dans le monde du dessous.

    J'ai avoué aux enquêteurs ma condamnation par le Roi des Arbres à la détention à perpétuité dans le monde du dessus. (Les Elfes m'ont expliqué en me remontant dans le monde du dessus que pour des raisons techniques un homme du dessus ne peut pas être mis en prison dans le monde du dessous, car il paraît que les hommes du dessus ne vieillissent pas dans le monde du dessous, ce qui rendrait la perpétuité problématique).

    J'ai aussi avoué aux interrogateurs (qui semblaient assez surpris par mes aveux) que j'ignorais au départ la façon dont ils allaient procéder pour me faire condamner à la prison du dessus, c'est à dire la prison d'ici. Surtout qu'au début, quand je me suis réveillé chez moi, j'ai cru que j'avais rêvé. C'était la veille de la découverte du premier cadavre, la journée s'est déroulée très normalement. Celle du lendemain un peu moins.

    J'aurais bien aimé que l'Adjudant Bonoreille soit là, mais on était loin de son secteur, il n'avait pas été convié. Son écoute attentive et bienveillante m'aurait fait du bien.

    J'expliquai donc à ceux que j'avais sous la main que ce n'est qu'après la nuit à l'hôtel Premier Prix que j'avais réalisé ce que faisaient ceux d'en dessous : pour me faire condamner, ils déposaient dans mon logement toutes les nuits un cadavre, à chaque fois que c'était possible, c'est à dire quand j'étais seul. Pas étonnant que la police scientifique ne trouve pas de trace d'autre ADN que le mien sur les cadavres : il aurait été étonnant qu'elle soit équipée pour détecter de l'ADN d'Elfe des Bois. Et si ça se trouve, les Elfes ont des moyens magiques d'effacer leurs traces. Bon c'est vrai, j'en sais rien, c'est juste une supposition. 

    Enfin, j'ai avoué aux enquêteurs que je n'avais pas osé leur raconter la vérité auparavant, de peur qu'il me prennent pour un fou. Le jour du premier cadavre, j'étais encore persuadé que mon aventure dans le monde du dessous n'avait été qu'un mauvais rêve, et je n'ai pas immédiatement fait le lien.

     

     *=*=*

     

    Bon, ils ne m'ont pas cru. Maître St Jean peut être encore moins que les autres. Je m'en doutais un peu. 

    Je n'ai pas été jugé pour le troisième cadavre (cette fois ci c'était un jeune sri-lankais sans papiers, il ne devait plus y avoir d'Italiens disponibles). 

    Je n'ai pas été jugé non plus pour le quatrième, trouvé dans ma chambre moins de 24 heures plus tard, alors que je venais de passer ma première nuit dans l'hôpital psychiatrique de Mougins sur Fy. Je n'ai jamais su qui était cette quatrième victime, personne n'ayant jugé bon de m'en informer. C'est ce jour là que Maître St Jean m'a laissé tomber. Elle a prétexté un empêchement pour ne pas venir m'assister lors de l'interrogatoire. À la place j'ai eu droit à un vieil alcolo grincheux qui puait la vinasse et qui ne m'a pour ainsi dire jamais adressé la parole. 

    Depuis ce quatrième cadavre, jamais on ne m'a laissé passer une nuit seul dans une chambre. Il y a toujours en permanence un surveillant avec moi, toutes les nuits. Et je suis attaché aux barreaux du lit avec des menottes. Je précise que ça n'a rien de sexuel.

    Dix ans que ça dure. 

    J'ai reçu la visite de l'Adjudant Bonoreille, il y a quelques semaines. Il est en retraite depuis quelques mois. Il m'a confié qu'il était tenté de me croire, qu'il ne me croyait pas fou. Cela m'a fait beaucoup de bien. 

    Mais il m'a également dit que sans preuves, ce serait compliqué de faire évoluer ma situation. Ça m'a fait du mal. 

     

    Depuis quelques temps, je fais toujours le même cauchemar, dans lequel, alors que je suis vieux et sur le point de passer l'arme à gauche, le Roi des Arbres me fait à nouveau kidnapper, puis me fait jeter dans une geôle immonde du monde d'en dessous. Pour l'éternité.

