• Au début de l'été 2018, j'ai mis un temps fou à retrouver la trace de Cindy McFarlane. Cet ancien mannequin, ex-égérie d'une maison de haute couture, sans activité une fois arrivée à sa date de péremption (aux environs de 28 ans), n'avait pas su adapter son train de vie à sa baisse de revenus. 

    Elle devait beaucoup d'argent à son manager, un des seuls agents honnêtes du milieu, selon lui. Il était persuadé qu'il restait au top-model célèbre quelques économies planquées quelque part, et il nous avait mis sur sa piste quelques semaines plus tôt, en me donnant la liste des ses contacts sur Paris.

    J'avais fini par la loger chez une copine, du côté de la Gare Montparnasse, dans un logement situé au dessus d'une crêperie.

     

    Une fois arrivés sur zone, les yeux de Ron se sont illuminés quand il a découvert la rue des crêperies. Il m'a également adressé un regard de reproche, déçu que je ne l'aie jamais convié à visiter cet endroit merveilleux, mélange de village Breton et de tarifs Parisiens. J'ai réussi de justesse à le dissuader d'entrer dans la première, mais arrivé devant la deuxième j'ai vite abandonné. Est-on jamais parvenu à stopper une marée ? Pour ma part je me suis contenté d'une bolée de cidre et d'une crêpe au sucre. Ce n'est pas que je n'aime pas les crêpes, mais nous venions de déjeuner à la Coupole, et je n'avais plus faim.

    Trois crêpes complètes et deux au caramel beurre salé (avec double supplément Chantilly) plus tard, nous avons enfin pu nous rendre chez l'amie du top model. Qui habitait au quatrième et dernier étage sans ascenseur, au dessus d'une autre crêperie, heureusement fermée. Au mois de Juillet, après avoir bien mangé, il fait chaud, mais Ron et moi, on n'a jamais eu peur d'un escalier. 

    Mais une fois arrivé devant la porte de l'amie de Cindy McFarlane, j'aurais dû reprendre un peu mon souffle avant de sonner.

    Bref, j'ai sonné.

    Une superbe créature, vêtue de morceaux de tissus à l'origine prévus pour habiller des playmobils, est venue nous ouvrir.

     

    - Bonjour Messieurs, nous dit elle dans un grand sourire, à peine voilé quelques instants par la découverte de la montagne humaine située derrière mon dos. Que puis-je faire pour vous ?

    J'avais bien une paire d'idées qui m'ont traversé l'esprit. Il faut dire que les grandes rousses dénudées m'ont toujours fait de l'effet. Mais j'ai réussi à conserver mon sérieux et mon sang froid. Professionnel avant tout :

    - Bonjour Mademoiselle, nous voudrions nous entretenir avec Mademoiselle McFarlane. Un de ses amis nous a dit qu'elle était actuellement hébergée ici.

    - Désolée Messieurs, mais vous faites erreur, dit la grande rousse en essayant de refermer la porte.

    Elle ne parvint pas à la faire bouger, Ron avait mis un doigt dessus et la retenait en position ouverte sans aucun effort apparent.

    - Allons, Mademoiselle, ne faites pas l'enfant. Nous savons qu'elle est ici.

    - Mais puisque je vous dis que non, commença à s'emporter la fille. Ça suffit, dites à votre gorille de retirer son doigt, ou j'appelle la police !

    À ce moment, une voix féminine venue de l'intérieur de l'appartement l'interrompit :

    - Laisse tomber Sophia, je vais leur parler.

    La rousse, Sophia, laissa la place à son amie Cindy, guère plus vêtue qu'elle, et tout aussi jolie. Une grande liane, très maigre et très brune.

    - Cindy Mc Farlane ? Demandais-je

    - Oui ?

    - Vous avez des gaufrettes ? demanda immanquablement Ron.

    Il était en train de de digérer ses crêpes mais je savais qu'il ne posait pas la question par principe.

    Et c'est là que la situation a dérapé :

    - Bien sûr que j'ai des gaufrettes, nous dit Cindy McFarlane dans un grand sourire. Vous en voulez ? Entrez !

     

    Sur ce elle ouvrit en grand la porte d'entrée. Ron se précipita et faillit une nouvelle fois m'écraser contre le mur de l'entrée. Pourtant, ce n'était pas comme si je n'étais pas prévenu. J'ai manqué de réflexes sur ce coup là. On mettra ça sur le compte des escaliers, du cidre, et des rousses dénudées.

    Bien entendu, une fois installés dans le salon du loft impeccablement décoré des demoiselles, devant plusieurs paquets de gaufrettes (fraise, vanille, chocolat, pistache) accompagnées de bières bien fraiches, notre boulot est devenu difficile. Enfin, tout est relatif. La compagnie n'était pas désagréable. Je n'avais jamais vu Ron aussi heureux. 

    Mais d'un point de vue professionnel ce fut un fiasco complet. J'ai bien réclamé l'encaissement de la dette de notre client, mais j'ai bien vu que Ron désapprouvait. Je n'ai pas insisté, je n'allais pas me mettre à casser des ampoules après avoir été aussi bien accueilli. En plus Sophia n'y était pour rien, je n'avais pas l'intention de me la mettre à dos. Pas comme ça en tout cas.

     

    Sur le moment j'avais cru que nous avions joué de malchance en tombant sur les seules top-models de Paris à avoir des paquets de gaufrettes et des bières dans leur appartement.

     

    ***  

     

    Une semaine plus tard, fin Juillet, nous sommes tombés dans le même type de traquenard au domicile d'un producteur de cinéma célèbre qui avait perdu gros aux courses. Ça n'a pas trop bien marché pour lui, vu que c'était un homme, et qu'il était un peu con. Ron a mangé les gaufrettes, mais quand j'ai commencé à péter les ampoules, il a empêché le producteur d'intervenir.

    Comme le producteur n'avait pas été trop poli, Ron a fini par lui mettre une baffe. Ça ne l'a pas empêché de le remercier pour les gaufrettes avant de repartir. Nous avons menacé de revenir la semaine suivante si la dette n'était pas remboursée.

    Nous n'eûmes pas besoin de revenir. C'est dommage j'aime beaucoup Montmartre.  

     

    Et début Août, une troisième fois, on nous a refait le coup dans un petit hôtel particulier de Versailles. Un couple de retraités qui avait tout perdu dans une pyramide de Ponzi montée par leur petit neveu.

    Ils ont reçu Ron avec les petits plats dans les grands, il n'y a vu que du feu. Après les gaufrettes et les gâteaux pour le goûter, ils ont enchainé avec un Poulet rôti et un énorme plateau de fromages.

    Cette fois, en repartant bredouille, j'ai sermonné Ron dans la voiture. Il était contrit et contrarié, mais je n'ai pas insisté. Il était conscient du problème, c'était déjà ça.

     

    J'ai bien été obligé de trouver une parade. Il en allait de notre gagne pain. Je n'ai pas essayé de dissuader Ron de poser sa question d'introduction. Ron est un homme d'habitude. Seul un fou tenterait d'inverser le sens de rotation de la planète.

    J'ai réfléchi.

    Et j'ai trouvé.

    ***

     

    Quelques semaines plus tard, au début du mois de Septembre, Ron et moi nous sommes présentés en début d'après midi au domicile d'une escort-girl de Cergy qui devait beaucoup d'argent à son dealer. Ron affichait le sourire béat d'un homme repu : avant d'attaquer notre dossier du jour je lui avais offert un déjeuner de moules-frites à volonté dans une bonne brasserie du coin. Il en avait repris dix huit fois, sous les regards effarés du personnel de salle et des clients. C'est un cuisinier angoissé qui est venu nous annoncer qu'il n'avait plus de moules après que Ron eut commandé un dix neuvième service. Pas rancunier, Ron s'est rattrapé sur la tarte au citron (entière) offerte pour son dessert, à titre de compensation.

    Ron obtient souvent des compensations sans rien demander. C'est un autre de ses dons.

     

    L'escort-girl n'était pas particulièrement jolie. Elle avait un visage grossier et des yeux méchants. D'après mes informations, elle était spécialisée dans le latex et les pinces.

    Quand nous avons sonné, elle a ouvert la porte en grand et nous a demandé d'un ton revêche :

     

    - Qu'est ce que vous voulez ?

    Ron, qui exhalait une forte odeur de moules et de meringue italienne, a aussitôt répliqué :

    - Vous avez des gaufrettes ?

    Comme si la lumière venait de s'allumer dans son regard, la Revêche nous a adressé un grand sourire et a répondu :

    - Bien entendu, entrez !

     

    Cette fois ci, j'avais prévu, je me suis plaqué au mur pour laisser passer Ron.

    Sur la table de la salle à manger, il y avait une douzaine de paquets de gaufrettes, qui n'attendaient que nous. Et pour cause, c'est moi qui les avait expédiés à la Revêche la veille avec un petit mot explicatif. L'appartement était prévisible : très moderne, très épuré, en tons blancs et noirs. Les chaises étaient tellement inconfortables que c'en était ridicule.

    À peine attablés, la Revêche nous a apporté une tasse de café et a aimablement proposé à Ron d'ouvrir un paquet de gaufrettes.

    Ron ne se l'est pas fait dire deux fois. Il a aussitôt jeté son dévolu sur un paquet de gaufrettes à la vanille, ses préférées.

    Il les a avalées en quelques secondes, avant d'ouvrir un deuxième paquet.

    À la fin du deuxième paquet, alors qu'il était sur le point d'ouvrir le troisième et que je commençais à sérieusement m'inquiéter, Ron a subitement changé de couleur. Sa carnation naturelle est plutôt rougeaude, et il était devenu tout blanc. Puis tout vert. Il a mis ses deux grosses pognes sur le rebord de la table en verre fumé, comme pour l'empêcher de s'enfuir.

    À la réflexion, si la table avait pu s'enfuir, elle en aurait certainement saisi l'opportunité.

    Ron a commencé à trembler. De grosses coulées de sueurs dégoulinaient sur tout son visage.

    Face à lui, de l'autre côté de la table, la Revêche commençait à prendre peur. Elle avait les yeux exorbités.

     

    - Ça va Monsieur ? Vous n'avez pas l'air très bien...

    Elle n'aurait jamais dû s'adresser à lui, car Ron a ouvert en grand la bouche pour lui répondre. Aucun mot n'en est sorti, au contraire de quelques gaufrettes et de plusieurs centaines de moules qui avaient décidé de reprendre leur liberté à cet instant précis.

    Recouverte de dégueulis, la Revêche n'était pas plus jolie.

     

    La première fusée fut suivie d'une seconde en direction du canapé et du téléviseur 4k, puis d'une troisième qui a rendu visite à la bibliothèque de la Revêche (collection d'ouvrages rares sur le bondage à travers les âges). Pendant ce temps là, la Revêche poussait des petits cris d'épouvante. Et ce n'était que le début, la fusée avait encore beaucoup d'étages. 

     

    Quelques minutes plus tard, nous sommes repartis de l'appartement de la Revêche avec trois lingots d'or et une grosse liasse de billets (remis spontanément, bien entendu). Sur la table de la salle à manger, il y avait plusieurs paquets de gaufrettes non entamés, recouverts d'un mélange de moules et de pommes de terre frites prédigérées. (Le citron et la meringue semblaient être sortis dans les autres étages de la fusée). L'odeur dans l'appartement était un mélange entre l'acide chlorhydrique et le fumet d'une baleine crevée échouée sur une plage. Depuis plusieurs semaines.

    La Revêche était tétanisée, au bord de l'apoplexie, dépassée par les évènements. Aux dernières nouvelles, elle aurait arrêté la drogue.

    Au moment de quitter les lieux, Ron a jeté un regard plein de tristesse sur la table et les gaufrettes non consommées. Puis il m'a lancé un regard dégoûté. J'ai bien vu dans ses yeux qu'il avait compris que j'étais pour quelque chose dans sa mésaventure. C'est loin d'être un imbécile, quand il veut.

    Mais il n'a jamais tenté d'aborder le sujet par la suite.

    Et je me suis bien gardé de le faire.

     

    *** 

     

    Quelques jours plus tard, nous sommes à nouveau tombés sur un petit malin qui avait reçu des infos d'un autre petit malin (identifié depuis, mais cela fera l'objet d'une autre histoire) pour neutraliser Gaufrette. Ce petit malin n'avait pas reçu de ma part un colis de gaufrettes imprégnées de vomitif, c'était donc l'instant de vérité pour mon petit stratagème.

    Je ne le savais pas encore en sonnant à la porte de ce pavillon cossu de Saint Cloud.

     

    - Oui ? demanda Monsieur Smaule-Cléveur en ouvrant sa porte en chêne ouvragé.

    - Vous êtes bien Monsieur Lucien Smaule-Cléveur ? demandais-je.

    - Oui, que voulez vous ? répondit Monsieur Smaule-Cléveur, receleur indélicat de son état.

    - Vous avez des gaufrettes ? demanda Ron.

    - Bien sûr, j'en ai ! jubila le petit malin dans un grand sourire adressé à Ron. Vous en vou..

    - J'aime plus ça, le coupa Ron d'un ton triste.

    - Pardon ? demanda Monsieur Smaule-Cléveur, interloqué.

    - « Schlack ! »

     

    Le problème était résolu. 

     

     


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  • Depuis quinze ans, à chaque fois qu'une porte s'ouvre devant moi, dans mon dos une grosse voix caverneuse pose systématiquement la même question : 

    - Vous avez des gaufrettes ?

     

    Ron et moi sonnons à des portes, c'est notre boulot. Ron est mon garde du corps. Normalement il devrait aussi me servir de chauffeur, mais Ron ne sait pas conduire. C'est une de ses nombreuses particularités. Il en a bien d'autres : il ne porte jamais de chaussures à lacets ni de cravates, il lit avec beaucoup de difficultés les noms sur les boites aux lettres, et il est généralement imperméable aux tentatives de persuasion ou de corruption. Sauf quand on lui offre de la nourriture qu'il aime, soit à peu près tout, hormis les choux de Bruxelles et les épinards. Ces deux légumes étant des traumatismes de cantine irréversibles dans le cadre d'une scolarité déjà elle même suffisamment traumatisante. Surtout pour ceux qui s'en sont pris à Ron. Il y a des chirurgiens qui ont fait fortune grâce à sa scolarité. 
    Son rôle, c'est l'intimidation. Il faut dire que Ron mesure plus de deux mètres dix pour plus de cent soixante kilos. Les rares fois où je l'ai vu dans une salle de sports, je l'ai vu manipuler des haltères de cinquante kilos comme s'il s'agissait de cotons tiges. Et celles de cent cinquante comme des bâtons de majorette.

     

    J'ai depuis longtemps renoncé à le convaincre de ne pas poser la question des gaufrettes. Au début, j'étais gêné, je ne trouvais pas ça professionnel. Mais Ron est têtu comme une mule.

    Cette histoire de gaufrettes date d'une de nos premières opérations de recouvrement amiable, au début des années 2000. Une vieille dame, qui habitait un appartement cossu du seizième arrondissement de Paris avait fait des chèques en bois à un de nos clients (une société de Casinos). Quand j'avais annoncé à la dame l'objet de notre visite à l'interphone, elle nous avait gentiment ouvert l'entrée de l'immeuble. Nous l'avions trouvée au seuil de son appartement du troisième, la porte grande ouverte. Elle nous avait demandé d'une voix enjouée :

    - Entrez Messieurs, vous tombez bien, je viens de faire du thé. Voulez vous des gaufrettes ?

    Pris au dépourvu par cette entrée en matière inhabituelle, j'avais hésité avant de formuler ma réponse. Ron s'était engouffré dans mon hésitation, me projetant contre le mur de l'entrée pour rejoindre le salon et s'y installer sur une ottomane ancienne dont les pieds n'avaient pas cédé, à la suite d'une probable intervention divine. Je n'avais pas eu d'autre choix que de m'installer à mon tour dans le petit salon à la décoration surannée. Lorsque la vieille dame toute tremblotante nous avait apporté un petit plateau de gaufrettes au chocolat pour accompagner sa théière d' Earl Grey, Ron n'avait pu retenir un cri du coeur :

    - J'adore les gaufrettes !
    Il en avait fait aussitôt la démonstration en engloutissant toutes les gaufrettes en quelques bouchées gargantuesques. Une fois son forfait commis, il m'avait adressé un petit regard coupable en me demandant : 
    - Tu en voulais, Jo ?
    De l'avis de la plupart de nos connaissances, Ron est un demeuré. Ils ont tort. Certes, la vivacité d'esprit n'est pas son point fort, il est très lent. Mais il a une mémoire d'éléphant et il est capable de comprendre des choses compliquées. Il lui faut juste du temps. Et sur d'autres plans, il est très rapide. Notamment quand il s'agit de se baffrer ou de distribuer les baffes. Là, il devient très malin, imprévisible et créatif.

     

    Bref, la vieille avait été obligée de sortir un deuxième paquet de gaufrettes, qui avait rapidement subi le même sort.

    Ensuite elle nous avait fait un cinéma sur son addiction au jeu, sur sa ruine, son désespoir. Ron avait proposé de la dépanner de quelques billets, mais elle avait eu le bon sens de refuser en voyant ma tête.

    Elle avait même été assez maline pour proposer à Ron un sandwich au rosbif, pour la route. Au moins, nous n'étions pas reparti totalement les mains vides.

