• Club de natation cherche volontaire pour mission de courte durée

    Avant de vous expliquer notre recherche, il faut que je vous fasse un point de la situation. Je suis membre du club de natation de Monjoie en Bière*, et le bureau provisoire du club m'a confié une tâche délicate. J'ai été désigné volontaire après avoir été appâté par le poste de maître nageur provisoire. 

    J'ai toujours rêvé d'être maître-nageur. Dictateur, pas vraiment. Pourtant le titulaire du poste, c'est un maître-nageur dictateur. C'est Jeannot, et c'est de lui dont il faut que je vous parle.

     

     

    Dans la piscine municipale de Monjoie en Bière, Jeannot cumule les rôles de maître-nageur et de dictateur. Personne n'ose le contredire, il crie très fort et devient tout rouge à la moindre contrariété. Avec les gars du club on l'appelle Jeannot le Rouge, d'ailleurs. Il faut dire qu'il est communiste, ça tombe bien.

    Faut dire qu'un dictateur communiste c'est classe : tout ce qu'il fait, c'est pour le bien du peuple, alors que le dictateur classique il dit que c'est pour le peuple, mais c'est pas vrai. Bon, c'est vrai, les deux vivent dans de somptueuses demeures, avec des créatures de rêves (à part le Général de Gaulle, mais il faut dire qu'il était vieux). Mais le dictateur classique pompe le fric du pays pour le mettre sur des comptes à l'étranger, alors que le dictateur communiste, lui, se contente de diriger la banque centrale de son pays, pour le bien de tous. Dans les deux cas, assez rapidement, le pays n'a plus de sous. C'est souvent pour cette raison que les dictatures prennent fin. Ce qui me fait penser que les finances du club sont au plus bas depuis que Jeannot cumule les postes de secrétaire, trésorier et président.


    Mais je divague. Avec le club de natation (dos, papillon et brasse coulée uniquement, le crawl c'est pour les américains dit toujours Jeannot) on devait partir pour Villebanne*, aux Intercités communistes, samedi dernier. C'est Jeannot qui devait conduire le car. Il n'a pas de permis mais il dit qu'on s'en fout, qu'on vit dans une dictature administrative où tout est fait pour pomper le fric des honnêtes travailleurs.

    Jeannot est au chômage depuis son licenciement de la Somatraco, il y a dix ans. Entre deux rendez vous à Pôle Emploi, il s'occupe du club. Mais il n'est plus très souvent convoqué à Pôle Emploi depuis qu'il a cassé un clavier d'ordinateur sur la tête du directeur de l'agence. Le directeur n'a pas porté plainte, le Maire lui a passé un coup de fil pour arrondir les angles du clavier brisé. Du coup, Jeannot se dévoue désormais corps et âme au club, sept jours sur sept, bénévolement. Ou plutôt corps et pensée, vu que Jeannot l'âme, il y croit pas. Pour lui on est comme des chiens : quand on est mort on aboie plus, et pis c'est tout.

     

    Mais je divague : c'est vrai, tout est fait pour nous piquer notre pognon dans ce pays, mais ça n'empêche qu'il ne sait pas conduire les cars, Jeannot. Avec les copains et les copines du club, ça nous embêtait un peu quand même, vu qu'on voulait arriver avec nos deux jambes et nos deux bras au meeting de Villebanne. Pour la natation, c'est utile, les jambes et les bras.

    On a donc conçu un stratagème très élaboré pour mettre Jeannot sur la touche, juste pour la journée. William a un cousin qui conduit des cars à la régie de transport public de Monjoie en Bière. Jeannot ne peut pas le saquer car il est syndiqué CFDT. Jeannot dit que la CFDT c'est des tarlouzes de première. Même si on ne doit plus dire « tarlouze », vu que c'est offensant et tout et tout, mais Jeannot s'en fout, il dit qu'on vit dans une dictature bien pensante et qu'il les emmerde tous. Il a pas totalement tort, Jeannot, même s'il ne savait pas que le cousin de William, justement, il est pédé. C'est assez gênant, comme situation, parce que globalement on s'en fout tous un peu, Jeannot compris, des préférences sexuelles des gens. Pour nous c'est un peu comme les témoins de Jéhovah, les végans ou les militants LR à mèches : ils ne nous dérangent pas tant qu'ils n'essaient pas de nous convertir. On est un peu de la vieille école, c'est vrai, mais on est pas non plus complètement cons, au club, à part peut être Kamel, qui ne supporte pas les lesbiennes. Ça l'a pris depuis que sa femme l'a quitté pour se mettre à la colle avec une pilote de rallye. Mais ça finira probablement par lui passer, dans une paire d'années.

     

    Bref, je divague encore. Normalement on devait partir à 4 heures du matin samedi matin pour arriver à l'heure pour le début de la compétition. Notre plan diabolique consistait à tous venir à 3 heures à la piscine, cousin de William compris, et de partir avec le car avant l'arrivée de Jeannot. On lui aurait expliqué par la suite qu'il s'était gouré d'heure.