     

    Et dire que si je n'avais pas fait cadeau du collier de la Princesse des Arbres à une Fée des Lacs déguisée en entraineuse de bar, rien de tout cela ne serait arrivé...

     

     

    PS :

    Merci à Madame Jawazyazk, nouvelle directrice de l'hôpital, d'avoir accepté de me fournir du matériel d'écriture, dix ans après ma première demande.

    J'ai enfin pu écrire mon histoire, et quelque part, c'est un soulagement. 

     

     

     

     

    Note attachée au manuscrit :

    Moins de dix jours après l'écriture de ce récit, Jean-Kevin Duchemin a disparu de sa chambre. Le lendemain matin, au pied de son lit, on a retrouvé le corps décapité du surveillant qui était de garde pour la nuit. La tête du pauvre surveillant avait roulé sous le lit. Les menottes qui entravaient Jean-Kevin Duchemin étaient toujours attachées aux barreaux du lit, mais il n'était plus au bout. La grande quantité de sang retrouvée dans la chambre et sur les menottes n'a révélé qu'un seul ADN : celui de Jean-Kevin Duchemin.

    Tout laisse à penser qu'il s'est entaillé les poignets avec les menottes, avant de réussir à les retirer, à tuer le surveillant et à s'enfuir, alors que la porte était fermée de l'extérieur par 3 verrous de sécurité et que la seule fenêtre de la chambre était condamnée par des barreaux en métal.

    Malgré tous les efforts de la gendarmerie, de la police, malgré les appels à témoins et la diffusion de sa photo dans les médias, malgré le mandat d'arrêt international qui a été émis à son encontre, Jean-Kevin Duchemin n'a toujours pas été retrouvé. 

    Conformément aux instructions reçues, je remets le présent texte de JK Duchemin (texte complètement délirant, confirmant si besoin était le diagnostic de schizophrénie) ainsi que toutes ses affaires personnelles aux services de l'état mandatés pour poursuivre l'enquête.

     

    Maria Jawazyask, Directrice de l'HP de Mougins sur Fy. 

     

     


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  •  

    N'ayant plus de dents,

    Un éléphant a cessé de s'alimenter.

    La mort approchant,

    Il prend le départ,

    Et se met à rêver.

     

    Rêver à la vie qu'il aurait pu avoir,

    S'il n'avait pas été si trouillard,

    À la vie qu'il aurait eu,

    Sans tous ces malentendus,

    À toutes celles auxquelles il aurait pu plaire,

    S'il avait eu du succès dans les affaires,

    Aux richesses qu'il aurait amassées,

    Si ses talents avaient été dévoilés.

     

    Une fois arrivé au cimetière,

    Le rêve est terminé, 

    L'éléphant doit dire adieu à la vie.

    Il se laisse tomber à terre,

    Au milieu des squelettes blanchis.

     

    Comme les soldats d'une armée en déroute,

    S'enfuient alors ses derniers souffles de vie,

    Mais il est soudain pris d'un affreux doute : 

    Il ne sait plus s'il a fermé le gaz,

    Avant de prendre la route. 

     

    Alors il se relève, tel Pégase,

    Et repart chez lui, pour vérifier.

    Une fois arrivé,

    Le robinet du gaz est bien fermé :

    Il s'est inquiété pour rien,

    Finalement, tout va bien.

     

    Repartant vers le cimetière et son destin,

    Il trouve en sortant un paquet sur son palier.

    Il l'ouvre, et découvre dedans un dentier,

    Commandé juste après son dernier festin,

    Le jour où sa dernière dent était tombée.

     

    Consterné, l'éléphant pousse un long barrissement :

    Un tel oubli est vraiment très embarrassant.

     

     

     


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  •  

    Le Gobelin a trouvé à la fin de l'hiver, dans son jardin, 

    Mille petits cerisiers :

    Ils ont poussé pendant son sommeil,

    À son insu, pas de son plein gré.

     

    Le Gobelin les a découverts ce matin, à son réveil,

    Recouverts de millions de fleurs blanches, 

    Et d'abeilles en train de butiner.

     

    Cet été les fruits vont arriver,

    Les oiseaux bavards vont se régaler,

    Les Trolls vont s'émerveiller,

    Le Gobelin aura de l'ombre le dimanche,

    Du clafoutis en été,

    De la confiture plein le garde-manger,

    Et de l'eau de vie au grenier.