    J'avais été obligé de transférer le dossier à une autre équipe, la vieille joueuse de Chemin de Fer s'étant mise définitivement Ron dans la poche en glissant un troisième paquet de gaufrettes dans le sac en papier qui contenait le sandwich au rosbif.

     

    Depuis cette rencontre mémorable, dès qu'une porte s'ouvre, Ron demande avec le ton d'en enfant sur le point d'apercevoir le père Noël :

     

    - Vous avez des gaufrettes ?

    En général, les gens chez qui nous nous rendons n'en ont pas ou n'ont pas le réflexe spontané de répondre oui. Beaucoup pensent qu'il s'agit d'une blague tordue. Du coup, j'ai incorporé cette introduction saugrenue à mon speech de recouvrement.

    Une fois la porte ouverte, ça donne des dialogues du style :

    Ron : « Vous avez des gaufrettes ? »

    Le débiteur, étonné : « euh... non. »

    Moi : « Vous n'avez pas de gaufrettes à proposer à mon collègue, du coup il n'est pas content. J'espère au moins que vous allez me remettre l'argent que vous devez à mon client ? »

    Le débiteur, faussement étonné : « Quel client ? »

    Moi : « Untel. »

    Le débiteur : « mais j'ai dit que j'allais... »  ou bien « j'avais dit que.. » ou bien « mais je ne peux... »

    Ron : « Schlack ! » (Ron parle beaucoup avec la paume de sa main)

     

    En général, on ne repart jamais les mains vides. Ou alors le débiteur est vraiment à sec, mais c'est rare. Les gens qui s'enterrent sous les dettes sont rarement à sec. Ils connaissent toutes les ficelles, toutes les combines pour trouver le cash qui alimentera leur addiction, qu'il s'agisse de jeu, de drogue, de montres, de chevaux de course ou de sacs à main. 
    Bien entendu, en cas d'addiction aux sacs à main, Ron ne met jamais de baffes à la dame, quand c'est une dame. Et si c'est un Monsieur qui ressemble beaucoup à une dame, dans le doute, il s'abstient. On a mis longtemps à trouver une méthode adaptée à la gent féminine aussi efficace que la boite à baffes mais on a fini par trouver : Ron casse en deux les escarpins, il déchire les sacs à main, mange les tubes de rouge à lèvres, et il lui est arrivé d'avaler un collier de perles ou deux. Quand je vous dis qu'il est créatif...

    Nous avons le meilleur taux de recouvrement de la Région Parisienne. On nous envoie dans des endroits d'où certaines équipes ne sont jamais revenues. On ne cherche pas la bagarre, mais parfois c'est la bagarre qui nous trouve. De temps à autres un débiteur qui sait que nous le cherchons embauche un garde du corps pour "s'occuper" de Gaufrette. Ça ne donne rien de bon, ni pour le garde du corps, ni pour le débiteur. Ron, lui, adore rencontrer de l'opposition sérieuse. Presque autant qu'il aime les gaufrettes à la vanille. Des fois, on tombe sur un caïd, entouré de plusieurs gros bras. Ron adore ça, presque autant que les gaufrettes à la fraise. 

    Et jamais, au grand jamais, on a vu un chien attaquer Ron. Il a une espèce de super-pouvoir sur les animaux. Il n'est pas rare que des Rottweilers se pissent dessus quand Ron les caresse. De joie, pas de peur.

     

    Dans le milieu on nous appelle « Gaufrette et Lumière ».

    Mon surnom, je l'ai gagné avec une méthode que j'ai inventé pour chahuter les débiteurs : quand ils ne se montrent pas coopérants, je brise dans leur logement toutes les ampoules de leurs lustres et de leurs lampes. Je pousse le vice jusqu'à casser la petite lumière du frigo. Ce n'est pas très couteux, moins douloureux que des os brisés, mais c'est très pénible à remplacer. Ça leur promet au minimum quelques heures dans le noir, et comme ça ils pensent à moi quand ils se cognent les pieds dans leurs tables basses. Il faut dire qu'on perd souvent le sens de l'équilibre dans les heures qui suivent une baffe de Ron.

     

    Certains créanciers peu scrupuleux utilisent notre renommée sans faire appel à nos services. Il leur suffit de dire : « Je vais vous envoyer Gaufrette et Lumière, et on verra si vous ne pouvez pas me payer ». Des fois, ça marche. Mais Ron et moi, nous n'aimons pas trop ça. Quand on l'apprend, on va demander des droits d'auteurs. En général, le créancier qui a utilisé notre renommée ne fait pas trop d'histoires et nous verse notre commission de 10 %. Plus 10 % de dommages et intérêts, et 10 % pour atteinte à notre image professionnelle. Car on ne s'annonce jamais dans notre métier, c'est une règle de base pour éviter les mauvaises surprises. Si on prévenait les débiteurs de notre venue, à l'heure qu'il est nous pourrions faire de la pub pour le gruyère. L'effet de surprise est essentiel pour éviter les coups tordus. 

    Nous avons travaillé dur pour acquérir notre réputation, mais on tient surtout à notre peau.

     

    Au cours de l'été 2018, nous avons dû faire face à une situation imprévue. Nous avons été mis en échec plusieurs fois. Des concurrents jaloux de notre succès avaient répandu le mot : pour avoir la paix avec nous il fallait offrir des gaufrettes à Gaufrette.

     

    C'est arrivé trois fois avant que nous ne parvenions à trouver une parade. 

     

    (à suivre dans le prochain épisode : Les encaisseurs dans "Gaufrettes à Gogo".)

     


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  •  

    Avoir un oeil au beau au milieu de la nuque,

    Ce n'est pas bien grave, même si c'est navrant.

    Les testicules chryptorchides chez l'eunuque,

    Ou pire, l'absence de particule chez les ducs,

    Sont des fléaux bien plus éprouvants.

     

    Il vous suffira de garder les cheveux longs

    Ou de porter en permanence un foulard,

    Et, en cas de mauvaise rencontre avec un roublard,

    De cochon pendu improvisé ou de nudisme forcé à Toulon,

    Vous pourrez toujours faire croire à un canular.

     

    Un oeil au milieu de la nuque sera toujours plus facile à dissimuler

    Qu'un manque d'esprit ou de charité.

     

    Oeil de Moscou

     

     

     


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  • Il y avait quelque chose de brisé chez Jean-Michel.

     

    La vraie cassure s'est produite le jour où il a abandonné son chien dans la forêt de Rambouillet. Il n'avait trouvé personne pour le garder pendant les vacances et avait trouvé ridicule le montant demandé par les pensions pour chiens qu'il avait consulté : deux cent cinquante euros au minimum pour seulement huit jours de garde, sous prétexte que c'était la pleine saison ! Il avait donc décidé de s'en séparer d'une façon moins conventionnelle. Il avait inventé toute une histoire à raconter à sa femme sur le destin funeste du chien, son évasion au moment de rejoindre la pension canine, la route, le camion, le choc, le constat cruel.

     

    Il n'était pourtant pas fier de lui, une fois son forfait commis. Il avait roulé la boule au ventre vers la destination de ses vacances, près de Périgueux. Une fois arrivé, ni ses amis ni sa femme n'étaient parvenus à le dérider de toute la soirée. La compassion et le réconfort que tous ses proches lui avaient témoigné après l'annonce de la mauvaise nouvelle avait été la chose la plus difficile à supporter, pour Jean-Michel. 

    La nuit venue, il fut incapable de trouver le sommeil. Il ne cessait de ré-entendre les aboiements déchirants de Vicks lorsqu'il s'était éloigné de l'arbre auquel il l'avait attaché.

    Rongé par la culpabilité, bouffi de remords, Jean-Michel repartit le lendemain matin aux aurores, sans prévenir personne, pour retrouver son chien. Arrivé aux abords de la forêt de Rambouillet sur le coup de midi, il ne parvint jamais à retrouver l'endroit où il avait abandonné Vicks.

    En fin d'après midi il décida d'aller acheter une tente et un nécessaire de camping dans le Décathlon le plus proche, afin de dormir le plus près possible de sa zone de recherche.

     

    Trois jours durant, il chercha son chien désespérément, ignorant tous les appels téléphoniques de sa femme et des ses amis.

    À la fin du troisième jour Rosita, sa femme, lui annonça par texto qu'elle le quittait.

    Paniqué, il reprit immédiatement la route de Périgueux pour la rejoindre. Il avait très peu dormi au cours des jours précédents et il n'évita que d'extrême justesse plusieurs accidents sur la route. Une fois arrivé à l'hôtel, peu avant 22 heures, ses amis lui apprirent que sa femme avait quitté l'établissement l'avant veille.

    Enragé, Jean-Michel reprit illico la route en direction de son domicile, et s'endormit une heure plus tard sur l'autoroute, entre Limoges et La Souterraine. Il encastra sa Peugeot 2008 dans un poids lourd espagnol qui convoyait tranquillement des aubergines et des tomates vers Rungis. Le poids lourd et les légumes s'en sortirent sans grands dommages mais Jean-Michel ne put pas en dire autant, avec ses fractures du bassin, des lombaires et celles de ses deux fémurs.

     

    Deux mois d'hôpital et trois mois de rééducation sans aucune visite plus tard, il put enfin repartir à son domicile, en VSL.

    Une fois arrivé à son appartement, il trouva une pile de courrier, dont celui relatif à son licenciement, ainsi qu'un avis d'expulsion. L'appartement était par ailleurs vidé de toutes les affaires de sa femme, et de la grande majorité des siennes.

    Sur la porte du frigo, maintenue par un magnet "Haribo c'est beau la vie", il trouva une note manuscrite datée du jour de son accident :

    « N'essaie pas de me revoir. Je te laisse le canapé et ta cafetière. Je garde aussi le chien, que j'ai récupéré au refuge SPA d'Hermeray hier. Il était pucé, pour ton information. Pour un chien mort écrasé, il est en très bonne santé. Adieu. »

     

    Les mois qui suivirent furent difficiles pour Jean-Michel, qui n'avait plus ni femme, ni chien, ni amis, ni travail, ni argent. Il trouva d'abord refuge dans des foyers pour sans abris, avant de trouver refuge dans le vin rouge "La villageoise", puis dans la drogue, qui était moins chère et plus efficace.

    Deux ans plus tard, il mourut écrasé par un camion du côté de la porte de la Chapelle. Il avait fait tomber par inadvertance d'un pont surplombant le périphérique sa dose journalière de crack. Il est mort en tentant de stopper à mains nues le camion de 38 Tonnes bourré de meubles Ikéa qui menaçait d'écraser son petit caillou.

    Disséqué par des apprentis médecins à la faculté de médecine de Paris 13, l'état de son squelette et de ses organes fut l'objet d'une publication dans la revue de la Faculté. Le corps mutilé de Jean-Michel termina son parcours dans le carré des indigents du cimetière de Thiais.

    Vicks, énergique labrador de 5 ans, vit toujours avec sa maîtresse du côté de Sartrouville. Il va très bien, mais il ne supporte plus d'être attaché.

    De l'avis de tous, c'est un très bon chien. 

     

    Le karma est un plat qui se mange froid

     

     


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  •  

    Robert n'avale pas de thé tard :

    S'il mange des grenouilles tard le soir,

    Il les accompagne de pinard.

     

     


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  • Il y a quelques années, un matin de Janvier, je me suis levé avec l'idée de sauver la planète. Dehors, il faisait douze degrés, avant même que le Soleil ne daigne montrer le bout d'un rayon.  

    À cette époque, déjà, il y avait un consensus généralisé selon lequel "la planète était foutue". 

    La veille au soir, j'avais vu un reportage sur les incendies en Australie. On parlait de milliards d'animaux carbonisés, et d'une trentaine d'humains morts. Comme si les humains n'étaient pas des animaux eux mêmes. Mais il est admis que les humains sont des animaux plus importants que les autres. À part pour quelques débiles, fruits d'une époque dans laquelle n'importe quel groupe constitué de bric et de broc sur les réseaux sociaux peut prendre la parole et être entendu.

     

    J'ai toujours trouvé qu'il y avait trop d'humains sur cette planète, même si je ne voyais pas grand monde hors le truchement de mes écrans, perdu que j'étais dans mon chalet de montagne. À chaque fois que je voyais au journal télévisé des foules énormes regroupées pour des évènements sportifs, des enterrements ou des manifestations, j'avais des bouffées d'angoisse.

    Mais si l'on dépasse mon ochlophobie, qui pourrait contester que le problème principal de la Terre est notre présence en trop grand nombre à sa surface ?

    Oui mais voilà : personne ne veut mourir et la meilleure façon de ne pas mourir totalement reste à ce jour la reproduction. Mécanisme aléatoire, parfois décevant, mais bien rodé, bien ancré dans nos disques durs génétiques. 

    Depuis quelques décennies, l'Europe semblait avoir pris la route de la décroissance démographique. Non pas par idéologie, mais grâce à un faisceau de facteurs, aux rangs desquels on peut citer les prix de l'immobilier, l'émancipation des femmes, la longueur des études, le coût des enfants, la contraception, la hausse des divorces, l'individualisme et le déclin des religions. Dans les pays les moins favorisés, les enfants étaient toujours considérés comme une richesse. Les systèmes de dot et d'alliances chères à Claude Levi-Strauss, toujours prépondérants, y favorisaient la progression des courbes démographiques pour encore quelques décennies. 

    Et ne parlons pas des pays dominés par une idéologie religieuse et encore moins de ceux où l'on faisait et où l'on fait toujours des enfants en préparation des guerres à venir. Ceux là étaient et sont toujours aveugles à la problématique de la surpopulation. 

    J'avais renoncé, depuis longtemps, à l'espoir que pourrait représenter une instance mondiale qui édicterait des consignes formelles aux nations pour limiter leur progression démographique. Même la Chine avait cessé d'imposer aveuglément sa politique de l'enfant unique, alors qu'elle était un précurseur en la matière. D'ailleurs le sujet était soigneusement dissimulé sous le tapis lors de tous les colloques mondiaux sur la problématique du réchauffement climatique. C'était un sujet trop sensible, source potentielle de plusieurs guerres mondiales. Manque de bol, c'était aussi le seul sur lequel les gouvernements auraient pu agir efficacement.

    Quant à la prise de conscience écologique des populations occidentales, si elle était louable, les effets attendus de cette révélation étaient dérisoires. Surtout lorsque on s'évertuait à mettre sur un même plan l'escroquerie des énergies renouvelables, les toilettes sèches, l'interdiction des pailles en plastique, le tri sélectif, l'interdiction des feux de cheminées, les nouvelles taxes écologiques et les formidables véhicules électriques. Pendant ce temps là, les centrales à charbon et à fuel continuaient à cracher la mort dans toute l'Europe parce que la seule énergie propre disponible, le nucléaire, était "dangereuse". Et plusieurs centaines de millions de nouveaux voisins supplémentaires voyaient le jour chaque année dans les pays moins favorisés. Des voisins avides d'énergies fossiles, de véhicules, de téléphones portables et d'air climatisé.

     

    J'ai donc décidé de prendre les choses en mains. Si personne ne voulait rien faire de sérieux pour diminuer la libération de dioxyde de carbone dans l'atmosphère, j'allais m'en charger moi même. 

    Après tout, mes quinze années d'expérience dans différents régiments du Génie de l'Armée de Terre m'avaient donné une solide expérience dans la fabrication des bombes, et je n'avais jusqu'alors jamais vraiment eu l'opportunité de mettre en oeuvre mes compétences. 

    L'idée de faire exploser des maternités s'est imposée naturellement à moi. Viser les maisons de retraite ou des Mac Donald n'aurait eu aucun sens. Faire exploser des maternités, ça en avait : instiller la peur sur le long terme aux personnes qui voulaient se reproduire. Après tout, les pro-life américains avaient fait preuve de l'efficacité du blocage et du saccage des cliniques pratiquant l'avortement. Je ne faisais que m'inspirer de leur méthodes, en les retournant contre eux. 

    Je ne voulais tuer personne, je voulais juste dissuader. J'ai toujours appelé une heure en avance pour permettre l'évacuation de mes cibles avant qu'elles n'explosent. Si certains démineurs sont morts dans l'exercice de leur métier, j'en assume la responsabilité, mais tel n'était pas mon objectif et j'en suis sincèrement désolé.

     

    J'ai commencé mon action par les États Unis, bien entendu, en visant les états dans lesquels le droit à l'avortement était bafoué. Puis l'Amérique centrale, l'Amérique du Sud, l'Afrique, l'Indonésie avant de m'attaquer au golfe Persique.

    En tout j'ai détruit ou endommagé 67 maternités à travers le monde. Depuis le début de mon action, des gens sensés on rejoint mon combat, pas toujours en s'en prenant aux bonnes cibles. Actuellement il n'y a plus une seule maternité opérationnelle en Suède et le taux de natalité Européen est plus bas que jamais. Telle n'était pas mon intention, mais je suppose que l'on ne fait pas d'omelettes sans casser des oeufs. 

    Au niveau mondial, à ce jour, mon action commence à se faire sentir. Depuis le début de mes activités, la progression du taux de natalité mondial est en baisse. C'est un début. Mais la résistance s'organise. Le développement de l'accouchement à domicile a pris un essor vertigineux. On estime actuellement qu'un enfant sur trois nait au domicile de ses parents. Ce qui génère pas mal de complications. Une fois encore, telle n'était pas mon intention.

