• Le disparu de Limoges

     

    Par un froid matin d'hiver, le 11 Janvier 2010 Maurice Battenois quitta son domicile de Verneuil sur Vienne pour ne plus jamais y revenir. 

    Il habitait une charmante maison des années trente, avec sa femme et ses trois enfants. Il exerçait la profession de contrôleur principal au Centre des Impôts de Limoges, il avait alors quarante deux ans.

     

    C'est sa femme, Sophie, qui appela la gendarmerie d'Aixe sur Vienne, aux alentours de 22 heures, pour signaler sa disparition. Maurice Battenois était très à cheval sur l'heure du souper : en plus de quinze ans de mariage il n'avait jamais manqué d'être présent à sa place, en bout de table, à l'heure dite, soit 19h15 précise.

    Sans nouvelles de son mari, qui ne répondait pas au téléphone, Sophie Battenois avait contacté les hôpitaux de la région, sans résultats, avant d'appeler la gendarmerie. Elle avait même tenté de contacter le Centre des Impôts, mais il n'y avait plus personne depuis longtemps dans les locaux et elle n'avait eut droit qu'au message préenregistré à peine poli destiné aux administrés. 

     

    Le gendarme qui reçut son appel ce soir là lui expliqua qu'il était trop tôt pour lancer une enquête pour disparition inquiétante, mais il prit tout de même le modèle et l'immatriculation de la voiture de son époux, une Citroën Picasso, et promit de prévenir les patrouilles de la région pour qu'elles tentent de la repérer. Sophie Battenois ne savait pas qu'il n'y avait qu'une seule patrouille de nuit dans la région, et que celle ci ne sortait de sa caserne que contrainte et forcée, parce que la chaussée était verglacée et que les pneus du break Renault de la gendarmerie étaient lisses. 

     

    Le lendemain, Sophie Battenois se rendit dès 8 heures à la Gendarmerie et finit par être reçue par un Adjudant, Yvon Vazy. Ce dernier accepta de lancer une enquête pour disparition inquiétante après l'avoir entendue. Le mari n'avait pas le profil d'un fugueur.

    Dans la matinée qui suivit, il contacta le centre des impôts. La supérieure hiérarchique du disparu, une certaine Caroline Maupuis, lui apprit que Maurice Battenois, souffrant de nausée, était reparti chez lui la veille un peu avant midi.

    L'adjudant apprit également que Maurice Battenois était un fonctionnaire zélé, peu apprécié des administrés qu'il contrôlait, et qu'il avait été récemment victime de menaces, par courrier électronique. Une plainte avait été déposée un mois plus tôt au Commissariat Central de Police de Limoges, pour « menaces de morts ».

     

    Deux jours plus tard, le contrôleur des impôts était toujours aux abonnés absents. L'Adjudant Vazy avait pu consulter le dossier relatif à la plainte pour menaces, qui était en cours de traitement : la dizaine de mails de menaces était plutôt classique. Tous les messages provenaient du même expéditeur et étaient en cours de traçage auprès d'un opérateur internet Français. Retrouver l'émetteur n'allait pas poser de grosses difficultés, d'après les services techniques du commissariat. 

    Le lendemain, le 15 janvier, une patrouille de gendarmerie retrouva la Citroën de Maurice Battenois à Saint Pierre de Colombier, en Ardèche, à plus de quatre cent kilomètres de Limoges. Elle était calcinée, mais vide de tout occupant. 

     

    L'adjudant, qui eut rapidement accès aux comptes bancaires des époux Battenois, constata qu'aucune opération n'avait eu lieu avec la carte de Maurice Battenois depuis le jour de sa disparition. Aucun retrait suspect non plus dans les jours ayant précédé sa disparition. Son passeport était resté au domicile de la famille, et ne portait que deux mentions de voyages touristiques à l'étranger, quelques années plus tôt.

    Par ailleurs, l'étude des fadettes de l'opérateur téléphonique de Maurice Battenois était claire : aucun appel n'avait été passé avec son téléphone depuis sa disparition. La dernière fois que son téléphone avait été détecté par le réseau, c'était à proximité immédiate du Centre des Impôts, à 11h54, le jour de sa disparition.

     

    Pendant plusieurs mois, l'enquête ne donna pas grand chose. On retrouva l'auteur des menaces, une marchande de chaussures de 62 ans qui avait été contrôlée par le disparu quelques mois plus tôt, et qui avait très mal pris les 12 769,76 euros réclamés à l'issue du contrôle. Elle s'était effondrée en larmes pendant l'interrogatoire, certaine d'être jetée en prison pour avoir écrit « tu vas crever salopard » à un honorable membre de l'administration des finances. De l'avis des enquêteurs, elle n'avait ni le profil ni les capacités, ni les ressources pour organiser la disparition du contrôleur des impôts. Et le jour de la disparition de Battenois, elle était dans son commerce, témoins à l'appui. 