     

    L'hiver venu,

    Le Gobelin fera du feu avec les branches,

    Pour dormir bien au chaud,

    Et rêver à nouveau de pousses spontanées,

    De récoltes miraculeuses,

    De dimanches ensoleillés,

    Passés à l'ombre des cerisiers.

     

    Le pauvre Gobelin ne le sait pas, l'an prochain

    Il ne découvrira dans son jardin que du trèfle,

    Les cerises de cette année sont une méprise,

    Il aurait dû recevoir des nèfles.

     

     

     

     

     


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  •  

    Je bois du thé en hiver

    Et du café en été.

    En période intermédiaire,

    Je suis bien embêté. 

     

    Ce matin, rien à faire :

    Incapable de me décider

    Entre un café et un thé vert.

    J'ai longuement hésité,

    C'est là un de mes travers.

    En vérité, pour clore l'affaire,

    J'étais prêt à boire un grand verre,

    Mais j'ai fini par tout régler

    À coups de révolver :

    Le verre de lait a éclaté,

    Avec la cafetière et la théière.

     

    Mon indécision exécutée,

    J'ai pu reprendre mon ordinaire.

    Avant de bientôt remettre le couvert : 

    Riz ou pâtes pour le déjeuner ? 

     

     

     


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  • Fédération Française de Psychiatrie et de Tennis de Table.

    Message urgent.

     

    Chers Adhérents,

     

    Pendant cette période de confinement, nombre d'entre vous nous rapportent avoir de longs échanges avec des objets inanimés. (chaises, playmobils, bouteilles vides, plantes vertes, époux*).

    En cette période où chacun est soumis à un fort stress, cela est tout à fait compréhensible, et n'a à priori rien d'alarmant. L'essentiel est d'éviter de hausser le ton et de conserver en toutes circonstances un échange courtois. Dans la mesure du possible, nous vous conseillons de prendre le dessus sur votre interlocuteur / trice, afin de ne pas froisser votre amour propre. Nous vous rappelons à cette occasion que les parties sont désormais remportées par le premier à atteindre les 11 réparties gagnantes, ce qui permet d'avoir des échanges courts mais intenses. 

    Toutefois, si vous ne remportez pas vos échanges de façon récurrente et que cela vous inquiète, votre praticien habituel peut vous accueillir via téléconsultation depuis son cabinet de toilette pour établir un rapide diagnostic, si vous y tenez vraiment. 

    Nous vous suggérons toutefois de ne pas tenter de le contacter via un mocassin à glands, à cause de leur débit trop rapide qui risque d'encombrer les lignes. Utilisez de préférence un escarpin à talon plat, ou une basket Air Jordan trouée. 

    Enfin, au rayon des choses vraiment importantes, nous tenons par la présente à pousser un coup de gueule contre la pénurie d'entonnoirs qui fait actuellement rage dans notre belle contrée. Face à cette infamie, la Fédération de Psychiatrie et de Tennis de Table a décidé de prendre les choses en mains. Nous tentons actuellement de modifier notre usine de fabrication de balles pour pouvoir y produire rapidement des entonnoirs de qualité. Nous rencontrons des difficultés techniques importantes, mais certains adhérents de la fédération aux idées très novatrices se sont proposés de nous rejoindre. C'est en de pareilles périodes que l'humanité toute entière avance à grands pas.

    Heureusement que votre Fédération est là pour lui indiquer dans quelle direction progresser. 

     

    Votre bien aimé Président à vie,

    Professeur Demonpaire.

     

     

    * Stoufflants ou non.


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  •  

    Ce matin,

    J'ai décidé, pour la première fois,

    De nettoyer ma salle de bains.

     

    Quel ne fut pas mon émoi,

    En retrouvant dans un coin,

    Sous un tas de poussière,

    Le cadavre du notaire,

    Disparu corps et bien, 

    Il y a presque dix ans je crois,

    Un jour funeste d'inventaire.

    (c'était suite au décès de ma belle mère,

    Qui avait chopé le tétanos au doigt,

    En se coupant avec une petite cuillère.)