    Bien entendu, j'ai fini par me faire prendre, c'était une simple question de temps. Malheureusement, j'ai été pris en Iran, qui de façon paradoxale n'est pas un état tendre avec les terroristes. J'ai évidement été condamné à mort, et toutes mes voies de recours sont désormais épuisées. Le consul de France qui m'a visité en prison quelques jours après mon arrestation m'avait bien fait comprendre que le gouvernement de mon pays ne ferait rien pour m'extrader. Je n'en attendais pas mieux. 

    Dans deux jours, je serai mort, je cesserai de produire mon kilogramme de dioxyde de carbone quotidien. Quelque part, les mollahs vont faire progresser ma juste cause. La seule chose qui me chiffonne un peu, c'est la pendaison. J'aurais préféré un peloton d'exécution, plus en phase avec mes valeurs de combattant.

    J'espère que cette lettre parviendra à sortir de ma cellule. L'un de mes gardiens m'a affirmé être un partisan de notre cause et m'a proposé de faire sortir ce courrier. J'ignore encore si il dit vrai ou si il travaille pour les services secrets de son pays. Si vous lisez cette lettre, vous avez la réponse.

     

    Si vous me lisez, je ne peux que vous encourager à reprendre le flambeau qui se trouvera bientôt au pied de mon gibet. Notre but n'est pas de sauver la planète, la planète nous survivra, et nous pourrons faire tout et n'importe quoi, jamais nous ne parviendrons à éradiquer totalement la vie qui grouille à sa surface. Non, j'ai avant tout cherché à sauver l'espèce humaine d'une extinction de masse qui ne tardera pas à se produire si la lutte n'arrive pas dans les prochaines années à obtenir des résultats probants. 

    C'est pour cette raison que je vous enjoins à ne pas tuer, dans la mesure du possible. Ce n'est pas notre objectif, c'est même à l'opposé de notre combat. Non, il faut utiliser les armes que nous donnent les médias : leur pouvoir amplificateur est la meilleure des publicités. Privilégiez les actions spectaculaires, utilisez la terreur à bon escient, et peut-être, un jour, nous aurons sauvé notre habitat.

    Nous luttons pour les générations futures, nous ne luttons pas contre elles.

     

    Bien à vous,

    Jean Michel Cruche.

     

     


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  • Fleur de Fusil

    La route étant dépourvue d'embûches,

    Nous sommes allés gaiement

    À la rencontre de boches

    Qui n'allaient pas s'avérer très cléments.

    Les premiers combats furent une ébauche,

    Simple mise en bouche,

    D'affrontements de plus en plus déments.

    Ceux qui survécurent étaient les plus méchants,

    À leur retour, c'est à une vie de débauche 

    Qu'ils se vouèrent éperdument.

    Cinq chansons inachevées, ou pas

     

    ---

     

    Maison close

    Si on ouvrait en grand la porte aux inconnus,

    Assez vite on saurait qui ils sont, ce qu'ils veulent.

    Une fois nus dans la rue,

    Les anciens inconnus au chaud dans nos maisons,

    Nous deviendrions vite des inconnus nouveaux.

    Peut être serions nous alors les bienvenus,

    Aux portes des maisons d'autres gentils bons veaux.

    Mais non, nous faisons preuve d'une saine raison,

    En fermant nos portes à la gueule des inconnus,

    Sauf si l'inconnue est une blonde en pâmoison,

    Une brune en perdition, voire une rousse nue.

     

     

    ---

     

    La danse du penseur

    Quand je danse,

    Ça rigole autour de moi,

    Pourtant je me débrouille.

     

    Quand je pense, 

    C'est assez clair, des fois,

    Mais ensuite je m'embrouille.

     

    Dans les deux cas,

    J'ai l'air d'une andouille,

    J'arrête donc mes pas, 

    Je cesse de réfléchir,

    Je me ressers un kir,

    Avant de rentrer chez moi,

    Me laver la bouille,

    Et m'enfouir sous mes draps.

     

    ---

     

    Triclinium

    Écrire couché,

    Comme un empereur Romain,

    C'est amusant,

    Mais au niveau des débouchés,

    On fait moins le malin,

    Et c'est moins marrant.

     

    ---

     

     

    Une porte rouge ou verte

    Une porte ouverte,

    Peut être ou verte ou rouge,

    Elle peut aussi être ouverte et rouge,

    Si elle est fermée,

    Elle peut être rouge ou verte,

    Mais si elle est entrouverte,

    C'est qu'elle bouge,

    Ce qui laisse pas mal de possibilités.

    Cinq chansons inachevées, ou pas

     


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    Tous nos pas nous mènent assurément au trépas, 

    Toutes les directions mèneront au même destin,

    Mais s'arrêter en plein chemin n'est pas malin,

    Car c'est de loin la plus rapide de toutes les voies.

     


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    Ce matin il fait bien froid,

    Le ciel est bleu,

    Le soleil me caresse les bras,

    Nul effroi, plaisir miraculeux.


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    Mickaël Niniaud avait le sentiment d'être arrivé au bout de sa vie. 

    À 54 ans, ce chef d'entreprise, qui avait dédié sa vie à son commerce de piscines en kit pendant plus de trente années, était au bout du rouleau.

    Pendant longtemps, sa vie avait été un tourbillon. Les affaires étaient florissantes, c'était l'époque où tout le monde voulait installer une piscine dans son pavillon.

    Mais après une quinzaine d'années d'un succès foudroyant, les problèmes avaient commencé : la qualité de ses piscines, qu'il avait garanties vingt cinq ans, n'était pas suffisante pour résister aux outrages du temps. Il avait donc dû commencer à remplacer les piscines fendues par le gel, puis celles qui s'étaient affaissées sur elles même, parfois avec des nageurs malchanceux dedans. Les procès s'étaient enchainés, et les ennuis avec.

    Les dernières années avaient été très difficiles : les installations de piscines neuves avaient progressivement diminué alors que le nombre de remplacements aux frais de sa société avait explosé. Depuis sept ou huit ans, Mickaël Niniaud avait des bilans dans le rouge. Il avait perdu tout ce qu'il avait gagné précédemment, et ça s'était terminé par une faillite infamante, quelques mois plus tôt.

    On parle souvent du calme après la tempête, comme si c'était une chose agréable. Mais pour Mickaël Niniaud, le calme après la tempête fut ravageur.

    Sa femme était partie depuis déjà quelques années, quand l'argent avait commencé à se faire rare. Son fils ne lui avait plus adressé la parole depuis qu'il avait cessé de financer ses études. Ses amis s'étaient progressivement éloignés, et il n'avait rien fait pour les retenir. Lorsque la tempête prit fin, Mickaël Niniaud se retrouva seul dans sa grande maison, sans amis, sans famille, et sans aucun but dans la vie.

    Le calme après la tempête, pour Mickaël Niniaud, c'était l'enfer.

     

    Comme sa responsabilité avait été engagée dans le cadre de la liquidation de son entreprise, un tribunal avait récemment prononcé sa faillite personnelle. Ses derniers biens, dont la maison dont il avait naguère été si fier, allaient être saisis et vendus aux enchères, pour rembourser une partie des dettes abyssales de son ancienne société.

    Le matin du 25 Décembre, jour de Noël, de loin la fête la plus pénible à vivre pour une personne seule et déprimée, Mickaël Niniaud décida d'en finir.

    Il prit sa voiture, qui par miracle n'avait pas encore été saisie, et se rendit à quelques kilomètres de son domicile, là où serpentait la plus grosse rivière du département.

    La noyade lui semblait le moyen le plus approprié d'en finir. Il l'aurait bien fait chez lui, mais il n'avait jamais trouvé le temps d'installer une piscine dans sa belle propriété. De toute façon, il ne savait pas nager.

     

    Il se gara le long d'un chemin de terre et se rendit à pied sur une petite zone de pêche aménagée qui surplombait la rivière.

    Il était neuf heures, le temps était gris. En ce jour de liesse, au cours duquel toute la population ouvrait ses cadeaux, il n'y avait évidemment pas un chat à l'horizon. Le petit ponton, aménagé pour la pêche au brochet par quelques passionnés du coin, était désert.

    Mickaël s'était habillé sans réfléchir avant de prendre la route : il portait un bas de jogging gris, un anorak vert recouvrait son pull le plus chaud, mais il était en chaussons.

    Arrivé au bord du ponton, il se rendit compte avec stupéfaction que la rivière était à sec, de façon totalement incompréhensible. La veille encore, il avait constaté de ses yeux la présence des eaux tumultueuses, gonflées des précipitations des dernières semaines. On ne parlait que des risques d'inondations, dans la presse locale.

    Mais Mickaël ne rêvait pas : quelques rares flaques d'eaux surnageaient dans une rivière de boue, en compagnie d'objets plus ou moins reconnaissables, qui allaient du vieux pneu à la carcasse de vélomoteur, en passant par une quantité astronomique de bidons en plastiques. Il y avait également quelques reflets argentés, ici et là, de poissons de toutes les tailles en train de s’asphyxier.

    Incrédule, après quelques minutes de sidération face à ce spectacle macabre, Mickaël Niniaud regagna son véhicule.

    Une fois installé derrière le volant, il mit le contact et alluma la radio. Des flashs spéciaux occupaient toutes les antennes nationales : apparement, le phénomène était mondial. Sur toute la surface du globe, les rivières, les fleuves et les lacs s'étaient asséchés pendant la nuit. Le niveau des mers avait baissé sur toute la planète de plusieurs centaines de mètres. Sur France Inter, un habitant de La Rochelle, qui avait un appartement avec vue sur la mer, témoignait de la disparition de l'océan Atlantique, remplacé par une mer de sable.

     

    Mickaël Niniaud poussa un gros soupir. Les éléments se liguaient contre lui. 

    La noyade n'était plus une option. 

    Son projet venait de tomber à l'eau.

     

     

     


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    Perdu dans un tunnel,

    Je marchais dans le noir depuis des heures, 

    J'étais fatigué et j'étais de mauvaise humeur.

     

    Soudain un Ours Polaire est apparu,

    Ni une ni deux, je me suis défendu :

    Je l'ai choppé par la queue,

    Fait tournoyer dans les airs,

    Avant de l'éclater par terre,

    Comme un ours en peluche hideux.

     

    Je dors comme un bienheureux,

    Mais je fais souvent des rêves douteux,

    À base d'Ours blancs dans le noir :

    S'il est perdu dans un tunnel mal éclairé,

    Fatigué, affamé, et ne peut rien voir,

    L'Ours blanc est en danger.

     

    Je sais bien que la banquise fond,

    Mais ces circonstances exceptionnelles

    Ne sont pas une raison

    Pour venir se réfugier dans mes tunnels

    Et les garnir de gros étrons.

    En plus je ne trouve jamais la pelle,

    Pour ramasser.

     

    Du blanc dans le noir, du noir dans le blanc

     

     

     


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    Question cylindrée

    J'en ai encore sous l'capot,

    Je suis toujours un cinglé,

    Un gros méchant pas beau.

     

    J'ai coulé une bielle,

    On y peut rien,

    C'est comme ça ma belle,

    Je suis un vaurien.

     

    Si on me serre,

    Je démarre au quart de tour,

    Pour mon adversaire,

    Je ne fais aucun détour.

     

    J'ai coulé une bielle,

    On y peut rien,

    C'est comme ça ma belle,

    Je suis un vaurien.

     

    Ma tôle est froissée,

    C'en est presque affolant,

    Mon carbu est encrassé,

    Mais je suis un fou du volant.

     

    J'ai coulé une bielle,

    On y peut rien,

    C'est comme ça ma belle,

    Je suis un vaurien.

     

    Écartez vous de mon chemin,

    Ma direction est faussée,

    Si vous faites les malins,

    Vous finirez dans le fossé.

     

    J'ai coulé une bielle,

    On y peut rien,

    C'est comme ça ma belle,

    Je suis un vaurien.

     

    Quand tout finira par péter,

    Tu me trouveras,

    Quelque part sur le bas côté,

    Dans l'état du Dakota.

     

    On y peut rien,

    C'est comme ça ma belle,

    Tout à une fin,

    Même la saison des mirabelles.

     

    Satanas

     

     


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    Je voulais manger des pommes,

    Mais j'ai mangé des gaufrettes.

    Je voulais être un homme,

    Je n'suis qu'une usine à merde,

    Que je livre par barges de fret,

    Pour ne pas qu'elle se perde.

     

    La défaite n'est pas complète :

    Grâce à cette matière fécale,

    Poussent blé et tournesol,

    Dont sont faites les gaufrettes.

    Toutes choses étant égales,

    Quelque part je m'en console.

     

    Ciel !

    Ce petit vélo, il est dans ma tête,

    Ça tourne, ça tourne, jamais ça ne s'arrête.

     

    Le cycle éternel de mon petit vélo dans le ciel

     


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    Si les amis de mes amis sont mes amis et que les ennemis de mes ennemis sont mes amis, logiquement les ennemis de mes amis sont mes ennemis et les amis de mes ennemis sont mes ennemis. 

    Qu'advient il alors des amis de mes ennemis qui sont les ennemis des ennemis de mes amis ? Si ce sont des ennemis qui sont ennemis avec mes ennemis et que les ennemis de mes ennemis sont mes amis, mes ennemis peuvent donc être non pas des amis mais des alliés.

    Il faut donc hiérarchiser ses inimitiés pour débusquer chez les amis des petits ennemis des alliés potentiels pour monter une alliance contre des grands ennemis que nous avons en commun.

     

    C'est ainsi que Jordan, Mouss, Kevin et moi avons pu piquer la mousse au chocolat de Michel-Henri à la cantine ce midi. 

     

     

     

     


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  • CHAPITRE 3

     

    Billy fut réveillé par le chant des cigales, persuadé d'avoir fait un épouvantable cauchemar. Mais le contact avec la matière étrange de sa couverture, et le mur gris aux reflets bleutés qui apparu sous ses yeux eurent tôt fait de le rappeler à la réalité.

    Il était toujours sur le vaisseau Létan, et il avait été condamné à 15 ans de servitude à cause d'une histoire de billes.

    Il eut envie de pleurer mais il se retint.

     

    T-Kal était debout, et il avait revêtu une sorte de robe rouge informe, comme celle que portait Iloxyia la veille. La sienne dissimulait ses quatre jambes et chacun de ses bras était couvert d'une manche d'où sortaient une petite douzaine de doigts (onze exactement). T-Kal utilisa une de ses mains pour indiquer à Billy la petite table sur laquelle était posée son casque traducteur, tout en poursuivant ses crissements incompréhensibles.

    Billy mit le casque sur ses oreilles.

    • Ah enfin ! Allons déjeuner si tu veux bien, j'ai faim. Tu roupillais comme un Ollamyrian, j'ai cru que je n'arriverai jamais à te réveiller !

    Billy allait mettre ses chaussures quand T-Kal l'interrompit :

    • Inutile de te chausser, les serviteurs ne peuvent pas porter de chaussures. C'est une vieille coutume Létane.

    • Je peux garder mes chaussettes ? Demanda Billy. 

    • Oui, pour l'instant. Allez suis moi.

    T-Kal prononça une commande vocale, et le panneau qui donnait sur le corridor s'ouvrit. Il se retourna vers Billy avant de sortir et lui demanda :

    • Au fait, tu t'appelles comment ?

    • Billy. Billy Tomisen, répondit Billy.

    T-Kal tendit ses quatre bras vers sa tête poilue et lui dit :

    • Je suis T-Kal Uk-Tul-Oktyl. Tout le monde m'appelle T-Kal sur ce vaisseau. Je suis le précepteur des enfants de l'ambassadeur. Allez viens, on va manger. C'est important la nourriture, avant une journée de travail. 

    Puis il se retourna et s'engagea dans le couloir.

     

    Fin de l'extrait gratuit.

     

    ****

    (Chapitre 3 à 76)

    ****

     

     

     

    ÉPILOGUE

     

    Il ne s'est rien passé de vraiment épouvantable pendant la première année de servitude du petit Billy. Mais elle n'a pas été agréable pour autant.

    La rencontre avec des races d'extraterrestres inconnues de l'humanité, la découverte de la culture et de l'organisation politique Létane, la révélation sur les dangers qui menacent l'humanité, l'abordage des renégats du consortium, l'amitié naissante avec l'héritier de l'ambassadeur, l'antagonisme croissant avec le chef cuisinier et sa pâtée immonde, les menaces de mort de Moxa, l'entretien difficile des élevages de Xl'tar, les morsures de Mardoshs, les cours du soir de T-Kal, tout cela a occupé Billy pendant ses longues journées. Mais, la nuit venue, il a continué de faire face au vide, à l'absence de ses mères. Il n'était après tout qu'un petit garçon de neuf ans. 

    L'arrivée sur Léta, après les détours par les cités célestes d'Alhump et la Station K-Kal'k, va à nouveau bouleverser la vie du petit Billy, pour le meilleur et pour le pire.

     

    Vous le découvrirez dans la suite de ses aventures, dans le tome 2 : Léthargique sur Léta. 

     

     

     

     


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  • CHAPITRE 2

     

    Iloxyia et Billy retraversèrent les salons par lesquels ils étaient arrivés. Billy cru qu'ils allaient sortir des quartiers de l'ambassadeur, mais Iloxyia passa devant le grand sas d'entrée sans s'arrêter et poursuivit son chemin dans une coursive d'apparence anodine.

    Billy réalisa qu'ils étaient entrés dans le domaine des serviteurs : cette partie des quartiers privatifs de l'ambassadeur était beaucoup moins luxueuse : pas de décorations, ni de beaux meubles. Murs, sols et plafonds étaient de la même matière et de la même couleur que les corridors du vaisseau : des parois métalliques d'un gris pâle.

