• Une tempête à l'horizon

    ORAGES EN KARMELIE : CHAPITRE 20

     

    Princesse !

     

    Gardène en était à son troisième bol de bouillie ce matin. Félicité n'en revenait pas : à un âge estimé de sept mois, à peine, la petite Princesse était plus grande qu'un enfant humain de dix huit mois. Félicité s'attendait à la voir faire ses premiers pas dans le courant du prochain mois. Il lui faudrait alors redoubler de prudence : avec son poids, les premières chutes ne seraient pas anodines. Elle avait déjà commencé à rembourrer le parc dans lequel la petite s'ébattait en compagnie de ses deux compagnons de jeu, Lucius et Carlito.  Les deux petits étaient minuscules, en comparaison ! Mais Gardène était plus douce qu'un agneau et n'aurait jamais eu l'idée de profiter de son surplus de taille pour s'attaquer à eux. 
    Le petit parc de la pouponnière était littéralement recouvert de peaux d'ours, de loups et de moutons ; ce n'était pas très joli mais Gardène pourrait s'y cogner la tête à volonté, sans risques.

    Alors que Félicité sortait Gardène de sa petite chaise pour la déposer dans le Parc en compagnie de ses deux petits camarades, elle eut à nouveau une vision. Il fallait qu'elle en parle avec Frère Jordan, elle ne pouvait plus garder ces informations pour elle, malgré ses résolutions.

    ***

    Une fois Félicité et Frère Jordan installés l'un en face de l'autre dans l'étude du Frère, le gros moine, après leur avoir servi à chacun une généreuse bolée de cidre, lui demanda : 

    - Alors Félicité, de quoi voulais tu me parler ? Tu ne vas pas nous quitter, n'est-ce pas ? lui demanda le Moine d'un ton inquiet.

    - Non, non Frère Jordan, ne t'inquiète pas, je te l'ai dit, je resterai ici tant que vous ne me mettrez pas dehors. Je sais que les pupilles ne sont pas censés rester au Monastère à mon âge, mais je ne vous quitterai pas tant que la pouponnière sera à ce point remplie. Le Frère Poupon m'assommerait à coup de biberons si j'émettais ne serait-ce que l'idée d'un prochain départ !

    - Bien, dit le Frère Jordan. Tu m'en vois réjoui. Tu as remarqué qu'il n'y avait quasiment aucun malade dans la nurserie depuis ton retour ? Les autres n'ont pas fait le rapprochement, mais la présence d'une jeune Fée aux talents aussi... particuliers est une aubaine pour un orphelinat.

    - C'est justement de cela que je voulais que nous parlions, Frère Jordan. Je crois que la fiche de la Fée des Orties que nous a fait parvenir Anaskri n'est pas complète. Depuis plusieurs semaines, j'ai parfois des visions très spéciales quand je touche les gens de façon prolongée.

    - Ah ? C'est possible tu sais, la Fée des Orties est très mal connue, il est tout à fait vraisemblable que certaines de ses facultés ne soient pas ou mal répertoriées. Et qu'ont elles de spéciales ces visions ? Ce ne sont pas des prémonitions ?

    - Je ne crois pas. Je pense qu'il s'agit de visions du présent, qui me montrent comme les... racines des gens que je touche ! Oui, c'est ça, les racines ! Je crois que j'ai des visions des parents des bébés quand je les touche !

    - C'est.. vraiment extraordinaire, dit le Frère Jordan, estomaqué. Surtout dans un orphelinat dans lequel la plupart des pensionnaires ignorent leurs origines ! Tu en es certaine ? 

    - Oui, j'ai fait des tests avec certains des Frères qui ont encore de la famille en vie. J'ai décrit avec précision au Frère Poupon la ferme dans laquelle vit encore sa vieille mère, il n'en revenait pas ! Et quand les deux parents sont morts, je n'ai pas de visions du tout. Pour le petit Julius, je n'ai vu que son père, un demi-gobelin qui vit dans une pauvre hutte, dans des collines. Rien sur sa mère, ce qui laisse supposer qu'elle n'est plus de ce monde.

    - Maintenant que tu m'en parles, c'est un don qui semble logique, dans la continuité de ton don de croissance et de fertilité. C'est une capacité qui nous sera d'une grande utilité quand les petits souhaiteront connaître leurs origines, mais c'est une arme à double tranchant...