    L'enquête de routine menée auprès des autres contribuables contrôlés au cours des derniers mois par Battenois ne donna rien de probant, si ce n'est que Maurice Battenois était un individu unanimement jugé froid, sec et distant. 

     

    De son côté, Sophie Battenois, en manque de liquidités, reprit dès le mois de Septembre un travail d'assistante scolaire dans son village, travail qu'elle avait abandonné à la naissance de son deuxième enfant, sept ans plus tôt. 

    La cagnotte organisée par les collègues de travail de Maurice Battenois pour aider sa famille récolta une somme si faible que le directeur du centre se sentit obligé d'ajouter deux cent cinquante euros de sa poche, pour ne pas mourir de honte en remettant l'enveloppe à l'épouse du disparu. 

     

    ***

     

    Ce n'est que cinq ans, trois mois et vingt huit jours plus tard que l'on apprit ce qu'il était advenu de Maurice Battenois. 

    A ce moment là, il avait été déclaré mort depuis plusieurs années, et son épouse s'était remariée. Elle vivait avec ses enfants et son nouvel époux à Périgueux.

     

    C'est un promeneur Slovéne qui trouva le corps sans vie de Maurice Battenois dans un ruisseau, nu, pieds et poings liés, en bordure d'une route très passante, à une trentaine de kilomètres de Ljubljana.

    L'autopsie révéla qu'il était mort d'un arrêt cardiaque. Son corps portait d’innombrables traces de sévices et de tortures. L'autopsie révéla qu'il avait été victime de traitements indignes pendant une très longue période. 

    Il fut inhumé plusieurs mois plus tard à Limoges, en présence de son ex-femme, de ses enfants, de quelques rares anciens collègues. 

     

    L'enquête de la police Slovène ne donna rien. La justice Française ré-ouvrit le dossier et le requalifia en enlèvement, séquestration et actes de barbarie ayant entrainé la mort, mais aucun élément concret ne vint épaissir le dossier. Interpol participa à l'enquête, confirma qu'il existait bien quelques réseaux sadomasochistes souterrains très cloisonnés qui pratiquaient leurs spécialités sur des victimes non consentantes, mais aucun lien ne put être établi avec un réseau en particulier. 

     

    Trois ans après la découverte du corps sans vie de Maurice Battenois, l'enquête est toujours ouverte côté Français, mais plus personne n'y travaille vraiment. Les enquêteurs attendent des faits nouveaux.

     

    ***

     

    Le jour de sa disparition Maurice Battenois a reçu un appel téléphonique particulier. Cet appel, listé dans le mouchard du standard téléphonique du Centre des Impôts n'a jamais particulièrement attiré l'attention des enquêteurs. L'auteur présumé du coup de fil a bien été interrogé, mais seulement plusieurs semaines après la disparition. 

    L'auteur de l'appel, un marchand de fruits et légumes qui faisait à l'époque les marchés de la région, était en cours de contrôle fiscal. Il ne se souvenait plus du motif de son appel à Maurice Battenois. D'ailleurs il ne se souvenait pas non plus l'avoir appelé ce jour là, mais il reconnaissait qu'il pouvait l'avoir fait. Si les enquêteurs avaient insisté, ou si ils l'avaient interrogé plus tôt, il se serait peut être souvenu qu'il avait égaré son téléphone ce matin là, avant de le retrouver dans un cageot de salades en remballant ses produits invendus, aux environs de 13h30.

     

    Le 11 Janvier 2010, les nausées de Maurice Battenois n'ont en fait débuté qu'après cet appel. Pas facile d'apprendre par la voix d'un inconnu que votre femme vous trompe avec un collègue pendant la pause de midi, et qu'elle surveille vos déplacements avec le mouchard qu'elle a installé dans votre téléphone. 

    Ce midi là, quand Maurice Battenois est arrivé avec son Citroên Picasso dans la cour d'une petite ferme isolée au nord de Limoges, téléphone éteint, il pensait surprendre sa femme Sophie avec un de ses collègues de travail. 

    Il ne pensait pas être attendu par deux gorilles Slovènes qui lui sont tombés dessus comme la foudre sur un paratonnerre. Une fois saucissonné, bâillonné et dissimulé dans le double fond d'une camionnette, Maurice Battenois a été conduit en Slovénie, en passant par l'Ardèche où l'un des deux gorilles Slovène abandonna son Citroën Picasso. Arrivé à Ljubljana, il fut remis contre bons soins à un club de dépravés. 

    Ce qu'il a subi pendant ces cinq très longues années fut horrible. Mais presque mérité, selon son beau père. 