    Après quelques pas dans la coursive, lloxyia désigna de la main un local sur leur droite et prononça quelques mots, aussitôt traduits par le casque :

    • Ici ce sont les cuisines.

    Billy fut surpris de constater que le cuisinier qui officiait derrière le panneau transparent n'était pas Létan. Il reconnut un Sarthas, reconnaissable à son corps longiligne, sa couleur verte et à sa peau de serpent. Il était en train d'estourbir avec une grosse batte en métal de petites bêtes bleues à plumes, entassées dans une bassine. Il semblait y prendre un plaisir sadique. Mais Billy était si saturé d'émotions qu'il n'y prêta pas une grande importance. Il était comme anesthésié par l'enchaînement des évènements depuis la sortie de sa cachette.

    • En face, ce sont les élevages de X'ltar, dit Iloxyia en désignant le local qui faisait face aux cuisines avec un de ses gros doigts griffus. C'est probablement là que je te ferai travailler.

    À travers le même type de panneau transparent, on pouvait voir des dizaines de petites cages dans lesquelles de petits animaux étaient entassés. Il y avait notamment les mêmes petits animaux bleus que ceux que le cuisinier était occupé à trucider. Curieusement ces bestioles étaient apparement dépourvues de pattes. Il y avait également d'autres animaux inconnus, des sortes de lapins rouges à bec noir, sans oreilles, et ce qui ressemblait à des enchevêtrements gluants de petits serpents noirs. Il y avait également des poules, que Billy reconnu facilement. Il savait que les poules et les oeufs étaient à la base des premiers accords commerciaux entre les Humains et les Létans. Les Létans étaient dingues d'oeufs de poule, c'était de notoriété publique. 

    La servante Létane continua son chemin, et Billy la suivit. Ils arrivèrent à un croisement. Elle reprit la parole, à grands renforts de claquements de mandibules et d'agitations de tentacules :

    • À droite ce sont les réserves, à gauche les chambrées. En face c'est la cambuse des serviteurs, avec une petite salle de repos commune. C'est là que tu prendras tes repas. Une fois que j'aurais communiqué au chef tes besoins alimentaires il fera une pâtée adaptée à ton organisme. Et si ce n'est pas bon, il faudra être très gentil avec lui si tu veux qu'il modifie la recette. Laniss n'apprécie pas beaucoup les critiques frontales sur sa cuisine.

    Elle se dirigea sur la gauche et poursuivit :

    • Normalement on regroupe les serviteurs par espèces, mais nous n'avons pas de chambrée libre pour toi. Tu ne fais pas trop de bruit quand tu dors ? Tu dégages des odeurs particulières pendant ton cycle de sommeil ?

    • Non, je ne crois pas, répondit Billy.

    • Je vais te mettre dans la chambre occupée par T-Kal. C'est un Bam'toss, il est très calme et ne fait aucun bruit, ça devrait aller. Il doit déjà être dans son cycle de sommeil, je vais vous présenter.

       

    Elle toqua à une porte et patienta. Quelques instants plus tard, un être un peu plus grand que Billy ouvrit la porte. Il était entièrement couvert de poils noirs mais on distinguait tout de même ses quatre jambes et ses quatre bras, ainsi qu'une petite tête barbue dotée de deux gros yeux à facettes. Il commença à émettre des sons qui ressemblaient à des crissements d'insectes terriens, les cigales. Ses propos furent automatiquement traduit par le casque que portait toujours Billy :

    • Iloxyia ? Tu sais que je ne suis pas de service ? Je viens de commencer ma nuit ! Puis, avisant Billy derrière Iloxyia : Ah non, tu ne vas pas me coller ça dans les pattes ! Tu sais très bien que j'ai besoin d'un calme absolu pour dormir ! C'est un motif de rupture de contrat !

    • Ne t'énerves pas, T-Kal. On a pas le choix. Je ne peux pas le mettre chez les Alnittes, c'est donc toi ou Laniss. Le petit est un humain immature, il n'a pas cinq ans. Tu veux qu'il passe ses nuits avec un Sarthas ?

    La boule de poil poussa un long son qui ne fut pas traduit, mais qui ressemblait beaucoup à un soupir :

    • Bon, d'accord. Puis s'adressant à Billy : mais je te préviens, je ne veux pas un bruit quand je dors.

    • Je te le confie pour la nuit, il faut encore que je m'occupe de sa pâtée et de ses uniformes pour demain. On se retrouve à la cambuse pour le petit déjeuner. Tu prends bien soin de ne pas le laisser abimer son casque de traduction. Il ne faut pas qu'il dorme avec. Donne lui à boire et explique lui le fonctionnement des sanitaires.

    Alors que le Bam'toss allait faire entrer Billy dans la chambrée, il demanda :

    • Pourquoi ont ils donné un contrat à un gamin ? Il a quelque chose de spécial ?

    • C'est lui qui est responsable de la mort du patron. Il est passé à deux doigts du Xav'Yrtyr. Il n'est pas sous contrat au sens où tu l'entends. Bon, je te laisse, j'ai la table du conseil à nettoyer. 

    Tandis qu'Iloxyia s'en allait vaquer à ses occupations, la porte coulissante de la chambrée se referma dans un petit chuintement, après que le quadrupède poilu eût pris soin de faire entrer Billy à l'intérieur.

     

     

    Billy trouva qu'il y avait une odeur bizarre dans la chambre, qui était plongée dans les ténèbres. L'odeur n'était pas forcément désagréable, mais étrange. T-Kal prononça un mot qui ne fut pas traduit et une douce lumière bleutée permit à Billy de distinguer l'endroit où il se trouvait. La chambre ne faisait pas plus d'une dizaine de mètres carrés, et était assez basse de plafond. Sur sa gauche, il y avait une espèce d’alcôve ronde, avec des bandes de mousses qui devaient servir de couvertures. Sur sa droite, il y avait un espace vide. Aux extrémités, deux armoires et deux petites tables complétaient le décor.

    • Tu dors dans quelle position ? Demanda T-Kal. Debout, assis, couché ?

    • Couché, répondit Billy.

    • À plat ou avec une inclinaison ?

    • Euh, à plat. 

    • Sur quelle type de surface ? Dure ou molle ?

    • Plutôt molle.

    Le Bam'toss s'approcha d'un pad qui était accroché sur le mur à côté de la porte d'entrée et tapa rapidement quelques commandes dessus à toute vitesse.

    Une alcôve rectangulaire commença à émerger doucement de la cloison de droite, formant un lit facilement accessible pour Billy.

    • Essaie voir si la consistance est bonne, demanda T-Kal.

    Billy alla tâter le la matière qui tapissait le bas de l'alcôve : elle semblait douce et très confortable. Il se tourna vers le Bam'toss :

    • Ça à l'air bien.

    • Tant mieux. Écoute, je sais que tu dois avoir beaucoup de questions, mais je suis fatigué et je veux faire ma nuit. Si je ne dors pas assez je risque de faire des crises de narcolepsie pendant ma journée de travail, et je n'y tiens pas. On aura l'occasion de faire le point sur ta situation demain avec Iloxyia. Tu as sommeil ?

    • Un peu, répondit Billy. 

    Le Bam'toss se dirigea vers un des placards, duquel il sorti une bande de mousse qui ressemblait à celles de l'alcôve arrondie. Billy trouvait que le Bam'toss ressemblait de plus en plus à une grosse araignée très poilue. Il se déplaçait avec une espèce de grâce étrange. L'être poilu s'approcha de lui et lui tendit la bande de mousse avec ses quatre bras, tous dotés d'un nombre de doigts impressionnant.

    • Tiens, ça te permettra de maintenir ta chaleur corporelle à la bonne température, c'est une couverture intelligente. 

    Pendant que Billy posait sa couverture sur son lit, T-Kal se dirigea vers le mur du fond et appuya sur un autre pad. La cloison de la chambre coulissa, révélant une autre pièce :

    • Ce sont les sanitaires. Approche, on va les programmer pour ta physiologie. Mets ta main sur le pad.

    Billy s'approcha : la petite pièce faisait trois mètres de large sur deux de profondeur, et elle était vide. Billy mis sa main sur le pad, qui clignota deux fois avant d'afficher des symboles incompréhensibles. Sur la gauche de la pièce, un tube gris d'une trentaine de centimètres de large, avec un rebord plat, sortit doucement du sol, s'arrêtant à une quarantaine de centimètres de hauteur. T-Kal se tourna vers Billy :

    • Tu pourras faire tes besoins là dedans ?

    • Oui, je crois, répondit Billy, très gêné.

    • Jamais vu un truc aussi primitif. J'ai toujours pensé que le système digestif d'une espèce en disait beaucoup sur sa nature profonde. Bon, passons. Pour la douche, il suffit de s'avancer dans le coin opposé, dit-il en désignant le côté droit de la petite pièce. La douche sonique se lancera automatiquement. Le mieux est d'enlever ses vêtements, mais ce n'est pas obligatoire. Pour un nettoyage en profondeur de tes vêtements, il suffit de les laisser quelques instants au sol. Bon profite d'être là pour faire ce que tu as à faire, je ne veux plus être réveillé d'ici la fin de mon cycle de sommeil. 

    T-Kal quitta la petite pièce, le panneau se refermant derrière lui dans le chuintement aigu auquel Billy commençait à s'habituer. 

     

    Billy ressortit des sanitaires quelques minutes plus tard après avoir appuyé sur le pad interne pour ouvrir le panneau. L'expérience de la douche sonique avait été assez désagréable. Celle des toilettes avait été une bonne surprise, en comparaison. 

    T-Kal s'était allongé dans son alcôve arrondie. Son corps épousait les contours de l’alcôve dans un cercle presque parfait. Ses pieds étaient presque au contact de sa tête, ce qui paru très bizarre à Billy. Le Bam'toss lui désigna avec un de ses bras une espèce de petite gourde en matière plastique qui était sur la table la plus proche du lit de Billy.

    • Tiens voilà de l'eau. Je ne sais pas si elle est correctement minéralisée pour ton espèce, mais tu peux la boire sans danger. Je te montrerai les commandes pour remplir ta gourde demain, dans la cambuse.

    Billy porta la gourde à ses lèvres : l'eau était fraiche et avait un goût métallique désagréable.

    • Maintenant, on dort. Pose ton casque sur la table avant de te coucher, je ne veux pas me faire éventrer par Iloxyia demain si il est abimé. C'est un matériel très couteux. Iloxyia prendra les dimensions de ton système auditif pour te fabriquer un traducteur permanent. Tu peux mettre tes vêtements dans ce placard ci, dit-il en désignant celui duquel il avait sorti la bande de mousse.

    Un peu perdu, Billy se contenta d'enlever ses chaussures, posa son casque sur la petite table, et se mit dans le lit tout habillé. Quelques instants plus tard, après quelques crissements émis par T-Kal, le noir absolu se fit dans la chambrée.

    Billy pleura beaucoup cette nuit là avant de s'endormir, mais le plus silencieusement possible, pour ne pas s'attirer les foudres de son étrange et volubile compagnon de chambrée. 

     

     


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  • CHAPITRE 1

     

    La policière qui sortit Billy de sa cachette ressemblait beaucoup à sa maman Agna : élancée, noire, les cheveux savamment tressés, et très belle. 

    • Allez Billy, sors de là, lui dit-elle gentiment.

    Billy savait que sa mère l'avait caché dans un placard de maintenance de la station pour une raison grave, mais il ignorait laquelle. Il était content de sortir de sa cachette car il n'avait plus d'eau et il avait très envie d'aller aux toilettes. La policière ne répondit pas à ses questions, se contentant de le sortir des couloirs de maintenance faiblement éclairés pour rejoindre les corridors lumineux de la station. Puis elle le conduisit aux toilettes. Lorsqu'ils en sortirent, un autre policier les rejoignit et donna à Billy un sandwich et une bouteille d'eau, sur lesquels le jeune garçon se jeta. Après ça, la policière le guida d'un air triste vers le corridor B8, qu'il connaissait bien pour y jouer régulièrement.

    La policière laissa Billy sans un mot aux officiels de la station qui les attendaient, et repartit sans demander son reste. Dans le corridor entièrement recouvert de panneaux blancs, on entendait rien hormis le bruit de la ventilation. La plupart des adultes présents, une demi-douzaine, regardaient leurs chaussures.

    • Suis nous Billy, dit le Commandant Nakata en lui indiquant de la main la direction à suivre.

    • Mais on va où ? Demanda Billy d'une petite voix. 

    Sans répondre, le Commandant de la station et ses adjoints le conduisirent devant le sas d'accès derrière lequel se trouvait le vaisseau de l'ambassade Létane.

    Alors que le sas s'ouvrait et que deux Létans à la peau grise, avec leurs grosses têtes pleines de picots et leurs mandibules débordant de petites tentacules s’avançaient vers les humains, le commandant de la station s'accroupit et dit à Billy :

    • Billy, tu vas accompagner pendant quelque temps nos amis Létans. Soit brave, comporte toi bien, et tu reverras bientôt tes mamans.

    Le petit Billy, plus impressionné par le Commandant de la station que par les Létans, qui n'étaient pas si exotiques que cela pour un enfant vivant sur une station diplomatique, arriva tout de même à lui demander :

    • Mais pourquoi ? J'ai fait quelque chose de mal ?

    • Non, ce n'est pas de ta faute, soupira le Commandant Nakata. 

    Le petit Japonais aux cheveux blancs était livide. Il s'accroupit près de lui et reprit :

    • Il y a eu un accident, et les Létans pensent que tu en es responsable. Tu vas devoir les servir pendant quelque temps, mais tu reviendras. Pendant ce temps, sois courageux, tu vas représenter l'humanité chez les Létans. Tu es jeune, et tu vas pouvoir beaucoup apprendre. Quand tu reviendras, tu auras acquis une grande expérience et auras certainement un rôle important dans la diplomatie Terrienne.

    Le petit Billy, les yeux humides, lui rendit un regard de totale incompréhension.

    • Elles sont où mes mamans ? Pourquoi elles ne sont pas là ?

    • Elles ont du travail, elles n'ont pas pu venir, mais ne t'inquiètes pas, tu auras bientôt de leurs nouvelles. 

     

    Un des deux Létans, qui commençait à s'impatienter, mit une main à trois doigts dans le dos de Billy, et le poussa doucement vers le sas. Le petit Billy ne résista pas, et jeta un regard vers le Commandant et ses subordonnés au moment où le sas se refermait. Aucun d'entre eux ne souriait, aucun d'entre eux ne lui fit un signe d'adieu. La plupart regardaient toujours leurs chaussures, qui décidément devaient avoir quelque chose d'exceptionnel.

    Billy ne le savait pas, mais il était le premier humain à mettre le pied sur un vaisseau Létan.

    Ça ne l'impressionna pas vraiment. Un gamin qui grandit sur une station spatiale finit par ne plus être impressionné par grand chose.

     

    Les corridors du vaisseau Létan, le X'mur Tyxo, ressemblaient beaucoup à ceux de la station Léonard de Vinci. Leur couleur n'était pas blanche mais grise, l'éclairage légèrement plus faible que celui de la station humaine, mais globalement un couloir c'est un couloir. La gravité était légèrement plus forte que celle à laquelle était habitué Billy, mais il ne s'en aperçut pas. La teneur de l'air en oxygène était elle aussi légèrement supérieure aux standards humains, mais là encore la différence n'était pas suffisamment sensible pour que Billy le remarque.

     

     

    Toujours sans un mot, les deux Létans le conduisirent dans les couloirs labyrinthiques du vaisseau jusqu'à des quartiers dont la couleur des panneaux tirait sur le jaune pâle. Il s'agissait des quartiers personnels des officiers supérieurs. Les deux Létans s’arrêtèrent devant un sas et appuyèrent sur l'équivalent d'une sonnette, pour prévenir les occupants des quartiers privés de l'ambassadeur de leur présence.

    Le sas s'ouvrit, révélant une Létane, plus grande que Billy mais bien plus petite que ses deux accompagnateurs, qui devaient mesurer tous les deux dans les deux mètres. Billy ignorait également qu'il était le premier humain à rencontrer une Létane. L'aurait il su, ç'eut été le dernier de ses soucis. Il était surtout préoccupé par les mandibules et les tentacules de la Létane, car il en était beaucoup plus proche que de celles de ses gardiens.

    La Létane, qui portait une espèce de robe informe d'un rouge sombre qui ne cachait pas ses pieds noirs et nus à trois doigts, prononça quelque chose d'incompréhensible pour Billy, puis un des deux gardes lui remit la main dans le dos et le poussa doucement vers les appartements de l'ambassadeur.

     

     

    Le sas se referma avec un petit bruit assez différent de ceux de la station. Un chuintement aigu qui fit frissonner Billy.

    Les quartiers de l'ambassadeur étaient richement décorés, à la mode Létane : beaucoup d'armes étranges accrochées au mur, ainsi que des trophées plus étranges encore. Billy apprendrait plus tard qu'une partie d'entre eux étaient des trophées de chasse, et que d'autres étaient des têtes d'ennemis naturalisées que l'ambassadeur avait vaincu au combat au cours de sa longue carrière militaire. Il y avait des meubles ouvragés en bois précieux et des canapés recouverts de tissus qui semblaient très doux. Tout était dans des tons gris, jaunes et mauves.