    J'ai aussitôt appelé les autorités,

    Qui ont refusé de venir le chercher,

    Prétextant un engorgement sévère

    Des services funéraires.  

    Je vais donc le laisser où je l'ai trouvé,

    En prenant la précaution toutefois,

    D'y planter un petit drapeau en repère,

    Pour le retrouver quand il le faudra. 

     

    J'ai arrêté là mon nettoyage,

    Pourtant à peine entamé :

    On pourra trouver que j'exagère,

    Mais j'avoue manquer de courage

    Pour les tâches ménagères.

     

     

    Monsieur Propprobre


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  • Jour 74

    La pandémie n'a toujours pas diminué en intensité. Le gouvernement vient de restreindre la vente d'essence aux seuls véhicules de police et d'urgence.
    Plus de 90 % des magasins d'alimentation sont désormais fermés, faute de personnel et de denrées à vendre.

    Je n'ai plus d'essence, je ne peux plus aller faire de courses, mais avec les réserves accumulées j'ai calculé que je pouvais tenir 2 ans, au minimum, à condition que l'on ne me coupe pas l'eau. 

     

    Jour 76

    Après plusieurs coupures ces dernières semaines, le réseau internet vient de lâcher. À la radio FM ils disent qu'il sera rétabli sous 48 heures.

     

    Jour 78

    Brigitte est morte ce matin. Je l'ai enterrée au fond du jardin, conformément aux recommandations sanitaires du gouvernement. Les derniers jours ont été affreux. 

    J'ai annoncé la nouvelle par SMS à tous nos contacts (127). Je n'ai reçu que deux réponses. 

    Du coup maintenant j'ai 4 ans de réserves. Je culpabilise d'avoir fait le calcul, mais il faut reconnaitre qu'il n'était pas compliqué à faire. 

     

    Jour 81

    La radio annonce que pour le moment il n'y pas de possibilité de remettre le réseau internet en marche. Le téléphone (hors portable) est également out. 

     

    Jour 83

    Les derniers magasins, qui n'avaient presque plus rien à vendre, viennent de recevoir l'ordre de fermer, suite à des émeutes qui ont fait plusieurs centaines de morts en région Parisienne. 
    Le gouvernement assurera une distribution de denrées de première nécessité en porte à porte avec l'armée. Les personnes qui souhaitent être ravitaillées doivent attacher un linge blanc sur leur porte. J'en ai mis un, je n'en ai pas vraiment besoin mais on est jamais trop prudent. 

     

    Jour 85

    Je me suis rendu compte ce matin en vérifiant les linges blancs attachés aux portes qu'il n'y avait plus que moi de vivant dans ma rue.  Ou bien qu'il n'y avait que moi pour demander de l'aide. 

     

    Jour 88

    J'ai reçu ma première livraison ce matin : cinq kilos de blé, deux poules vivantes, un sac de pommes de terre, un pack de lait, des conserves, des graines à planter au printemps, avec mode d'emploi.

    Je n'ai plus trop de place de stockage, j'ai été obligé d'enterrer une partie de mes provisions dans le jardin. 

     

    Jour 114

    Je me suis fait attaqué dans la nuit, par des pilleurs. Ils ont tout pris, à l'exception de ce que j'avais enterré dans le jardin. Je crois que j'ai plusieurs côtes cassées. J'ai mis plus de deux heures à me détacher de la chaise à laquelle ils m'avaient saucissonné. 

    J'ai mis trois heures à joindre les gendarmes. Qui m'ont dit qu'ils ne pouvaient rien faire. Ils connaissent la bande en question, mais n'ont plus les effectifs suffisants pour tenter une interpellation. Ils ne sont même pas venus prendre ma déposition. 

     

    Jour 128

    J'ai réussi à récupérer deux poules via le ravitaillement de l'armée, non sans mal, en troquant des bouteilles d'alcool. 

    Les militaires m'ont dit que la bande qui m'avait attaqué a été mise hors de nuire par une de leur section d'assaut, qui a récupéré les stocks accumulés, et qui seront redistribués équitablement aux survivants de la région. 

    Bon, j'en récupèrerai quand même une partie, c'est déjà ça.

    Jour 156

    Cela fait deux semaines qu'il n'y a plus eu de ravitaillement gouvernemental. En me rationnant, je peux encore tenir une quinzaine de jours, mais après il faudra bouffer les poules, et ensuite c'est l'inconnu. 