     

    ***

     

    Maurice Battenois n'était pas quelqu'un de facile. Ni avec sa femme, ni avec ses enfants, ni avec ses beaux parents. Il ne souriait presque jamais, ne donnait jamais de signes d'affection à sa famille, ni en public ni en privé. Ses chevaux de bataille étaient l'ordre, la ponctualité, l'honnêteté et la justice. Son temps libre était intégralement consacré au modélisme et à la lecture d'ouvrages d'économie. 

    Quelques semaines avant la disparition de Maurice Battenois, le jour de Noël 2009, Roger Levasson, le père de Sophie, avait sorti de sa cave une bouteille de Bourgogne de très grande valeur : un Romanée Conti 1981.

    Le vin était exceptionnel, il est vrai, tout comme l'était la conscience professionnelle de Maurice Battenois, qui questionna son beau père sur la provenance du vin. Emporté par le nectar et son alcool, Roger Levasson lui révéla qu'il avait récupéré plusieurs centaines de bouteilles de grande valeur dans la cave de son oncle récemment décédé à l'âge canonique de 93 ans. Et cela avant que le notaire chargé de la succession ne vienne faire l'état des lieux.

    Quelques jours plus tard, Maurice Battenois confia à sa femme qu'il allait lancer une procédure de redressement à l'encontre de son beau père. Il lui dit qu'il allait rédiger un courrier en ce sens au Centre des Impôts de Poitiers, dont dépendait le père de sa femme. 

    Maurice Battenois était sincèrement désolé d'avoir à dénoncer son beau-père, mais sa conscience le tourmentait : il ne supportait pas les fraudeurs, et encore moins les fraudeurs de sa famille. Sophie Battenois supplia son mari de ne pas faire le courrier, de la laisser convaincre son père de se dénoncer lui même aux contrôleurs. Maurice Battenois lui accorda deux semaines pour qu'elle parvienne à convaincre son père de le faire. 

     

    Roger Levasson tomba des nues quand sa fille lui rapporta les menaces de dénonciation de son mari. Puis il se mit en colère. Cet imbécile de gendre était un vrai crétin. Il hésitait sur la marche à suivre, et se confia à un ami de longue date, Marko Valjac, un ancien légionnaire Yougoslave installé de longue date dans son village. Ce dernier lui proposa de régler son problème en échange d'un tiers de ses bouteilles précieuses. Sur le coup de la colère, Roger Levasson accepta la proposition de son ami, sans trop réfléchir aux conséquences.

     

    Quelques jours plus tard, sa fille l'appela en pleurs pour lui apprendre la disparition de Maurice. Le surlendemain, un petit camion immatriculé en Pologne, piloté par Marko, s'arrêta devant le portail de la maison de Roger. Il repartit avec 300 bouteilles dont la valeur totale dépassait plusieurs centaines de milliers d'euros.

    Quelques jours plus tard, Roger rendit visite à Sophie et à ses petits enfants. Au détour d'une conversation avec sa fille, affligée par la disparition de son mari, il lui glissa qu'il n'était peut être pas utile de parler de son petit contentieux avec Maurice aux enquêteurs. Il irait faire sa déclaration spontanée au Centre des Impôts si Maurice réapparaissait, mais dans l'attente d'un pareil heureux dénouement, il était préférable de ne pas évoquer le sujet. Après tout, si Maurice ne réapparaissait pas, Sophie aurait bien besoin de l'argent que représentaient ces bouteilles. 

     

    Sophie jugea le conseil de son père avisé, et ne parla jamais des bouteilles non déclarées aux différents enquêteurs qui la questionnèrent.

    Elle se remaria dès l'automne 2013 avec un contrôleur des impôts, un ancien collègue de son mari disparu, muté depuis quelques mois à Périgueux. 

    Depuis lors, au cours des nombreux repas de famille qui ont eu lieu, Roger Levasson n'a jamais sorti de bouteille prestigieuse en présence de son nouveau gendre. 

     

    Il y a des choses qui ne se font pas. 

     

     

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  • Commentaires

    1
    Lady lama
    Lundi 23 Septembre 2019 à 19:09

    Et la morale est ... de ne jamais citer la provenance de ses bouteilles ^^?

    Plus sérieusement, après avoir enquillé tous les Faites Entrer l’Accusé disponibles sur YouTube, allant même jusqu’â regarder Chroniques Criminelles régulièrement, écoutant Christophe Hondelatte et Jacques Pradel (voui voui voui) je trouve que tu retranscris parfaitement leur mode de narration avec les différentes étapes de l’enquete.

    2
    Lundi 23 Septembre 2019 à 23:19

    Merci ! Petit, je voulais être inspecteur de police ! Mais finalement c'est plus facile de trouver le coupable quand on écrit l'histoire soi même. ^--^

     

     

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