    Devant lui, la Létane prononça une nouvelle fois quelques mots inintelligibles, puis se retourna et commença à s'éloigner.

    Comme Billy ne bougeait pas, elle se retourna et eut un geste que Billy interpréta comme un geste d'impatience. Il comprit qu'il devait la suivre, ce qu'il fit.

    Elle le conduisit jusqu'à un salon qui servait de salle de réunion, et plus rarement de tribunal. C'était là que s'était réuni le tribunal familial de l'ambassadeur défunt.

    Quatre personnes étaient assises derrière une table en bois très ouvragée. Devant le bureau il y  avait une chaise vide. La Létane qui l'avait accueilli prononça quelques mots à l'attention des Létans qui étaient assis, et fit signe à Billy de s'installer sur la chaise qui faisait face au bureau.

    Les quatre personnes attablées était deux Létanes adultes et deux enfants Létans. Tous les quatre portaient de petits appareils discret sur leurs oreilles à trois lobes. Les Létans étaient tous vêtus de vêtements richement brodés qui contrastaient avec la robe de la Létane ayant ouvert la porte. Qui était une servante, comme le comprit rapidement Billy par la suite.

    Billy était dans un état proche de la sidération. Il n'avait toujours pas la moindre idée de ce qu'il faisait là.

    La servante Létane s'approcha de Billy et lui mit sur la tête un casque qui s'avéra être un traducteur automatique, l'équivalent des appareils plus discret de ses interlocuteurs, puis elle sortit du salon et en ferma la porte.

     

    Une des deux Létanes adultes prit la parole, traduite immédiatement du Létan par le casque :

    • Nous sommes le tribunal familial de l'ambassadeur Xylx Tox. Je suis la première épouse Ixhé Tox, et en ma qualité je vais diriger les débats. 

    Elle désigna du bras les autres Létans assis à ses côtés et ajouta :

    • Le tribunal est composé de la seconde épouse, Loxa et des deux enfants de Xylx Tox en âge de participer aux délibérations, Moxa et Tlixo.

    L'expression des Létans était indéchiffrable pour Billy, qui n'avait d'yeux que pour leurs globes oculaires entièrement noirs, leurs mandibules garnies de petites tentacules et les étranges picots qui recouvraient leur peau grise. La première épouse reprit :

    • Sais-tu pourquoi tu es ici ?

    • Non, répondit Billy, je ne sais pas. Le Commandant de la station m'a dit qu'il y avait eu un accident ?

    • L'ambassadeur est mort ! S'emporta la deuxième épouse de l'ambassadeur en tapant de sa main à trois doigts griffus sur la table. 

    La première épouse échangea un regard avec la seconde et reprit :

    • L'enquête sur l'accident a démontré que l'ambassadeur était mort en glissant sur une boule de verre. Et que cette boule de verre avait été placée par vous dans le corridor d'accès de la délégation.

    • Une bille ? C'est une de mes billes qui a tué l'ambassadeur ? Billy était désemparé. 

    La première épouse reprit :

    • Vous reconnaissez les faits ?

    • J'ai joué aux billes hier dans le corridor B8, répondit Billy. J'en ai peut être perdu une, je suis désolé...

    • Qui vous a donné ces billes ? Ne sont elles pas interdites à bord de vos stations ?

    • Je les ai échangées contre un jouet avec un garçon de ma classe, il y a plusieurs mois. On jouait avec dans le corridor B8 parce qu'il n'y a jamais personne à cet endroit.

    La seconde épouse prit la parole :

    • Bien, l'accusé reconnaît les faits, finissons en. Qu'on passe au Xav'Yrtyr, il n'est pas trop gros, on devrait pouvoir en venir à bout.

    • C'est un enfant, Loxa ! Puis s'adressant à Billy : Quel âge as tu ?

    • J'ai huit ans et demi, répondit Billy d'une petite voix.

    • Ce qui fait... reprit la première épouse en consultant son pad, à peine 5 années Létanes ! On ne peut pas appliquer le Xav'Yrtyr à un enfant, voyons ! Et certainement pas à un enfant qui a laissé trainé un de ses jouets.

    • Et pourquoi pas ? Dit la seconde épouse, dont les tentacules s'agitaient furieusement. Que vas-tu en faire ? Un serviteur ? Qu'est-ce qu'il va bien pouvoir faire à cet âge ? Ce n'est qu'une bouche inutile à nourrir.

    • Iloxyia lui trouvera bien de quoi s'occuper. Et c'est un humain, le premier de son espèce qui pourra mettre le pied sur Léta. Il pourra avoir beaucoup de valeur à l'issue de son contrat, si nous lui donnons une bonne éducation. 

    • C'est une perte de temps. Et nous allons perdre la face si nous nous montrons trop conciliants. Et tu te vois passer 15 ans en compagnie de ce X'jmar ?

    • Passons au vote, puisque tu ne veux rien entendre. Moxa ? Tlixo ? Votre avis ?

    Le plus petit des enfants Létans prit la parole :

    • Si la mort de père est un accident, je ne vois pas pourquoi nous prononcerions le Xav'Yrtyr.

    Le plus grand des deux enfants répliqua aussitôt, à grands mouvements de mandibules et de tentacules :

    • Tu n'es qu'un mou Tlixo ! C'est juste parce que tu as peur que la viande de cet humain te rende malade !  Je vote pour le Xav'Yrtyr !

    • Ça ne sert à rien, reprit la première épouse. La chose est entendue. Deux voix pour le Xav'Yrtyr, deux voix contre. La voix de l'héritier de la charge l'emporte : Tlixo, que proposes tu comme durée de servitude ?

    • Quel est le minimum ? Demanda l'enfant Létan.

    • C'est minimum quinze ans. Nous ne pouvons pas prononcer moins. 

    • C'est grandement, dit la seconde épouse. Je ne veux pas que ce X'jmar reste dans nos pattes une minute de plus. Mais j'exige que la décision du tribunal ne soit pas communiquée à l'extérieur du cercle familial. Il en va de notre honneur.

    • Très bien, dit la première épouse. Quinze ans, sans communication de la peine. Moxa ?

    • J'ai le choix ? Servitude à vie ! déclama la petite Létane en lançant à Billy un regard qu'il interpréta avec justesse comme venimeux.

    • L'accusé est donc condamné à 15 ans de servitude, par trois voix contre une. Kash'Jor !

    Les trois autres membres du jury reprirent en coeur :

    • Kash'Jor !

    Sur ce, les quatre membres du jury s'acquittèrent ensemble de la tâche qui indique dans leur culture que les débats sont clos. Billy ouvrit de grands yeux alors que les quatre Létans ouvraient en grand leur mandibules pour régurgiter le contenu de leurs estomacs. On distinguait clairement des plumes et de petits morceaux d'os dans les quatre petites piles de vomi qui trônaient sur la table. L'odeur était épouvantable. 

     

    Billy avait suivi avec effarement les différentes interventions. La conclusion dégoutante le remplit d'effroi, il commençait à réaliser ce qu'il se passait. Il était terrifié.

     

    • Iloxyia ! cria la première épouse en direction de la porte, en se nettoyant délicatement mandibules et tentacules avec un petit mouchoir mauve.

    La servante en robe rouge ouvrit aussitôt la porte.

    • Maîtresse ? 

    • Ce jeune humain a été condamné à nous servir pour les 15 prochaines années. Conduis-le dans le quartier des serviteurs. Je te charge de son éducation, et tu lui trouveras une occupation adéquate. 

    • Il n'a pas l'air bien vieux, Maîtresse. 

    • Il a à peine 5 ans. Tu feras au mieux. Tu seras en charge du traducteur, ne lui laisse pas en permanence, il a trop de valeur. Et tu penseras à faire nettoyer la table, dit-elle en désignant les petits tas de vomi.

    • Très bien, Maîtresse. 

    La servante fit un signe de la main à Billy :

    • Suis moi, l'enfant humain.

     

    Billy se leva et suivit la servante, heureux de quitter les lieux. 

     

     

     


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  • Par Lucinda McAllister, journaliste.

     

    Toute la station Léonard de Vinci était à la recherche de Billy Tomisen depuis presque une quinzaine d'heures et la tension diplomatique avec la délégation Létane augmentait rapidement, lorsqu'enfin, sous la pression du Commandant de la station, une de ses mamans de Billy a fini par révéler l'endroit où l'enfant était caché : dans le double fond d'une armoire électrique, une cache utilisée pour la contrebande d'alcool.

    Cet aveu a entrainé dans les semaines qui suivirent la séparation des deux mamans du petit Billy, qui se sont entredéchirées ensuite pendant des mois, sous la loupe de médias avides de drames. Elles furent également toutes les deux renvoyées de la station, aucune d'entre elle n'ayant reconnu avoir introduit les billes fatales à l'ambassadeur Létan.

     

    Une fois découvert, le petit Billy fut immédiatement remis à la délégation Létane.

    Pendant les jours qui suivirent, l'effervescence médiatique atteint son paroxysme. Le monde entier voulait connaître le destin du petit Billy.

    La délégation Létane refusa de communiquer sur le sort de l'enfant. Les négociations se conclurent par un accord commercial et diplomatique a minima qui permit aux deux délégations de sauver la face. Puis le vaisseau Létan repartit pour son monde d'origine, avec le petit Billy à son bord.

    Les quelques résidents permanents Létans de la station Léonard de Vinci furent par la suite assaillis de questions, mais ils apportèrent tous la même réponse aux questions pressantes des journalistes : le destin du petit Billy n'était connu que par la famille de l'ambassadeur, et si elle ne voulait pas communiquer, rien ne pouvait l'y obliger. Le petit Billy n'était pas détenu par les autorités Létanes mais par la famille de l'ambassadeur Létan. Il avait été immédiatement conduit dans les quartiers de l'ambassadeur lorsqu'il avait été remis à la sécurité Létane, et il n'y avait aucun moyen de connaître la peine qui avait été prononcée à son encontre.

     

    Le départ du petit Billy dans le vaisseau Létan continua à faire la une de tous les médias pendant toute la semaine qui suivit son départ. Mais en l'absence de la moindre information nouvelle à communiquer, le sujet s'étiola. Il fut relancé par intermittence, notamment lors des interviews accordées par les mères éplorées de Billy à des journaux à sensation. Un "Comité pour la libération du petit Billy" fut créé et organisa des manifestations pendant plusieurs semaines chaque dimanche devant le siège des Nations Unies. Mais le buzz finit par s'estomper, la mobilisation finit par se déliter. Une des mamans de Billy, Agna, s'exila sur Mars pour échapper au harcèlement médiatique. Son autre mère, Greta Tomisen, disparut de la circulation. On apprit quelques années plus tard qu'elle avait changé de nom et qu'elle avait trouvé un emploi sur la station Magellan de Cérès, où elle vivait avec sa nouvelle épouse et ses deux enfants.

    À cette époque, l'humanité entière savait qui était Billy Tomisen. Personne ne savait où il se trouvait, ni s'il était encore en vie.

     

    Dans les années qui suivirent, le sujet du petit Billy fut relancé par intermittence. Notamment lorsqu'un jeune imposteur, un orphelin de Mars City, déclara être Billy Tomisen. Mais une fois passée l'émotion générale soulevée par la nouvelle, les analyses génétiques infirmèrent rapidement ses déclarations. Ce jeune garçon ne fut que le premier d'une longue lignée d'affabulateurs qui tentèrent d'attirer l'attention de médias plus ou moins complices, mais l'accumulation de jeunes gens déséquilibrés prétendant être Billy Tomisen finit par lasser le public. Des t-shirts « Je suis Billy Tomisen » connurent un franc succès pendant des années.

     

    D'un point de vue diplomatique, les Létans refusèrent les nouvelles invitations qui leurs furent adressées. Ils convièrent une délégation Terrienne dans leur système quelques années plus tard, sous réserve qu'elle ne soit accompagnée d'aucun journaliste.

    À son retour de Léta, la délégation Terrienne fut assaillie de questions sur le sort du petit Billy, qui devait avoir 14 ans à cette époque, mais elle n'avait aucune information nouvelle à donner sur le sujet. Les autorités Létanes avaient affirmé n'avoir aucune nouvelle de Billy. Pour elles, il s'agissait d'un problème familial, et dans la culture Létane il n'était pas envisageable que les autorités s'en mêlent.

    On apprit que les autorités Létanes, outrées par l'insistance de la délégation Terrienne, avaient menacé de mettre fin aux échanges si le sujet revenait s'immiscer dans les négociations entre les deux systèmes.

    Compte tenu des enjeux, le devenir de Billy Tomisen ne fut plus jamais abordé au cours des rencontres suivantes entre les Terriens et les Létans.

     

    Onze ans après le départ du petit Billy, la Guerre des Cinq Systèmes débuta. Les autorités Terriennes, alliées des Létans dans ce conflit majeur, abandonnèrent toute idée d'embarrasser leurs alliés en évoquant le cas de Billy Tomisen. Personne ne s'en offusqua : sans l'intervention Létane au début de la guerre, la Terre aurait probablement été vitrifiée par la ligue Vazmir dans les premiers mois du conflit. 

     

    À la fin de la guerre, qui coûta la vie à plus de 67 millions d'humains, le "petit Billy" n'était plus qu'un mythe spatial, comme il existe des mythes urbains. 

    Le petit Billy avait quitté la station Léonard de Vinci depuis déjà dix neuf années. Et nul ne savait ce qu'il était advenu de lui. 

     

     


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    Un grave incident diplomatique s'est produit hier sur la station Leonard de Vinci, qui orbite depuis plus de soixante ans autour de la Terre. La station est dévolue à l'établissement de contacts diplomatiques avec les représentants du Consortium Numérique et avec les membres de l'Empire Ithéka qui acceptent d'établir des relations avec notre planète.

     

    Hier à 9h22 GMT, L'ambassadeur de Léta Xylx Tolx, dont c'était la quatrième visite sur la station Léonard de Vinci, a été victime d'une chute mortelle dans le corridor d'accès B8, à peine quelques instants après son arrivée. Les Létans sont bipèdes et dotés d'un sens de l'équilibre qui est généralement jugé similaire à celui des humains, même si leur anatomie est par ailleurs très différente de la nôtre. La consternation était donc profonde au sein des deux délégations au moment des faits.

    La mort de l'ambassadeur a provoqué une très vive tension diplomatique dans les heures qui ont suivi l'accident, la délégation Létane soupçonnant les Terriens d'un attentat politique.

    Le mystère de la chute de l'ambassadeur a été résolu par un membre des services techniques du poste de police de la station, qui a retrouvé une bille de verre à proximité des lieux du drame. La captation de l'accident, revue image par image, a permis de confirmer que l'ambassadeur avait glissé sur une bille, ce qui a entrainé sa chute et une fracture de ce qui correspondrait chez un humain à la nuque. L'ambassadeur est mort sur le coup. Comme le veut la coutume Létane, il a été immédiatement dévoré sur place par les membres de sa délégation une fois son décès prononcé. La délégation Terrienne, pour ne pas froisser son homologue Létane, est restée sur les lieux pendant la cérémonie funéraire, et a assisté à l'emballage rituel des os de la victime dans une boite ouvragée, boite qui a ensuite été remise à sa famille à bord du vaisseau Létan. 

    Pour information, les billes sont des jouets archaïques, de petites sphères en métal ou en verre que les enfants s'amusent à propulser manuellement les unes vers les autres dans des jeux aux règles très changeantes. Les billes ont été bannies de longue date de toutes les installations spatiales depuis l'explosion de la station Galilée en 2076, qui a été imputée à l'insertion d'une bille dans le système de tempérance de la centrale à fusion de la station.

    Les images de la vidéosurveillance ont rapidement permis d'identifier l'auteur de l'infraction. Les captations vidéos montrent clairement un jeune garçon en train de jouer aux billes dans le corridor d'accès B8, la veille de l'arrivée de la délégation Létane. Il a été identifié grâce à ses données biométriques. Il s'agit du petit Billy Tomisen, le fils de Greta et Agna Tomisen, toutes deux en poste sur la station dans des fonctions administratives et logistiques.

     

     

    Le petit Billy Tomisen, âgé de 8 ans, est depuis son identification activement recherché par la police de la station. Il sera remis aux autorités Létanes dès sa capture.

    La station Léonard de Vinci est en effet un territoire diplomatique neutre dans lequel la justice est rendue par les autorités de tutelle de la victime.

    Au cours d'une conférence de presse tenue dans les heures ayant suivi le décès de l'ambassadeur, les services juridiques de la station se sont voulus rassurants. Les autorités Létanes ont concédé que la mort de leur ambassadeur semblait avoir été provoquée accidentellement, ce qui a permis de diminuer sensiblement l'intensité de la crise diplomatique.

    Concernant la peine encourue par le petit Billy, le directeur juridique de la station, Tamgo Basul, s'est voulu rassurant et a apporté d'importantes précisions. Il a admis que la peine infligée par les Létans en pareil cas consiste généralement en une sorte de sacrifice rituel au cours duquel l'accusé est dévoré par la famille de la victime. Mais il a précisé que compte tenu de l'âge de l'accusé, la peine serait probablement commuée en une peine de servitude. Il a par ailleurs ajouté qu'il était de notoriété publique que les Létans ne digéraient pas la viande humaine.

    Toujours selon le directeur des services juridiques, le jeune Billy sera probablement condamné par un tribunal familial Létan à servir la famille de la victime pour une durée qui ne pourra pas être inférieure à quinze années Létanes, soit l'équivalent de 23,94 années terrestres.