     

    Jour 163

    Il n'y a plus d'électricité depuis deux jours. On avait déjà eu des pannes dans les semaines précédentes, mais cette fois ci, ça ne revient pas. Impossible de joindre quelqu'un au téléphone.

     

    Jour 164

    Plus d'électricité, plus de téléphone, plus de radio, plus de ravitaillement. Ça devient critique.

     

    Jour 169

    Je n'ai rien mangé au cours des 3 derniers jours. Et je trouve que l'eau du robinet commence à avoir un drôle de gout. Ce matin j'ai trouvé une boite de thon qui était tombée derrière un élément de la cuisine. Elle était périmée depuis 4 ans, mais je l'ai mangée quand même. Excellente.

     

    Jour 172

    J'ai enfin réussi à tuer une tourterelle avec la 22 Long Rifle de mon grand père. Il m'aura fallu 47 balles pour en toucher une. À ce rythme là, je pourrai encore en avoir deux avant d'être à court de balles. 
    En plus y'a pas grand chose à bouffer, dans une tourterelle. Je mange le peu de légumes qui poussent dans mon jardin avant qu'ils n'atteignent une taille correcte : on est très con quand on a faim. Bon, c'est vrai, on peu aussi être très con quand on a pas faim. 

     

    Jour 175

    J'ai senti une odeur de barbecue ce midi. J'ai trouvé des inconnus chez les voisins qui étaient en train de rôtir un chien dans la cour. C'est la première fois que je voyais des gens depuis le dernier ravitaillement. Quand je me suis approché d'eux ils m'ont immédiatement mis en joue avec leurs fusils de chasse. Ils sont trois, je n'ai pas insisté et je suis rentré chez moi m'enfermer. Après les chiens, à quoi vont ils s'attaquer ?

     

    Jour 177

    Ils se sont attaqués à moi, évidement. J'ai réussi à en tuer un par surprise, avec un marteau, les autres se sont sauvés. J'ai récupéré un fusil de chasse à canon scié, 8 cartouches, du fil de pêche, de la viande de chien séchée, des hameçons, une radio avec des piles, deux briquets.

    Je n'ai pas pu me résoudre à charcuter le mort pour le manger. Je l'ai enterré. Je le regretterai peut être. 

    La radio diffuse sur toutes les ondes le même message que celui qui était diffusé avant la panne de courant générale. (les règles du confinement, la confirmation de la fermeture des hôpitaux et des commerces d'alimentation, la loi martiale). Je l'ai jetée.

     

    Jour 180

    Ce matin j'ai tenté la pêche, sans succès. Je n'ai jamais été doué pour ce genre de choses.

    Je me suis résolu à visiter quelques maisons sur le chemin du retour, pour un butin très maigre. Quelques boites, quelques cadavres horribles, je me fous d'attraper la maladie, si ça doit se faire ça se fera. 

    C'était la première fois que je sortais de chez moi depuis plus de trois mois. 

     

    Jour 201

    Je visite les maisons de nuit, dorénavant. De jour, avec les groupes de pillards qui trainent, c'est trop dangereux. Il y a deux jours je suis tombé nez à nez avec un groupe d'ados. Si je n'avais pas eu mon fusil de chasse, ils m'auraient bouffé. J'en ai touché un à la jambe, il est probablement crevé dans un caniveau à l'heure qu'il est. 

     

    Jour 222

    Je crois que je déteste les potirons. J'en ai tellement que je n'arriverai jamais à tout bouffer. Je les stocke pour cet hiver, ça me servira à nourrir mes lapins (récupérés dans un clapier, presque morts de soif et de faim).

     

    Jour 237

    Il a neigé hier, très fortement. Je suis obligé de faire du feu depuis quelques jours, au risque d'attirer les indésirables, mais jusqu'à présent je n'ai pas eu de surprises. 
    J'ai vérifié ce matin : aucune trace d'empreintes dans la neige. 

    Je continue mes recherches de nourriture mais ça devient compliqué. Je n'ai pas de quoi passer l'hiver. J'ai assez de whisky et de pinard pour les cinq prochaines années, par contre. C'est toujours des calories bonnes à prendre, et ça soigne la mélancolie. 