    C'était un plan génial.

    C'est juste qu'on ne savait pas que Jeannot avait été expulsé de son appartement de la cité Karl Marx depuis déjà six mois, et que depuis il vivait dans la zone technique de la piscine municipale, entre les palettes de chlore et les pompes de filtration. Le pire c'est qu'il se nourrissait exclusivement de boites de cassoulet et de couscous froides.

    Du coup, quand on s'est tous pointés à 3 heures pétantes devant la piscine en ricanant, on l'a réveillé. Faut croire que les frites en mousse ne sont pas très confortables et ne permettent pas un sommeil très profond.

    On était en train de monter dans le car quand un Jeannot en slip de bain (car il dort tout habillé) est sorti comme une furie de l’accueil de la piscine et s'est jeté sur le cousin de William, qui était au volant et faisait chauffer le moteur, en le traitant, je vous le donne en mille, de « gros enculé ».

    Il faut savoir que le cousin de William, le syndiqué CFDT, c'est Antoine-Désiré Matténa, plus connu sous le nom de Slasher. C'est un gros bébé de 130 kilos qui fait du MMA dans les soirées underground de la petite couronne. En dehors du ring c'est un type charmant, qui perd très rarement son sang froid. Mais c'est un être humain, avec ses forces et ses faiblesses. Et se faire attaquer par un dictateur en slip de bain, un samedi à trois heures du matin, alors qu'il était là pour rendre service et que la veille, sur le coup de 22 heures, il avait pris une branlée dans une arène MMA clandestine d'Aubervilliers, Slasher n'a pas supporté. Il a pété une durite.

    Pas une durite du car, une durite de Jeannot. Ils appellent ça la rate, à l’hôpital.

    Du coup, on est arrivé en un peu en retard aux Intercités Communistes de Villebanne, le temps de déposer Jeannot à l'hosto, de remplir les papiers et de le convaincre avec les docteurs de ne pas signer de décharge pour venir assister aux Intercités. Il n'a jamais été question qu'il porte plainte. C'est pas son genre à Jeannot. Il préférerait plutôt voter socialiste. En plus quand il a su, pour le cousin de William, il était tout con.

    On est quand même revenus des Intercités avec une paire de médailles. Faut dire que notre maître-nageur dictateur ne nous avait pas ménagé au cours des six derniers mois, on était tous au top de notre forme.

     

     

    Aujourd'hui, c'est moi le maître-nageur de la piscine municipale. C'est provisoire, Jeannot va bientôt sortir de l'hosto, et il reprendra sa place, évidemment. Le Maire a promis de donner une subvention au club pour qu'il soit embauché comme emploi-jeune. Bon c'est vrai, Jeannot a 56 ans, mais il faut parfois savoir utiliser contre la dictature administrative ses propres armes : des papiers trafiqués.

    On s'est arrangé avec les copains pour lui aménager un peu la zone technique de la piscine. Ça sent toujours assez fort le chlore, mais maintenant il aura au moins un vrai matelas en mousse et un petit réchaud gaz pour réchauffer ses boites. Il nous a dit à l'hosto qu'il ne voulait pas dépenser son futur salaire d'emploi-jeune dans un loyer. Tout l'argent qu'il va gagner, il veut l'investir dans des leçons de conduite, pour passer son permis transport en commun.

    Personne n'a encore osé lui dire que les Intercités Communistes de l'an prochain, en fait, ce seront des Mondiaux. Et qu'ils se dérouleront à Cuba.

    On cherche un volontaire pour lui annoncer la nouvelle. Si possible un pilote de ligne capable de lui expliquer avec des termes simples qu'il ne pourra pas piloter l'an prochain l'avion qui nous emmènera à La Havane. Même en prenant des cours de pilotage.  

    On cherche de préférence un pilote non syndiqué. 

     

     

     

     

     

    * Dans un souci de protection de la vie privée, les noms des villes et des intervenants ont été modifiés.

     

    « Collision de bullesLa longue queue »

  • Commentaires

    1
    Hélène Louise
    Mercredi 26 Juin 2019 à 12:06
    Je veux la suite des aventures du club piscine !
    2
    Mercredi 26 Juin 2019 à 12:20

    Nous réunirons le bureau provisoire pour voir si on peut l'envisager.

    3
    Hélène Louise
    Mercredi 26 Juin 2019 à 15:04
    Bien, je peux monter une pétition si nécessaire
    4
    Lady lama
    Lundi 15 Juillet 2019 à 18:06

    « Mais où va-t-il me disais-je? », j’ai même relu le titre et le début du texte he 

    Le Jeannot qui dort tout habillé... dort-il aussi avec ses claquettes aux pieds?

    5
    Lundi 15 Juillet 2019 à 19:04

    Certainement.

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