     

    La plupart des ressortissants Létans présents sur la station que nous avons pu interroger ont confirmé que le Xav'Yrtyr (le nom du sacrifice rituel Létan infligé aux criminels) serait inapproprié en pareil cas, cette peine n'étant pas souvent mise en oeuvre à l'encontre d'individus immatures, surtout lorsque la mort de la victime est accidentelle. Mais certains Létans nous ont également affirmé, sous couvert de l'anonymat, que les décisions des tribunaux familiaux étaient parfois surprenantes, et qu'un enfant humain de 8 ans ne serait probablement pas un serviteur utile avant de longues années. 

     

    Plus de douze heures après le début des recherches du petit Billy dans toute la station, il demeure introuvable. La vidéosurveillance le repère une dernière fois une heure après l'accident en compagnie d'une de ses mères dans un couloir de maintenance du niveau VI. Ses deux mères ont depuis été mises aux arrêts à titre préventif et sont retenues dans le poste de police de la station. Certaines sources policières laissent entendre qu'il est probable que le jeune Billy bénéficie de complicités internes dans la station. D'autres sources estiment qu'il s'agit pour les policiers d'une façon de se dédouaner de leur incapacité à mettre la main sur un enfant de 8 ans dans une station spatiale de taille relativement modeste, dotée des systèmes de surveillances les plus perfectionnés.

    Selon nos sources Létanes, leurs autorités commencent à suspecter une mauvaise volonté des autorités Terriennes dans les recherches de l'enfant.  

    C'est probablement pour cette raison que le Commandant de la Station Ito Nakata a délivré il y a quelques minutes un communiqué vidéo dans lequel il exhorte tous les résidents de Léonard de Vinci à coopérer avec les services de police, afin d'éviter d'accroitre une crise diplomatique qui risquerait à terme de faire des Létans une espèce hostile à la Terre.

    Ce que personne ne souhaite, bien évidement. Tout le monde connait le sort réservé aux espèces soumises à l'hostilité Létane.

     

    Petit Billy, si tu lis ces lignes quelque part dans un conduit de maintenance de la station, rends toi, par pitié !

     

     

    Lucinda McAllister

    Correspondante permanente

    à bord de la Station Léonard de Vinci 

    pour KBTWC News.

     

     

     

     

     


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    Par un froid matin d'hiver, le 11 Janvier 2010 Maurice Battenois quitta son domicile de Verneuil sur Vienne pour ne plus jamais y revenir. 

    Il habitait une charmante maison des années trente, avec sa femme et ses trois enfants. Il exerçait la profession de contrôleur principal au Centre des Impôts de Limoges, il avait alors quarante deux ans.

     

    C'est sa femme, Sophie, qui appela la gendarmerie d'Aixe sur Vienne, aux alentours de 22 heures, pour signaler sa disparition. Maurice Battenois était très à cheval sur l'heure du souper : en plus de quinze ans de mariage il n'avait jamais manqué d'être présent à sa place, en bout de table, à l'heure dite, soit 19h15 précise.

    Sans nouvelles de son mari, qui ne répondait pas au téléphone, Sophie Battenois avait contacté les hôpitaux de la région, sans résultats, avant d'appeler la gendarmerie. Elle avait même tenté de contacter le Centre des Impôts, mais il n'y avait plus personne depuis longtemps dans les locaux et elle n'avait eut droit qu'au message préenregistré à peine poli destiné aux administrés. 

     

    Le gendarme qui reçut son appel ce soir là lui expliqua qu'il était trop tôt pour lancer une enquête pour disparition inquiétante, mais il prit tout de même le modèle et l'immatriculation de la voiture de son époux, une Citroën Picasso, et promit de prévenir les patrouilles de la région pour qu'elles tentent de la repérer. Sophie Battenois ne savait pas qu'il n'y avait qu'une seule patrouille de nuit dans la région, et que celle ci ne sortait de sa caserne que contrainte et forcée, parce que la chaussée était verglacée et que les pneus du break Renault de la gendarmerie étaient lisses. 

     

    Le lendemain, Sophie Battenois se rendit dès 8 heures à la Gendarmerie et finit par être reçue par un Adjudant, Yvon Vazy. Ce dernier accepta de lancer une enquête pour disparition inquiétante après l'avoir entendue. Le mari n'avait pas le profil d'un fugueur.

    Dans la matinée qui suivit, il contacta le centre des impôts. La supérieure hiérarchique du disparu, une certaine Caroline Maupuis, lui apprit que Maurice Battenois, souffrant de nausée, était reparti chez lui la veille un peu avant midi.

    L'adjudant apprit également que Maurice Battenois était un fonctionnaire zélé, peu apprécié des administrés qu'il contrôlait, et qu'il avait été récemment victime de menaces, par courrier électronique. Une plainte avait été déposée un mois plus tôt au Commissariat Central de Police de Limoges, pour « menaces de morts ».

     

    Deux jours plus tard, le contrôleur des impôts était toujours aux abonnés absents. L'Adjudant Vazy avait pu consulter le dossier relatif à la plainte pour menaces, qui était en cours de traitement : la dizaine de mails de menaces était plutôt classique. Tous les messages provenaient du même expéditeur et étaient en cours de traçage auprès d'un opérateur internet Français. Retrouver l'émetteur n'allait pas poser de grosses difficultés, d'après les services techniques du commissariat. 

    Le lendemain, le 15 janvier, une patrouille de gendarmerie retrouva la Citroën de Maurice Battenois à Saint Pierre de Colombier, en Ardèche, à plus de quatre cent kilomètres de Limoges. Elle était calcinée, mais vide de tout occupant. 

     

    L'adjudant, qui eut rapidement accès aux comptes bancaires des époux Battenois, constata qu'aucune opération n'avait eu lieu avec la carte de Maurice Battenois depuis le jour de sa disparition. Aucun retrait suspect non plus dans les jours ayant précédé sa disparition. Son passeport était resté au domicile de la famille, et ne portait que deux mentions de voyages touristiques à l'étranger, quelques années plus tôt.

    Par ailleurs, l'étude des fadettes de l'opérateur téléphonique de Maurice Battenois était claire : aucun appel n'avait été passé avec son téléphone depuis sa disparition. La dernière fois que son téléphone avait été détecté par le réseau, c'était à proximité immédiate du Centre des Impôts, à 11h54, le jour de sa disparition.

     

    Pendant plusieurs mois, l'enquête ne donna pas grand chose. On retrouva l'auteur des menaces, une marchande de chaussures de 62 ans qui avait été contrôlée par le disparu quelques mois plus tôt, et qui avait très mal pris les 12 769,76 euros réclamés à l'issue du contrôle. Elle s'était effondrée en larmes pendant l'interrogatoire, certaine d'être jetée en prison pour avoir écrit « tu vas crever salopard » à un honorable membre de l'administration des finances. De l'avis des enquêteurs, elle n'avait ni le profil ni les capacités, ni les ressources pour organiser la disparition du contrôleur des impôts. Et le jour de la disparition de Battenois, elle était dans son commerce, témoins à l'appui. 

    L'enquête de routine menée auprès des autres contribuables contrôlés au cours des derniers mois par Battenois ne donna rien de probant, si ce n'est que Maurice Battenois était un individu unanimement jugé froid, sec et distant. 

     

    De son côté, Sophie Battenois, en manque de liquidités, reprit dès le mois de Septembre un travail d'assistante scolaire dans son village, travail qu'elle avait abandonné à la naissance de son deuxième enfant, sept ans plus tôt. 

    La cagnotte organisée par les collègues de travail de Maurice Battenois pour aider sa famille récolta une somme si faible que le directeur du centre se sentit obligé d'ajouter deux cent cinquante euros de sa poche, pour ne pas mourir de honte en remettant l'enveloppe à l'épouse du disparu. 

     

    ***

     

    Ce n'est que cinq ans, trois mois et vingt huit jours plus tard que l'on apprit ce qu'il était advenu de Maurice Battenois. 

    A ce moment là, il avait été déclaré mort depuis plusieurs années, et son épouse s'était remariée. Elle vivait avec ses enfants et son nouvel époux à Périgueux.

     

    C'est un promeneur Slovéne qui trouva le corps sans vie de Maurice Battenois dans un ruisseau, nu, pieds et poings liés, en bordure d'une route très passante, à une trentaine de kilomètres de Ljubljana.

    L'autopsie révéla qu'il était mort d'un arrêt cardiaque. Son corps portait d’innombrables traces de sévices et de tortures. L'autopsie révéla qu'il avait été victime de traitements indignes pendant une très longue période. 

    Il fut inhumé plusieurs mois plus tard à Limoges, en présence de son ex-femme, de ses enfants, de quelques rares anciens collègues. 

     

    L'enquête de la police Slovène ne donna rien. La justice Française ré-ouvrit le dossier et le requalifia en enlèvement, séquestration et actes de barbarie ayant entrainé la mort, mais aucun élément concret ne vint épaissir le dossier. Interpol participa à l'enquête, confirma qu'il existait bien quelques réseaux sadomasochistes souterrains très cloisonnés qui pratiquaient leurs spécialités sur des victimes non consentantes, mais aucun lien ne put être établi avec un réseau en particulier. 

     

    Trois ans après la découverte du corps sans vie de Maurice Battenois, l'enquête est toujours ouverte côté Français, mais plus personne n'y travaille vraiment. Les enquêteurs attendent des faits nouveaux.

     

    ***

     

    Le jour de sa disparition Maurice Battenois a reçu un appel téléphonique particulier. Cet appel, listé dans le mouchard du standard téléphonique du Centre des Impôts n'a jamais particulièrement attiré l'attention des enquêteurs. L'auteur présumé du coup de fil a bien été interrogé, mais seulement plusieurs semaines après la disparition. 

    L'auteur de l'appel, un marchand de fruits et légumes qui faisait à l'époque les marchés de la région, était en cours de contrôle fiscal. Il ne se souvenait plus du motif de son appel à Maurice Battenois. D'ailleurs il ne se souvenait pas non plus l'avoir appelé ce jour là, mais il reconnaissait qu'il pouvait l'avoir fait. Si les enquêteurs avaient insisté, ou si ils l'avaient interrogé plus tôt, il se serait peut être souvenu qu'il avait égaré son téléphone ce matin là, avant de le retrouver dans un cageot de salades en remballant ses produits invendus, aux environs de 13h30.

     

    Le 11 Janvier 2010, les nausées de Maurice Battenois n'ont en fait débuté qu'après cet appel. Pas facile d'apprendre par la voix d'un inconnu que votre femme vous trompe avec un collègue pendant la pause de midi, et qu'elle surveille vos déplacements avec le mouchard qu'elle a installé dans votre téléphone. 

    Ce midi là, quand Maurice Battenois est arrivé avec son Citroên Picasso dans la cour d'une petite ferme isolée au nord de Limoges, téléphone éteint, il pensait surprendre sa femme Sophie avec un de ses collègues de travail. 

    Il ne pensait pas être attendu par deux gorilles Slovènes qui lui sont tombés dessus comme la foudre sur un paratonnerre. Une fois saucissonné, bâillonné et dissimulé dans le double fond d'une camionnette, Maurice Battenois a été conduit en Slovénie, en passant par l'Ardèche où l'un des deux gorilles Slovène abandonna son Citroën Picasso. Arrivé à Ljubljana, il fut remis contre bons soins à un club de dépravés. 

    Ce qu'il a subi pendant ces cinq très longues années fut horrible. Mais presque mérité, selon son beau père. 

     

    ***

     

    Maurice Battenois n'était pas quelqu'un de facile. Ni avec sa femme, ni avec ses enfants, ni avec ses beaux parents. Il ne souriait presque jamais, ne donnait jamais de signes d'affection à sa famille, ni en public ni en privé. Ses chevaux de bataille étaient l'ordre, la ponctualité, l'honnêteté et la justice. Son temps libre était intégralement consacré au modélisme et à la lecture d'ouvrages d'économie. 

    Quelques semaines avant la disparition de Maurice Battenois, le jour de Noël 2009, Roger Levasson, le père de Sophie, avait sorti de sa cave une bouteille de Bourgogne de très grande valeur : un Romanée Conti 1981.

    Le vin était exceptionnel, il est vrai, tout comme l'était la conscience professionnelle de Maurice Battenois, qui questionna son beau père sur la provenance du vin. Emporté par le nectar et son alcool, Roger Levasson lui révéla qu'il avait récupéré plusieurs centaines de bouteilles de grande valeur dans la cave de son oncle récemment décédé à l'âge canonique de 93 ans. Et cela avant que le notaire chargé de la succession ne vienne faire l'état des lieux.

    Quelques jours plus tard, Maurice Battenois confia à sa femme qu'il allait lancer une procédure de redressement à l'encontre de son beau père. Il lui dit qu'il allait rédiger un courrier en ce sens au Centre des Impôts de Poitiers, dont dépendait le père de sa femme. 

    Maurice Battenois était sincèrement désolé d'avoir à dénoncer son beau-père, mais sa conscience le tourmentait : il ne supportait pas les fraudeurs, et encore moins les fraudeurs de sa famille. Sophie Battenois supplia son mari de ne pas faire le courrier, de la laisser convaincre son père de se dénoncer lui même aux contrôleurs. Maurice Battenois lui accorda deux semaines pour qu'elle parvienne à convaincre son père de le faire. 

     

    Roger Levasson tomba des nues quand sa fille lui rapporta les menaces de dénonciation de son mari. Puis il se mit en colère. Cet imbécile de gendre était un vrai crétin. Il hésitait sur la marche à suivre, et se confia à un ami de longue date, Marko Valjac, un ancien légionnaire Yougoslave installé de longue date dans son village. Ce dernier lui proposa de régler son problème en échange d'un tiers de ses bouteilles précieuses. Sur le coup de la colère, Roger Levasson accepta la proposition de son ami, sans trop réfléchir aux conséquences.

     

    Quelques jours plus tard, sa fille l'appela en pleurs pour lui apprendre la disparition de Maurice. Le surlendemain, un petit camion immatriculé en Pologne, piloté par Marko, s'arrêta devant le portail de la maison de Roger. Il repartit avec 300 bouteilles dont la valeur totale dépassait plusieurs centaines de milliers d'euros.

    Quelques jours plus tard, Roger rendit visite à Sophie et à ses petits enfants. Au détour d'une conversation avec sa fille, affligée par la disparition de son mari, il lui glissa qu'il n'était peut être pas utile de parler de son petit contentieux avec Maurice aux enquêteurs. Il irait faire sa déclaration spontanée au Centre des Impôts si Maurice réapparaissait, mais dans l'attente d'un pareil heureux dénouement, il était préférable de ne pas évoquer le sujet. Après tout, si Maurice ne réapparaissait pas, Sophie aurait bien besoin de l'argent que représentaient ces bouteilles. 

     

    Sophie jugea le conseil de son père avisé, et ne parla jamais des bouteilles non déclarées aux différents enquêteurs qui la questionnèrent.

    Elle se remaria dès l'automne 2013 avec un contrôleur des impôts, un ancien collègue de son mari disparu, muté depuis quelques mois à Périgueux. 

    Depuis lors, au cours des nombreux repas de famille qui ont eu lieu, Roger Levasson n'a jamais sorti de bouteille prestigieuse en présence de son nouveau gendre. 

     

    Il y a des choses qui ne se font pas. 

     

     


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    Comme la rivière,

    Je sors rarement de mon lit,

    Mais quand j'en sors,

    Je fais tellement de bruit,

    Que plus personne ne dort,

    Dans ma chaumière.

     

    L'eau de la rivière ne sait pas où elle va,

    Mais pourtant elle y court.

    Moi, je crois que je sais toujours où je vais,

    Mais souvent je me goure.

     

    Comme la rivière,

    Je suis parfois sec et craquelé,

     Alors j'attends la pluie,

    Pour me remettre à couler,

    Emporté par la nuit,

    Et le silence de ma chaumière.

     

     

     


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    Prisonnier solitaire,

    Sous la surveillance du lion et de la panthère,

    Un drôle de zèbre se cachait sous ses rayures.

     

    Pour pouvoir rejoindre ses nouvelles pâtures,

    Fondre enfin ses zébrures dans le paysage,

    Il a courbé l'échine bien plus bas que terre,

    Avant de crocheter la serrure de sa cage.



    Le lion et la panthère

    Le pourchassent désormais dans la nature,

    Mais avec son troupeau, il leur mène la vie dure. 

     

    Les panthères sont rapides,

    Les lions sont puissants,

    Ces bêtes sont intrépides,

    Mais dans cette savane, c'est lui le plus méchant.

     

     

     


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  • cliquez ici pour lire ou relire la première partie (indispensable !) 

     

    Je pensais en avoir fini avec cette histoire, mais il n'en était rien. Je relate ci après les évènements qui ont suivis.

     

     

    Deuxième lundi 5 Avril 2027 

     

    Lundi matin, mon téléphone a sonné à 6h00, comme tous les lundis. J'ai aussitôt allumé la lumière, actionné les volets roulants et mis en route ma cafetière : miracle, tout fonctionnait parfaitement.

    Je suis ensuite parti au travail,  souriant bêtement à toutes les personnes qui attendaient le bus avec moi. Je me suis dit qu'il serait peut être temps de passer mon permis. Après tout, j'avais réussi à faire les cent kilomètres retour de mon périple Tourangeau sans accident, je devais avoir des dispositions naturelles pour la conduite automobile. 