     

    Jour 276

    J'ai touché le jackpot hier matin : une réserve de conserve dans une grange, plus grosse que celle que j'avais constitué moi même. Pour plus de sécurité, je vais la répartir entre différentes caches pour ne pas risquer de tout me faire prendre d'un seul coup. D'après mes calculs, j'ai largement de quoi voir venir les prochains hivers.  

     

    Jour 310

    Je me suis rendu en vélo dans un village voisin il y a quelques jours, j'avais fini de visiter toutes les maisons de mon village. J'ai été accueilli à la chevrotine. 
    Je n'y retournerai pas.

     

    Jour 331

    J'ai commencé à planter les graines qui me restaient du ravitaillement de l'an dernier. En espérant que ça pousse un peu mieux cette fois ci. Mais j'ai travaillé sur la question, ça devrait mieux se passer.

     

    Jour 368

    Je suis tombé nez à nez avec un groupe de rôdeurs la nuit dernière, dans la zone artisanale. J'en ai eu un, mais j'ai pris un mauvais coup de couteau. 
    Je crois que je ne m'en sortirai pas. 

     

    Jour 380

    Je ne me remets pas de ma blessure au ventre. Ça ressemble à une septicémie. J'ai avalé des antibiotiques mais ça n'a rien donné. 

    Si vous trouvez ce journal, vous trouverez en dernière page toutes mes planques de nourritures dans le village. 

    Pensez à récolter les légumes, et à récupérer des graines pour les planter au printemps. J'ai une collection d'ouvrages sur le jardinage qui ferait pâlir d'envie Nicolas le Jardinier.

     

    Jour 388

    Ça m'a fait tout drôle de me réveiller dans un hôpital de campagne Chinois.

    Je remange depuis deux jours. J'adore les nouilles ! 

    Je ne comprends rien à leur baragouin, mais ça fait plaisir de retrouver la civilisation. Le campement est superbe, doté d'une grande partie du confort moderne que j'avais oublié, mais quand j'ai voulu aller prendre l'air à l'extérieur du camp, je n'ai pas eu le droit. 

    C'est pas grave, l'essentiel c'est qu'ils nourrissent les prisonniers.

     

     

     

     

     

     


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  • Suite aux rumeurs qui se propagent actuellement sur des sites soi-disant "d'information", la Communauté des Fils du Ciel tient à rétablir quelques vérités fondamentales : 

     

    - Le nouveau virus qui se propage actuellement dans notre beau pays n'a pas été créé par les États Unis, mais par le comité scientifique des Fils du Ciel. 

    - Les pâtes ne permettent pas de guérir la maladie. Seul le riz cru, accompagné de bave d'escargot fraichement récoltée, peut atténuer les symptômes pendant quelques heures. 

    - La plupart des conserves disponibles actuellement en magasin ont été contaminées au Covid 19 par des agents de la Communauté des Fils du Ciel. 

    - Toute affiliation à la Communauté des Fils du Ciel dans les 8 jours à venir donne droit au kit d'accueil complet (Baume de guérison du Covid 19, téléphone d'urgence be-bop, Grand livre sacré des Fils du Ciel, crème anti-hémorroïdes, tapis de prière en poil de chat afghan, guide de survie des Fils du Ciel dans l'au-delà, porte clef des Fils du Ciel, pin's des Fils du Ciel, agenda des Fils du Ciel (2016), Canif des Fils du Ciel).

    - À titre exceptionnel la cotisation d'affiliation annuelle à la Communauté des Fils du Ciel est ramenée à 18579 euros pendant les 8 prochains jours.

    - Au delà des 8 jours, la cotisation reviendra à son tarif habituel, soit 25912 euros.

    - Les kits d'accueil ne contiendront plus de baume de guérison du Covid 19 à compter de la fin de la promotion. (rupture de stock)

    - Après l'expiration de l'offre, le baume de guérison du Covid 19 sera vendu séparément au prix promotionnel de 7522 euros le tube, dès réapprovisionnement. (délai variable en fonction de la météo).

    - L'école de la Communauté des Fils du Ciel restera ouverte en dépit des injonctions gouvernementales, les adeptes de la communauté étant tous immunisés.

