ORAGES EN KARMELIE : CHAPITRE 9

Campement de la Garde Royale de Karmélie, en mission spéciale, quelque part en pays Troll.

L'adjudant Delait, était en train de terminer une cuisse de biche rôtie, assis sur une pierre plate devant le feu de camp, quand il interpella le cuisinier qui sortait des buissons :

- Z'avez envoyé vot' dernier pigeon, Tautale ?

- Oui, mon adjudant, c'est fait.

- Vous savez, j'savais depuis le début que vous étiez un cancrelat de la PRSK.

- Ah bon ? Comment me suis-je trahi ? demanda le demi-elfe.

- J'ai jamais vu un cuisinier aussi mauvais que vous. Z'êtes pas foutu d'cuire une carotte proprement. Par contre vous vous démerdez pas trop mal avec une épée longue, et encore mieux avec votre arc de chasse. Z'avez bien dû zigouiller une demi-douzaine de Trolls à vous tout seul, depuis l'début d'cette campagne. Et pis vous parlez trop comme un gars d'la haute pour un cuistot. 

- Oui... je suppose que je ne suis pas l'agent secret le plus performant de ma promotion... soupira Tautale.

- C'est probablement ce qui vous a valu cette mission d'merde. Z'avez toujours pas une idée sur les vraies raisons de not' présence dans c'merdier ?

- Non, je suppose qu'un des hommes de l'escouade a vu quelque chose qu'il n'aurait pas du voir dans les appartements Royaux, ou fait quelque chose qu'il n'aurait pas du faire, et que la Reine a trouvé amusant de voir une bande de gardes dévoués se jeter du haut d'une falaise pour régler le problème...

- Ouais, z'avez raison, c'est quelque chose de c'genre. Je crois que notre bon Commandant Tépesse avait idée de quoi il retournait, mais il n'a pas eu le temps de me met' dans la confidence. Faut dire que c'est pas facile de parler une fois qu'on a la tête détachée du corps.

- Vous êtes toujours décidé à attaquer ce nid de Trolls demain matin, je suppose ?

- Ben ouais mon gars, on est là pour ça !

- Mais vous pensez vraiment qu'on peut venir à bout d'une vingtaine de Trolls, avec une dizaine d'hommes valides, un manchot et un estropié ? 

- Peut être ben qu'oui, Peut être ben qu'non... C'est sûr qu'les Trolls c'est pas des lopettes, ce sera un beau combat. Allez va dormir gamin, demain t'auras besoin de toutes tes forces. Je veille sur vot' sommeil, j'vais m'occuper du dernier cuissot de biche qui me fait de l'oeil depuis un moment. 

L'agent secret-cuisinier Tautale, obéissant et résigné, se dirigea vers la tente qu'il partageait avec quatre Gardes Royaux. Il n'était pas certain d'y trouver le sommeil, mais il allait essayer.

***

Dans cette tente, il y avait déjà au moins un Garde Royal qui ne trouvait pas le sommeil. Il dormait mal depuis plusieurs mois, très exactement depuis leur départ précipité du Château aux Mille Fleurs. Il était taraudé par sa conscience et par le souvenir douloureux de ses étreintes passées avec la Princesse Dhâle. Il n'était pas idiot, il se doutait bien que cette mission était directement liée au fait qu'une servante l'avait surpris dans le lit de la Princesse ce matin là. Quel imbécile ! Il avait fallu qu'il s'endorme la nuit où il était le seul Garde Royal assigné devant la chambre de la Princesse, son binôme habituel étant de repos et pas remplacé... Enfin, au moins son ami Terell avait échappé à cette mission débile de recherche d'Amulette, c'était déjà ça. Seuls les Gardes Royaux de service en cette funeste nuit avaient été expédiés au Pays Troll.

Le commandant Tépesse était certainement au courant de la véritable motivation de leur présence dans ce Pays maudit, vu la façon dont il l'avait fusillé du regard tout au long de la traversée. Mais le Commandant n'avait probablement pas eu l'occasion de partager ses soupçons avec ses subordonnés, vu qu'il avait été décapité par un gourdin clouté sur la plage, dans les minutes qui avaient suivi le débarquement de l'escouade en Pays Troll. Un petit combat de bienvenue qui les avait immédiatement mis dans le bain de cette région accueillante.

Depuis, Claymore Hainemort voyait ses camarades tomber les uns après les autres, et c'était de sa faute. Mais il n'avait jamais trouvé le courage d'avouer à ses camarades la vraie raison de ce massacre.

L'assaut du lendemain mettrait certainement fin à ce cauchemar une bonne fois pour toutes, Claymore l'attendait presque avec soulagement. Il y a des morts moins honorables que celle qui consiste à tomber au combat face à un adversaire deux fois plus gros que vous.

Son seul regret sera de ne pas avoir pu faire ses adieux à Dhâle, dont la pensée continuait à l'obséder, plus de six mois après leur séparation.

Plus que quelques heures... et tous les regrets seront effacés.