    Ma journée de travail s'est déroulée comme d'habitude, à savoir devant mon ordinateur, à planifier les interventions des équipes de dépannage. Autour de la machine à café, les discussions ont tourné essentiellement autour de la vague de crimes mystérieux qui avait touché la région dans la nuit de samedi à dimanche. Dans le journal local, que j'ai consulté pendant mes nombreuses pauses café de la journée, les auteurs des méfaits du week end avaient été surnommés « Les Fantômas ».  Ça m'a bien fait rigoler.

    Mais vu l'accueil que le récit de mes aventures avait reçu la veille au soir de la part de Lucie, j'ai préféré faire profil bas. 

    Lucie m'avait purement et simplement raccroché au nez quand j'avais commencé à lui raconter ma drôle d'aventure, me traitant de mythomane. À la réflexion, j'aurais peut être du commencer la conversation en prenant de ses nouvelles, plutôt que par un « Tu ne devinera jamais ce qu'il m'est arrivé ! »

    J'ai proposé à Tonio, mon meilleur ami de la boite, d'aller boire un verre après le boulot, sur le coup de 15 heures. Il était un peu tôt, mais ça ne nous a pas empêché de nous installer à la terrasse de notre troquet préféré du centre ville, et cette fois ci j'ai pu raconter mon histoire à un auditoire captif, vu que c'était moi qui payait ma tournée. 

    Tonio, n'a pas cru un mot de ce que je lui ai raconté, j'ai donc dû le convaincre de me ramener chez moi, et je l'ai mis devant le fait accompli en lui ouvrant mes placards. Il en est resté comme deux ronds de flan.

    Tonio ayant décrété que je devais raconter mon histoire aux autres copains de notre petite bande. On les a donc appelés et ils nous ont tous rejoint à l'appart. 
    On a tous fini assez tard ce lundi soir, et en assez mauvais état. Tout le monde avait voulu goûter aux bonnes bouteilles, c'était couru d'avance. Mes copains sont tous repartis avec des paquets de café, des réchauds gaz et des bouteilles de whisky. C'était pour moi la façon idéale d'écouler mon stock. Ils s'étaient tous engagés à me trouver des clients, le plus discrètement possible bien entendu
    .

    Je pense qu'ils étaient tous convaincus par mon histoire quand ils sont repartis. Bourrés, mais convaincus. 

    Je n'étais pas très brillant en allant me coucher, mais au moins je n'avais pas eu à conduire en état d'ébriété pour plonger dans mon plumard.

     

    Deuxième mardi 6 Avril 2027

     

    Je me suis levé avec une nouvelle barre de métal dans la tête, j'ai constaté qu'il y avait toujours du courant, mais sans trop m'en émouvoir, j'avoue. Puis j'ai pris une douche, j'ai mangé mes aspirines et bu mon café. À 6h30 je m'apprêtais à sortir pour rejoindre mon arrêt de bus, quand on a frappé lourdement à ma porte :

    • Police Nationale ! Ouvrez !

      Comme j'étais devant la porte, j'ai ouvert aussitôt, avant même que le policier ne frappe à nouveau. Cinq hommes en tenue anti émeute et un berger allemand se sont alors jetés sur moi, m'ont mis au sol et m'ont passé les menottes. Le chien se contentant d'assister au menottage en me bavant dans l'oreille. Un policier en civil un peu plus âgé, un peu plus chauve, un peu plus calme et un peu moins baveux que les autres s'est alors approché de moi : 

    • Monsieur Donald Demare ?

    • Oui, ch'est moi, que ch'pache t-il ? tentais-je d'articuler avec la bouche collée sur le carrelage, tandis qu'on me palpait pour s'assurer que je ne partais au travail avec une Kalachnikov dissimulée le long de ma jambe, ni avec et des grenades offensives dans le slip. 

    • Monsieur Demare, il est 6h31, nous sommes le 6 Avril 2027, je vous notifie votre placement en garde à vue pour une durée de 24 heures, qui pourra être prolongée si besoin. Vous êtes arrêté aux motifs de vols aggravés dans la nuit du 3 au 4 Avril 2027. Vous avez droit à une visite médicale si vous le souhaitez, vous avez le droit de vous taire, le droit de contacter un avocat de votre choix, ou bien il vous en sera commis un d'office. Si vous le souhaitez nous pouvons prévenir un proche, ainsi que votre employeur. Voici la commission rogatoire qui nous autorise à fouiller votre appartement et votre cave, vous allez rester ici pour y assister et répondre à nos questions si vous le souhaitez, puis nous irons au poste. 

     

    Sur ce, les policiers ont ouvert mes placards, et ont saisi toute la marchandise restante de ma virée à Tours. Certains d'entre eux se marraient et m'ont appelé « El Gringo » ou « El Torefactor » à cause de la quantité de café récupérée et des réchauds gaz. Même le berger allemand se fendait la gueule. On avait entamé le stock la veille avec les copains, mais il restait beaucoup de marchandise, j'avoue. Hors contexte, je comprenais qu'ils me prennent pour un demeuré. 

     

    À l'issue de la fouille, je suis sorti de mon appartement menotté, sous le regard attristé de Madame Pereira et le regard hargneux d'autres voisins moins compréhensifs.

    Je me suis retrouvé au poste un peu avant neuf heures, après un trajet dans une voiture de police grillagée qui sentait le vomi, l'urine et d'autres choses épouvantables. Arrivé au poste, les policiers m'ont emmené directement dans une cellule de dégrisement qui ne sentait pas plus bon que la voiture. Ils m'ont piqué ma ceinture et les lacets de mes chaussures après m'avoir fouillé à nouveau. Puis ils m'ont enfermé. Je n'en menais pas large. 

    Une heure après, on m'a introduit dans une salle d'interrogatoire blanche éclairée par des néons blafards, où j'ai été mis en face d'un avocat commis d'office, un jeune freluquet à lunettes qui devait être en train de terminer son stage de 3ème, et qui n'a pas cru un traître mot de ce que je lui ai raconté. Je n'ai pas vraiment réussi à lui en vouloir.

     

    Le policier calme qui ne bavait pas, celui qui avait procédé à mon arrestation plus tôt dans la matinée, est entré quelques minutes plus tard, s'est assis en face de moi. Après un point relatif à mon identité, en particulier les prénoms de mon père dont je ne suis jamais parvenu à me souvenir, il a entamé les choses sérieuses  : 

    • Monsieur Demare, pouvez vous me raconter votre nuit de samedi à dimanche, s'il vous plait ? Comment avez vous fait pour fracturer les portes de dix sept appartements de votre cité, voler sept voitures entre ici et Tours et cambrioler trois grands magasins au nez et à la barbe des vigiles et des caméras de surveillance, tout ça dans la même nuit ? Et s'il vous plait, ne niez pas, on a relevé vos empreintes sur tous les lieux que je viens d'évoquer. 

    • Je veux bien vous raconter ce qui s'est passé, mais vous n'allez pas me croire, lui répondis-je, un peu dégoûté par mon inconséquence. 

    Je m'en voulais énormément : je savais que mes empreintes étaient dans le fichier de la police, j'avais été interpellé quelques années plus tôt suite à une bagarre d'ivrognes, dans le centre ville. Et à aucun moment je n'avais envisagé de mettre des gants avant de me lancer dans la cambriole !

    • Essayez toujours, j'adore les histoires incroyables, me relança l'inspecteur, décidément très aimable.

     

    Je me suis donc exécuté. Il n'a évidement pas cru un seul mot de ce que je lui racontais, mais je lui accorde tout de même le bénéfice de m'avoir laissé raconter mon histoire entièrement. Mon avocat était pour sa part entre deux eaux, visiblement gêné par mes élucubrations mais amusé par l'effarement du policier. 

    L'inspecteur m'a relancé une fois ou deux pour voir si je changeais de version, mais vu que je m'y suis tenu, il a laissé tomber, il a poussé un gros soupir et m'a fait signer le procès verbal de mon audition.

     

     

    Un peu plus tard, j'ai été reconduit en cellule. On m'a apporté à manger sur le coup de midi. Un plateau-repas abominable avec des aliments ayant une consistance d'éponge pour certains et de carton bouilli pour d'autres. Sans parler du goût. 

    Dans l'après midi, toujours en présence de mon avocat, j'ai été interrogé par un autre inspecteur, beaucoup moins sympa que le premier, qui s'est tout de suite énervé quand j'ai commencé à lui raconter ce qui m'était arrivé. Alors que c'est lui qui avait demandé. 

    Il m'a menacé des pires conséquences si je ne changeais pas très rapidement de version, et si je n'expliquais pas très vite de quelle façon j'avais déjoué la vigilance des agents de sécurité et des caméras des magasins ou comment j'avais fracassé des portes d'appartements sans que leurs occupants s'en rendent compte. De la façon dont il orientait ses questions, je crois qu'il pensait que j'avais utilisé du matériel d'espionnage chinois de haute technologie.

    J'ai préféré me taire, mon avocat me déconseillant de mentir. Le freluquet avait l'air pressé, il devait certainement avoir une réunion importante chez les Scouts le soir même, et ne tenait pas vraiment à entendre une troisième fois ma version des faits.  J'ai envisagé de lui proposer un réchaud gaz à un prix défiant toute concurrence, mais je me suis souvenu qu'ils avaient tous été saisis. Dommage. C'est un article très prisé chez les Scouts. 

     

    J'ai été ramené en cellule avec la promesse d'être présenté à un juge d'instruction dès le lendemain matin, mon avocat (que j'avais décidé de baptiser Blaireau Bigleux) me laissant entendre sans aucun tact que je ferai probablement l'objet d'une expertise psychiatrique dans les prochains jours. 

    Une fois en cellule, j'ai trouvé le temps long. On a fini par m'apporter une petite bouteille d'eau et un sandwich SNCF qui était probablement passé sous une rame de TGV. J'ai fini par me coucher sur la banquette miteuse de la cellule, et même par m'endormir. 

     

     

     

     

    *****

     

    J'ai été réveillé par un épouvantable mal de tête. 

    Mais dans mon lit. Chez moi.

    Par réflexe, je me suis jeté sur mon téléphone portable. Il affichait « Dimanche 4 Avril 2027, 8h38. Batterie 7 % ». 

    J'ai essayé d'allumer la lumière : rien. Puis d'actionner le volet roulant de ma chambre : rien.

    Ça recommençait !

    Dans ces conditions, vomir le contenu de mon estomac a été un vrai soulagement. 

    J'ai pris le temps de faire le point, et un inventaire de mon appartement : mes placards débordaient à nouveau des biens volés à Tours, et mes achats à l'Épicerie Lakhdar qui n'avaient pas été consommés étaient toujours présents dans mon frigo et ma cuisine. J'avais toujours beaucoup trop de piles.

    Mais je n'avais toujours pas de jus pour faire tourner la cafetière.

    Je suis sorti sur le balcon, pour vérifier ce qui se passait dehors : il ne se passait rien. Il n'y avait pas un son, pas un chat, pas un poulet à l'horizon. 
    Je me suis dit : ne paniquons pas, au moins je ne suis plus en prison. J'étais dans un complet brouillard, mais je me suis souvenu de plusieurs films et de quelques lectures qui pouvaient s'apparenter à ce qui m'arrivait : j'étais bloqué dans une boucle temporelle, c'était la seule explication. Sauf que tout ce que j'avais fait dans la boucle précédente était toujours là. Du balcon, je voyais d'ailleurs que le 4/4 et le groupe électrogène étaient garés au pied de l'immeuble. 

    Je commençais aussitôt à échafauder un plan pour me sortir de cette situation et ne pas repartir en prison dans cinq ou six jours : effacer mes empreintes partout où j'étais passé, remettre mes larcins dans les magasins où je les avais pris. Avec comme brillant raisonnement : pas de vol, pas de plainte ; pas de plainte, pas d'enquête ; pas d'enquête, pas d'arrestation.

    Je me suis souvenu à ce moment là que j'avais toujours une migraine épouvantable. Je suis donc allé chercher de l'aspirine dans ma salle de bains : il n'y avait plus !

    C'est seulement à ce moment là que je me suis dit que j'étais vraiment dans une merde noire.

     

     

    Un peu plus tard, je me suis habillé, j'ai récupéré une vieille paire de gants dans un placard, et je suis descendu pour forcer la porte et le rideau de la pharmacie la plus proche. Je n'étais plus à ça près. J'ai fait ça le plus proprement possible.

    J'ai piqué juste trois boites d'aspirine, et j'ai fait en sorte que ça ne se voie pas trop en prenant des boites dans la réserve. 

    Autant éviter les embrouilles avec la police. 

     

     

    Après ça j'ai entrepris de suivre mon plan à la lettre : je suis allé effacer mes empreintes (avec des chiffons et de l'eau de javel, on est jamais trop prudent) dans tous les endroits où je les avais laissées lors du précédent passage en mode « silence et solitude » de mon univers : dans l'immeuble d'à côté, sur la route nationale et à Tours.

    J'ai utilisé le 4/4 pour ramener le générateur et tous les biens volés dans leurs magasins respectifs, puis je l'ai abandonné dans une cité de la banlieue Tourangelle, avec les clés sur le contact, en prenant soin de tout bien nettoyer pour faire disparaître mes empreintes. 

    J'ai emprunté une autre voiture pour rentrer chez moi, que j'ai laissée dans le centre ville. 

    Après ça je me suis occupé des voitures échouées sur la nationale. Pour faire tout ça, il m'a fallu deux jours complets. Le tout dans un silence de mort, sans un quidam en vue. Mais je commençais à m'habituer, et j'avais surtout l'espoir que ça revienne à la normale. 

    Le mardi midi, j'avais terminé mon opération nettoyage. Mes placards étaient vides. 
    Il a quand même fallu que je retourne faire des courses chez Mr Lakhdar, mais cette fois ci je n'ai pas laissé de liste de mes achats, j'ai directement mis de l'argent dans son tiroir caisse. Et j'ai récupéré ma liste de la fois précédente, pour éviter que Mr Lakhdar ne me vende une nouvelle fois des piles en or massif.
    Le lendemain matin je me suis réveillé chez moi, tout était normal : j'avais très mal à la tête, la télé de la voisine beuglait, mes placards étaient vides et nous étions dimanche 4 Avril. 

    Le mardi matin qui a suivi, je n'ai pas vu les policiers débarquer.

     

    ****

     

     

    Une fois ce problème d'empreintes résolu, le spectre de la prison écarté, j'étais toujours coincé dans ma boucle temporelle. Toutes les nuits du mardi 6 au mercredi 7 Avril, mon univers rebootait, et je me réveillais avec une gueule de bois terrible, le dimanche 4 Avril.

    Avec toujours une alternance des univers "vides" dans lesquels j'étais seul au monde, et des univers "pleins" où tout semblait normal et ou tout se répétait.

    À la septième boucle, j'ai arrêté de compter. 

    Heureusement, toutes mes actions dans les univers "vides" précédents n'étaient pas annulées, ce qui m'a évité d'avoir à effacer toutes mes empreintes à chaque cycle. 
    J'avoue, j'ai profité un peu des cycles "vides" pour expérimenter des choses hors de ma portée en temps normal : grands crus, foie gras, champagne, suites des meilleurs hôtel de la ville, pilotage de bolides, et bien d'autres choses plus ou moins avouables. Mais à chaque fois en laissant le moins de traces possible de mon passage.

    J'ai fini par m'en lasser. Profiter tout seul, ce n'est pas vraiment marrant. 

    À la place, j'ai commencé à faire des recherches sur les boucles temporelles dans les sections scientifiques des bibliothèques de la région : de l'avis général, ça n'existait pas, en dehors de certaines théories sur les trous noirs et leurs "horizons des évènements". J'étais bien avancé. J'étais effectivement dans un trou noir, mais je n'en voyais pas l'horizon.

    Pendant les cycles pleins, je n'ai plus jamais raconté à Tonio mes aventures. D'abord, je n'avais plus rien dans mes placards pour le convaincre, et puis à quoi bon tout lui raconter pour qu'il ait tout oublié au début du cycle suivant ?

     

    J'ai commencé à désespérer. J'ai même passé un cycle "vide" complet sans sortir de mon lit. C'est alors que je me suis résolu à chercher de l'aide auprès des sciences "parallèles", auxquelles je n'avais jamais cru. Je me suis résolu à consulter des médiums, des voyantes, des mages pendant mes cycles "pleins". 

    J'ai donc fait le tour de tous les médiums et voyants qui étaient installés autour de chez moi, sans grand succès. La plupart étaient des charlatans inoffensifs. Les autres étaient des salopards.

    Mais un lundi soir, pendant un cycle "plein", j'ai fini par rencontrer une voyante qui m'a suggéré une piste intéressante. 
    C'était dans un cirque itinérant, installé sur la place d'un petit bourg de la région. J'avais vu dans le journal local une annonce qui mentionnait la présence du cirque, avec sa ménagerie et sa voyante. Je n'avais rien à perdre, j'y suis allé.

    Je l'ai trouvée sous un petit chapiteau qui était coincé entre l'enclos de deux dromadaires galeux et la cage d'un léopard nain albinos. Le léopard en question était un gros chat blanc auquel on avait ajouté manuellement des points noirs, probablement avec un marqueur. 
    Je n'étais pas trop confiant, surtout que la voyante avait pris le pseudo original de "Madame Irma".
    J'ai payé ma visite au guichet (20 euros) et je suis entré directement sous la petite tente rouge éclairée à la bougie. Une dame brune 
    d'une cinquantaine d'année, au physique ordinaire, était assise derrière un petit guéridon. Elle avait tous les atours de la voyante de foire : une grande robe rouge avec beaucoup de plis, des bracelets en or, des bagues de toutes les couleurs, une cape dorée à franges sur les épaules, un regard profond souligné de noir. Un parfait cliché.