    - Les inscriptions à l'école de la Communauté des Fils du Ciel sont réservées aux enfants des membres de la Communauté des Fils du Ciel. 

    - Le coût de l'inscription est annuel (9986 euros). Toute année entamée (quelle que soit la période d'inscription) est entièrement due. 

    - Contrairement aux messages mensongers des menteurs du gouvernement, il n'y aura aucun vaccin de disponible avant plusieurs années. L'ingénierie génétique du comité scientifique des Fils du Ciel est très en avance sur le reste de la recherche mondiale. 

     

    Note : si malgré l'usage intensif du Baume de guérison du Covid 19, un membre de la Communauté des Fils du Ciel venait à rejoindre l'au-delà, le membre sera considéré comme "élu divin" et sera automatiquement proclamé "Commandeur de la Communauté des Fils du Ciel".

    Le statut de Commandeur de la Communauté des Fils du Ciel permet de participer à tous les banquets du Grand Miskhouba et de faire partie de son cercle restreint dans l'au delà. 

     

    Note 2 : seuls les paiements en espèce, en or et en "bitcoin-coins Fils du Ciel" seront acceptés. 

     


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  •  

    Mon dragon apprivoisé, hier matin,

    A rencontré son nouveau voisin.

     

    Passée la consternation de cette rencontre inopinée,

    Ils se sont copieusement engueulés,

    Ont échangé des jets de flammes bleutées, 

    Brûlant au passage quelques bicoques,

    Douze poules, un chat balafré,

    Et mon palefrenier originaire du Médoc.

     

    Ils ont fini par se lasser,

    Fatigués par cet exercice hivernal,

    Et sont tous deux repartis se coucher,

    Mais je crains que cet été ne soit infernal.  

     

     

     

     


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  • Royaume de Devérolie

    Bulletin Officiel des Promulgations (BOP)

    Mois de Neigeôse. Soixante-troisième année du règne du Roi Haha.

     

     

     

    Promulgation du Mercrou 6 Neigeôse. Décision du Roi Haha Ne6301 (DRH Ne6301)

    Dans le cadre de la Réduction Programmée de la Population Devérolienne (RPPD) Tous les sujets du Royaume dont le prénom comporte la lettre « V » seront pendus le 25 courant du présent mois. Les corps seront ensuite remis aux familles en vue de leur inhumation. 

    Les demandes de changement de prénom qui ont été soumises au Tribunal des Affaires Familiales (TAF) avant le début du mois seront prises en compte dans la mesure des capacités dudit tribunal à traiter les demandes avant le 25 Neigeôse.

     

     

    Promulgation du Sardi 9 Neigeôse. Décision du Roi Haha Ne6302 (DRH Ne6302)

    Compte tenu des derniers résultats scolaires compilés par le rectorat du Royaume, les enfants scolarisés dans le royaume sont désormais soumis à une interdiction stricte de se livrer à toute forme de jeux entre le coucher et le lever du soleil.

    Pour assurer l'application de la présente promulgation, une Brigade de Contrôle Effectif des Activités Nocturnes des Enfants (la BECANE) est créée ce jour au sein de la Police Royale. La BECANE sera dotée d'un effectif de 18500 agents. Son effectif sera doublé chaque année. La Brigade pourra procéder à des contrôles inopinés au domicile des sujets du Royaume concernés par la présente promulgation, et un budget conséquent sera alloué à la propagande visant à encourager les dénonciations familiales.

    Les contrevenants seront soumis à une peine d'emprisonnement de 5 ans (cinq ans) en Centre Éducatif Disciplinaire en cas d'infraction. La peine sera portée à 10 ans (dix ans) en cas de récidive. 

    À titre dérogatoire et exclusif, les parties de petits chevaux entamées avant le coucher du soleil pourront être menées à leur fin. 

     

     

    Promulgation du Mourdi 12 Neigeôse. Décision du Roi Haha Ne6303 (DRH N2e6303)

    La pêche aux têtards sera ouverte cette année du Vendou 12 Printôse au Joudi 6 Fleurôse.

    Il est rappelé que seule la capture des têtard mâles est autorisée. Tout contrevenant aux dates d'ouverture de la pêche ou à la nature des têtards capturés sera empalé sur la place Royale jusqu'à ce que mort s'ensuive.