    - Ça tu peux le dire, ce don m'effraie un peu, je l'avoue. Mais maintenant que je suis à peu près certaine qu'il ne s'agit pas d'hallucinations, je voulais surtout te parler des visions que j'ai eu avec Gardène.

    - La Princesse ! Si tu veux m'en parler, je suppose que c'est parce que tu as dû voir de drôles de choses à son sujet...

    - Tu peux le dire ! J'ai eu plusieurs vision du père de Gardène, un Orc Noir en armure en train de combattre avec quelques compagnons d'armes d'immenses Trolls,  dans un pays très montagneux que je ne connais pas. Et la mère de Gardène est bien vivante, elle vit dans un château superbe, rempli de fleurs alors que nous sommes en plein hiver. Ça te dit quelque chose ?

    - Oui, bien sur, en toute logique il s'agit du Château aux Mille Fleurs. Et Gardène est sans doute la fille d'un garde Royal qui aura séduit une servante du Château, ou l'inverse. C'était l'explication la plus probable, mais je suis très surpris que sa mère soit encore en vie, c'est presque impossible pour ce type de naissance.

    - Elle a très certainement bénéficié d'une assistance médicale, j'ai pu voir qu'elle avait une grosse cicatrice sur le ventre. Mais je ne suis pas certaine qu'il s'agisse d'une servante. Vous connaissez beaucoup de Fées employées comme servantes au Château aux Mille Fleurs, Frère Jordan ?

    - Tu veux dire...

    - La mère de Gardène est une très belle jeune fille blonde, qui à l'air d'une humaine de plein sang, mais qui est aussi dotée d'une magnifique paire d'ailes, totalement blanches !

    Le Frère Jordan avait l'air catastrophé.

    - Totalement blanches, sans liseré, tu en es certaine ?

    - Oui, je les ai vues plusieurs fois, totalement blanches !

    - Tu n'as raconté ça à personne, j'espère ? 

    - Non, tu es le premier à qui j'en parle, Frère Jordan, je n'ai pas l'intention de révéler les origines de nos orphelins à la cantonade ! Et certainement pas sans leur consentement. 

    - Tant mieux, je ne sais pas si tu te rends compte des implications, mais nous devons absolument garder le secret absolu, la petite court un grave danger.

    - Vous ne dramatisez pas un peu, Frère Jordan ? demanda Félicité, inquiète à son tour.

    - Je ne crois pas, non. Tu sais que depuis la grosse surprise qu'a constitué ta maturité magique et la pousse de tes ailes vertes et noires, je fais beaucoup de recherches sur les Fées. J'ai beaucoup avancé ces dernières années, grâce à l'aide précieuse d'Anaskri. Il m'a transmis en toute discrétion la plupart des ouvrages de référence sur la classification des Fées, et il m'envoie toutes les fiches de synthèse sur les Fées compilées par les Archives Royales au fur et à mesure de leur rédaction. Sans me vanter, je pense avoir acquis une certaine expertise en la matière.

    - Je n'en doute pas un seul instant, Frère Jordan. Après tout j'ai passé deux ans dans une école de Fées en passant à leur yeux pour une Fée des Bois commune, dénuée de pouvoirs particuliers, et tu es le seul à avoir pu mettre un nom sur ce que je suis vraiment.

    - Je te remercie, mais en ce qui te concerne c'était avant tout de l'observation et de la déduction. Je pense que d'ici quelques mois la Fée Bryl arrivera aux mêmes conclusions que moi quand les rendements agricoles des abords de l'école diminueront fortement. J'en viens à ce que je voulais te dire : il n'y a à ma connaissance que deux sortes de Fées aux ailes entièrement blanches. La Fée des Lys et la Fée des Neiges. 

    - Et quelle conclusion en tires-tu ?

    - J'ignore ce que donne l'union d'une Fée des Neiges et d'un Orc Noir, mais je suis certain du résultat de l'union d'une Fée des Lys et d'un Orc Noir, tu en as déjà entendu parler, comme tout le monde dans les Neufs Royaumes, bien qu'aucun de nos contemporains n'en ait jamais vu une !

    - Et c'est ? demanda Félicité, très intriguée.

    - Une Fée des Orages !

     

    Le bébé a disparu 

     

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