    Je me suis approché du guéridon recouvert d'un velours sombre sur lequel une boule de cristal reposait. Elle m'a lancé en me désignant la chaise qui lui faisait face :

    • Bonsoir jeune homme, asseyez vous.

    J'ai dit bonsoir à la dame, et je me suis assis. Elle a enchainé d'un ton amical, dans un grand sourire : 

    • Qu'est-ce qui vous amène ? La chance, l'argent, le travail, l'amour ?

    • Rien de tout ça, j'ai un problème assez particulier...

    • Je vous écoute, racontez moi ce qui vous arrive. 

    Elle était aimable et n'a pas eu l'air de me prendre pour un cinglé quand je lui racontai mon histoire. La plupart de ses collègues avaient souvent écarquillé les yeux, se reculant sur leurs chaises, pour s'éloigner d'un fou potentiellement dangereux. Les plus retords n'avaient pas parus étonnés, approuvant mon récit de la tête comme s'il était banal, avant d'essayer de me vendre un colifichet protecteur contre les boucles temporelles au prix d'ami de 5 499 euros. 

    Je lui ai donc tout raconté, ça m'a pris une bonne vingtaine de minutes. Nous fûmes interrompu une fois par le guichetier qui s'inquiétait de la durée inhabituelle de la consultation. 

    Elle le renvoya d'un geste, et nous ne fûmes plus interrompus. 

    Une fois mon récit terminé, elle est restée quelques instants sans rien dire, comme perdue dans ses pensées. Puis elle a repris la parole, d'une voix douce : 

    • Je n'ai jamais eu de cas comme le votre, et je n'avais jamais entendu parler du phénomène que vous me décrivez. Mais ça ne veut pas dire que je ne vous crois pas. Vous m'avez l'air sincère, et cette histoire est suffisamment complexe pour ne pas avoir été inventée.

      Elle s'interrompit un instant pour réfléchir à nouveau, puis reprit :

    • Je ne vois pas comment je pourrais mettre fin à cela. La seule personne en mesure de le faire, c'est vous. Il faut que vous réfléchissiez à l'élément déclencheur de ce phénomène, il y en a forcément un. Et une fois que vous l'aurez identifié, vous devrez trouver un moyen de le corriger. 

      Elle a ajouté avec un petit air triste : 

    • Je ne vois pas d'autre solution, je suis désolée. J'espère que vous parviendrez à vous en sortir.

     

    Sur ce, elle m'a donné congé, car elle devait enchainer avec un nouveau client.

    Je l'ai remerciée, puis je suis rentré chez moi. 

     

     

    Ensuite j'ai suivi son conseil, et j'ai réfléchi intensément à ce qui avait pu déclencher cette maudite boucle temporelle. Après des heures de réflexion intense, je n'avais identifié qu'un seul suspect.

    Le seul élément déclencheur potentiel de mes mésaventures dans la nuit du 3 au 4 Avril, c'était le départ de Lucie. C'était l'élément qu'il fallait réparer.

    J'ai donc décidé de lui écrire un long courrier explicatif, avec des excuses et des promesses de changement. Pour qu'elle revienne, et que la vie reprenne son cours normal. J'étais plutôt sincère.

    Avec tous les cycles mis bout à bout, ça faisait plus d'un mois que je n'avais pas vue Lucie. Et elle me manquait. D'ailleurs j'avais essayé de la joindre ou de la voir à plusieurs reprises au cours des cycles passés : j'avais fini par découvrir qu'elle était chez sa mère, mais elle me raccrochait systématiquement au nez après chaque début de conversation téléphonique, et elle avait refusé de me voir quand je m'étais rendu sur place.

    Dans le courrier que je lui ai adressé, j'ai décidé de mettre le paquet : je lui ai fait des promesses assez radicales, comme arrêter de boire, me mettre au régime, au sport, de la sortir plus souvent pour des expos et des visites de musées, améliorer mes fréquentations, et bien d'autres choses encore. 

    J'étais vraiment motivé pour sortir de cette boucle temporelle.

    Le lendemain de ma visite à Madame Irma, le mardi soir qui marquait la fin du cycle "plein" en cours,  je suis allé glisser mon courrier à Lucie sous la porte d'entrée de sa mère, après avoir travaillé dessus tout l'après midi. J'y suis allé en vélo, même si c'était un peu loin. Pendant les cycles pleins, je n'empruntais pas de voiture. Trop risqué. Et puis, je n'avais pas le permis.

    Quand je me suis couché, avec une trentaine de kilomètres de vélo dans les jambes, j'ai eu beau réfléchir, je ne voyais pas ce que je pouvais faire de plus. 

     

     

    *****

     

    Le lendemain matin, j'ai été réveillé par des bruits de placards. J'avais très mal au crâne. 

    Par réflexe, je me suis jeté sur mon téléphone portable. Il affichait « Dimanche 4 Avril 2027, 10h22. Batterie 1 % ».  Et merde. 

    Je me suis immédiatement levé, j'ai allumé la lumière des toilettes, j'ai vomi. Je me suis rendu compte qu'il y avait du courant, et qu'il y avait toujours des bruits qui provenaient de l'appartement. Ce n'était pas normal. Normalement j'aurais dû attaquer un cycle "vide". 

    Je me suis dirigé vers les bruits, sans trop savoir à quoi m'attendre. À travers le plafond, le son de la télé de la voisine était audible. 

    Dans la chambre d'amis, Lucie, tout sourire, finissait de remplir un placard qui décidément avait horreur du vide. 

    En m'apercevant sur le pas de la porte, elle interrompit son rangement : 

    • Bonjour Donald, me lança t-elle d'une voix guillerette. Tu as bien dormi ?

    • Euh, oui. Enfin je crois. Je suis un peu perdu. Tu es revenue ?

    • Oui, j'ai décidé de passer l'éponge sur ton inconduite.

    • Pardon ?

    • J'ai trouvé ton courrier ce matin en me levant, chez maman. Je l'ai lu. Je m'attendais à des excuses un peu moins alambiquées que cette histoire à dormir debout de boucle temporelle, mais je reconnais que c'était marrant. Et j'ai bien retenu que tu étais prêt à faire des efforts. Et surtout, j'apprécie le fait que tu aies rédigé cette lettre spontanément, dans les quelques heures qui ont suivi mon départ. Donc je reviens, si tu veux toujours de moi. C'est bien le cas ?

    • Oui, je t'en supplie, reste là !

     

    Un peu plus tard dans la matinée, nous avons regardé ensemble du balcon les voitures de police qui venaient constater les effractions dans l'immeuble d'à côté. Je savais d'expérience que l'enquête ne donnerait rien, je n'avais jamais revu la police depuis le nettoyage de mes empreintes, au cours de mon second cycle "vide". Puis nous sommes allés déjeuner en ville, avant de visiter un petit musée qu'elle voulait voir depuis des mois. 

    Le lundi qui suivit fut parfaitement normal. Comme lors de mes cycles "pleins" précédents, des articles des journaux locaux mentionnaient des tentatives d'effraction à Tours, dans des grandes enseignes, mais sans faire les gros titres. Et comme j'avais réussi à ramener mes autos-tamponneuses chez leurs propriétaires respectifs (non sans mal), il n'y avait plus de véhicules en rade sur la nationale pour attirer l'attention. Lucie et moi sommes allés au cinéma dans la soirée.

    Mardi matin, malgré les nombreux cycles précédents sans visite imprévue, j'avais toujours un peu peur de voir débouler la police et le berger allemand baveux. J'avais le numéro d'un avocat sérieux dans la poche de mon pantalon. Au cas où. Personne n'a frappé à la porte, je suis parti au boulot, Lucie chantonnait dans la cuisine.

    Mardi soir, quand je me suis couché, je n'en menais pas large. 

     

    Je me suis réveillé dans mon lit, Lucie à mes côtés. Elle était réveillée, et elle m'a souri. J'ai jeté un œil à mon portable : nous étions mercredi 7 Avril, il était 5h55.
    La batterie de mon téléphone affichait 100 %.

    Moi aussi. 

    Je n'avais pas mal à la tête. Je me suis juré de ne plus jamais boire une seule goutte d'alcool de ma vie. 

     

    Donald Demare

    Cité des Quinze-Vingt

    Mercredi 7 Avril 2027, 23h42

     

    *****

     

    J'ai tenu un peu plus de neuf mois sans alcool. Ce n'est pas si mal. C'est mon record.

     

    Aujourd'hui j'ai décidé de bruler ce journal. Je ne veux pas que Lucie le trouve et le lise, je me rends compte que certains passages ne sont pas très sympas pour elle.

    Elle pourrait croire que je lui ai demandé de revenir pour les mauvaises raisons. 

    Si elle le lisait, elle serait capable de partir, peut être pas en vidant nos placards, mais à coup sûr avec le cosy.

    C'est un risque que je refuse de prendre. 

     

    Donald Demare,

    Cité des Quinze-Vingt

    Jeudi 16 Mars 2028, 2h53

     

     


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  • Un jour,

     

    Les aliens sont arrivés sans crier gare

    Ils nous ont mis une grosse pâtée,

    Puis ils sont repartis dare-dare

    Après avoir tout bombardé,

    Sans nous laisser d'adresse,

    Ni même se présenter.

     

    Désormais,

     

    Les étoiles ne sont plus regardées

    Comme elle l'étaient jadis,

    Mais comme les yeux glacés

    De voisins imbuvables et allumés,

    Toujours prêts à venir nous serrer la vis,

    Façon presse purée.

     

    Demain,

     

    Ils reviendront peut-être

    Pour remettre leur tournée.

    C'est pourquoi nous vivons cachés,

    Dans de grandes cavernes sécurisées,

    Profondes de plusieurs kilomètres,

    Où ils ne pourront pas nous trouver,

     

    À moins d'à nouveau leur envoyer

    Un bon gros signal de détresse,

    Histoire de bien les énerver.

     

    Nos voisins sont sympas de loin

     


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    Cher Monsieur le Directeur,

     

     

    Si je vous écris aujourd'hui c'est pour vous affirmer avec force que l'incident dans lequel je suis impliqué, qui a coûté la vie de votre belle-mère, était totalement involontaire et entièrement imputable à la malchance.

    Comme vous le savez j'étais de service ce jour là dans la grue n°3, celle qui surplombe le quai de chargement B4.

    Normalement, pendant que la grue est en service, il n'est pas permis de passer dans cette zone, à pied ou en voiture. Votre belle-mère n'avait donc pas à être là au moment des faits, mais bien entendu je ne lui en fais pas le reproche. L'agent de quai qui a laissé passer votre Bentley est le seul responsable.

    Quand l'incident s'est produit, je terminais de charger le « Jean Valjean », il ne me restait plus qu'un conteneur à déposer, et l'équipage m'avait demandé de suspendre mon intervention, ils devaient intervenir sur la zone de déchargement avant que j'y pose le dernier conteneur.

    J'ai donc voulu en profiter pour faire une pause cigarette bien méritée, et j'ai fait malencontreusement tomber mon paquet de Gitanes à mes pieds. Au moment où je me suis penché pour ramasser mon paquet, j'ai raccroché les manettes de la grue avec la manche de ma combinaison, ce qui a libéré le grappin magnétique du conteneur de 26 tonnes qui se trouvait à une hauteur de 32 mètres à ce moment là.

    C'est la malchance, Monsieur le Directeur, qui est responsable du passage de votre belle mère dans votre belle voiture au moment où cet incident s'est produit.

    Lorsque je me suis rendu compte qu'il y avait quelque chose de coincé sous le conteneur qui avait chuté, je suis immédiatement descendu de ma grue pour constater les dégâts.

    Quand j'ai vu la voiture écrabouillée sous le conteneur, et entendu les cris qui sortaient du véhicule, j'ai immédiatement décidé d'arrêter de fumer. C'est pour cette raison que j'ai alors jeté la cigarette que j'avais allumée auparavant dans ma cabine, avant de descendre.

    J'ignorais que le réservoir de votre Bentley avait été éventré sous l'impact et que mon mégot allait embraser le véhicule, ainsi que votre belle mère.

    Je vous assure, Monsieur le Directeur, qu'il n'y avait là aucune volonté criminelle de ma part. C'est, une fois encore, la malchance qu'il faut incriminer, ainsi que les équipes de secours qui ont mis plus de vingt minutes à arriver sur les lieux, alors que leur poste ne se trouve qu'à 500 mètres du lieu de l'incident.

    Mais j'en viens à l'objet de mon courrier, Monsieur le Directeur : j'ose espérer que ce fâcheux incident n'aura pas de répercussion sur mon avancement ou sur ma demande d'augmentation. Dans votre grande sagesse, et malgré la douleur qui vous étreint, je suis persuadé que vous saurez faire la part des choses.

    Si vous pouviez, par la même occasion, écrire au Procureur de la république pour témoigner de mon professionnalisme et de mon sérieux, je vous en serais grandement reconnaissant.

     

    Veuillez recevoir, Monsieur le Directeur, l'expression de ma considération ainsi que mes sincères condoléances.

     

                                                               Amal Hadroy, grutier 5ème échelon, en attente d'avancement.

     

     

     

    PS : ma femme, qui vient de relire mon courrier (et qui devrait donc être tenue comme seule responsable s'il y subsistait des fautes d'orthographes) m'a dit qu'il était peut être indélicat de ma part de ne pas mentionner la présence de vos enfants dans la voiture au moment de l'incident. J'espère que vous n'y verrez comme moi aucune indélicatesse : je m'impose toujours la plus grande discrétion en ce qui concerne les enfants disgracieux ou inadaptés, surtout dans mes échanges avec leurs parents. Il n'était donc pas question que j'évoque les vôtres. 

     


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  •  

    Ce matin je suis allé en courses,

    Je voulais acheter une douzaine d'oursins :

    Au vu du contenu de ma bourse

    Je me suis contenté d'une patte d'ours,

    D'un cubi, d'une baguette et d'un Boursin.

     

     


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  •  

    Epilogue.

     

    Après cette aventure, j'ai proposé une alliance à l'Ordre pour l'éradication des Vampires « noyés ». Ce fut compliqué, mais nous avons fini par trouver un accord.

    Joan et moi avons fondé le « DeepSub Research Lab » et nous avons commencé à fouiller les fonds marins et océaniques, en fonction des capacités techniques de nos submersibles et des plans des « largages » communiqués par l'Ordre. Il s'avère qu'il y en avait eu dans presque toutes les mers, mais le plus gros se trouvait en Méditerranée, autour de l'Europe et dans les mers de l'Asie de l'est. Quelques uns des largages n'avaient pas été précisément documentés, ce qui promettait de longues recherches.

    En parallèle, l'Ordre a racheté en Europe un haut fourneau à l'arrêt et l'a adapté à l'usage particulier auquel il le destinait, c'est à dire l’accueil de cercueils de plomb présentant des traces de passage prolongé au fond des océans.

    Nous avons retrouvé 23 caissons au cours des 44 années qui ont suivi notre aventure avec Ours Noir. J'ai bon espoir de mettre la main sur le 24ème d'ici la fin de la présente campagne.

    Cinq de ceux que nous avons remontés étaient éventrés, leurs occupants depuis longtemps retournés au plancher des vaches... L'Ordre pense que trois d'entre eux ont déjà été bannis. Les deux autres sont activement recherchés. Les dix huit qui étaient toujours dans leur caisson ont tous visité le haut fourneau spécialement préparé à leur attention. Comme il n'y a pas eu de réclamations, on suppose que les visites se sont bien passées. Il y a toujours une escouade de Sorciers de l'Ordre qui montent une garde permanente autour du haut fourneau dans les mois suivants une visite. Au cas où.

    De l'intérieur des caissons sortis de l'eau, on discernait parfois des hurlements inhumains, certes étouffés par trois épaisseurs de métal, mais audibles. Dans tous les cas, une affreuse marque maudite, noire, tourbillonnante et graisseuse dépassait du caisson.

    Selon les décomptes de l'Ordre, il resterait encore vingt huit caissons à retrouver. Au minimum.

    À ce jour, nous avons en permanence une équipe en mer. Accessoirement, à titre de couverture et de gagne pain, nous découvrons de temps à autres un vieux galion aux soutes pleines d'or.

    Nous parviendrons à bout de cette tâche, nous avons tout le temps qu'il faut devant nous pour y parvenir.

    Et Michel-Henri, dans son dernier appel Skype, m'a affirmé qu'il avançait sur ses recherches de levée de la malédiction, grâce à ses travaux communs avec l'Ordre.

    Il espère avoir des résultats probants d'ici moins de deux cent ans. 

    Sinon, au rayon layette, Joan et moi avons reçu l'autorisation exceptionnelle d'adopter un des bébés maudits à l'issue de notre aventure de 1975. Ce qui nous vaut la visite régulière de Frida et d'Eugènia, qui viennent à mon grand désarroi jouer aux mamies gâteau dans mon appartement. 

    À ce jour, le bébé ne fait toujours pas ses nuits.
    Je suis souvent en mission en mer. C'est reposant.

     

     

    Lucien Duchamp,

    À bord du Good Way IV

    Quelque part dans l'océan Indien

    12 Août 2019

     

     

     


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