     

     

    Promulgation du Lourdi 18 Neigeôse. Décision du Roi Haha Ne6304 (DRH Ne6304)

    Tous les célibataires (de plus de vingt et une années révolues au cours de l'année) prénommés Marcel, Jean, Miguel ou Olaf devront se marier avant le Joudi 30 Nocturnôse.

    Ils pourront épouser au choix : une Mireille, une Julia, ou, avec dérogation préalable du Tribunal des Affaires Familiales (TAF), une Ariane ou une Gudrun.

    Faute de mariage avant la date promulguée, les célibataires concernés seront immolés par le feu en l'autel du Temple des Sacrifices à minuit, le Vendou 31 Nocturnôse, dans le cadre de la célébration des fêtes de fin d'année.

     

     

    Promulgation du Joudi 21 Neigeôse. Décision du Roi Haha Ne6305 (DRH Ne6305)

    Tout animal de compagnie mort devra désormais être accompagné dans sa dernière demeure par un des membres de la famille à laquelle il appartenait, pour une durée qui ne pourra pas être inférieure à quatre mois. Ceci afin d'apporter présence et réconfort à l'animal dans son cheminement vers le Grand Refuge Éternel du Ciel Bienveillant. Les accompagnants pourront se munir d'outres d'eau, de viande séchée, de fruits, de couvertures. Les tombes pourront être aménagées avec un système de ventilation pour assurer le renouvellement de l'air au sein du caveau, à la discrétion de la famille.

    La Police Royale aura pour charge de s'assurer du respect de la présente promulgation. En employant la force si nécessaire.

     

     

    Promulgation du Dourmiche 24 Neigeôse. Décision du Roi Haha Ne6306 (DRH Ne6306)

    Dans sa grande mansuétude, le Roi Haha accorde son pardon à tous les sujets du Royaume dont le prénom est Wendy, Rowena, Wilfrid ou Werner. 

     

     

    Promulgation du Lourdi 25 Neigeôse. Décision du Roi Haha Ne6307 (DRH Ne6307)

    Le Comte William Halive est appointé par le Roi Haha en qualité de nouveau Chambellan du Roi.

     

     

    Promulgation du Mourdi 26 Neigeôse. Décision du Roi Haha Ne6308 (DRH Ne6308)

    Toutes les Martine et les Mauricette devront se raser la tête le jour du 1er Pluviôse de l'année en cours. La tonte devra être rigoureusement entretenue jusqu'au 31 Nocturnôse. Les Martine et les Mauricette seront autorisées à se recouvrir la tête d'une perruque ou d'un couvre-chef à compter du 1er Frimôse, mais uniquement dans le cadre de leurs activités extérieures.

    Les contrevenantes à la présente Décision Royale seront condamnées à avoir la tête tranchée. 

    Il est précisé que les contrevenantes seront tondues préalablement à leur décapitation. 

     

     

    Promulgation du Sardi 30 Neigeôse. Décision du Roi Haha Ne6309 (DRH Ne6309)

    Toutes les réclamations relatives aux différentes DRH Ne63 sont à adresser au Chambellan du Roi, Palais Royal, avant le 5 du mois en cours. Elles doivent impérativement porter la mention exacte de la DRH concernée, sous peine de nullité.

    Les réclamations arrivant hors délai ne seront pas examinées. 

     

     

    Promulgation du Dourmiche 31 Neigeôse. Décision du Roi Haha Ne6310 (DRH Ne6310)

    Une coquille s'est glissée dans la DRH Ne6301 du 6 Neigeôse : il fallait lire la lettre « W » et non la lettre « V ».

    En conséquence, les exécutions du Lourdi 25 Neigeôse sont réputées nulles et non avenues.

    Le responsable de la coquille, l'ancien Chambellan Victor Nicard, sera déterré et empalé sur la place Royale jusqu'à complète décomposition.

     

     

     

    Promulgations compilées par William Halive, Chambellan du Roi. 

     

     

    Note : c'est le 25 Neigeôse que le Roi Haha a prononcé sa phrase célèbre : Mais où est donc Victor Nicard ? ne voyant pas le Chambellan à ses côtés lors de de la cérémonie des pendaisons. 

     

     


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