• Tout espoir n'est pas perdu

    Par un vilain hiver, il était une fois, dans un château miteux perdu dans les montagnes, un triste Sire : Théodoric Heunneterre, demi-Hobbit plus connu sous le pseudonyme de Rastapopoulos VIII, Roi de Rastapopoulosie Septentrionale, surnommé le "Royaume du vent et des mauvaises herbes" par les Royaumes frontaliers.

    Théodoric était un triste roi, esseulé, sans richesses, sans idées, et surtout sans espoir.

    La Reine Dee-Dee, une ravissante Fée des Buissons, s'était enfuie l'hiver précédent avec son valet de chambre, un Gobelin rieur nommé Gilbert Levert.

    Le roi n'avait plus à son service que trois domestiques : un cuisinier neurasthénique, André, une jeune et jolie femme de chambre, Nicoleta, et un chambellan aussi vieux et décrépi que le château, Gustave.

    Le royaume était minuscule, et perdait chaque années des habitants, car le manque de nourriture devenait problématique. Si trop manger peut tuer, ne pas manger aboutit au même résultat avec davantage de certitude et de célérité.

    Les rares fermiers dépendants du château l'approvisionnaient chichement en pain rassis, navets pourris et en beurre rance. C'est le plus souvent André et Gustave qui allaient faire provision de bois pour les quatorze cheminées du château. Mais les arbres se faisant rares eux aussi, le plus souvent seule la cheminée des cuisines était pourvue en branchettes pour faire cuire la soupe aux navets pourris, ingrédient principal de l'unique repas de la journée.

    Chaque soir à tour de rôle, André et Gustave tentaient de séduire Nicoleta, qui n'en demandait pas tant. C'était la seule occupation valable à des lieues à la ronde, il faut les comprendre.

    Mais Nicoleta restait imperméable à toutes les tentatives laborieuses des hommes du château, elle n'avait d'yeux que pour le Roi, qui, la tête baissée en permanence, ne la voyait jamais. Ils finissaient donc chaque soir par jouer tous les quatre aux cartes dans la cuisine, les larmes aux yeux (car la cheminée tirait mal).

     

    Vous pensez probablement que cette histoire n'est pas très gaie, vous n'avez pas tort,

    Et pourtant,

    Vous n'avez pas encore lu la suite, dans laquelle le triste Sire subit un bien triste sort.

     

     

    Par une nuit sans lune en plein cœur de l'hiver, le château prit feu. Un feu de cheminée. André le cuisinier avait oublié sur le feu la soupe aux navets pourris, et la marmite vide avait fini par s'enflammer, le navet pourri étant comme chacun sait hautement inflammable. Le château fut carbonisé jusqu'aux fondations en moins de dix minutes.

    On ne retrouva jamais aucune trace du Chambellan Gustave Émaria, et seulement un pied noirci du cuisinier André Gueux-Lasse. Seuls en réchappèrent le Roi Rastapopoulos VIII et sa femme de chambre Nicoleta Seur. Ils étaient désormais sans toit, au cœur de la nuit d'hiver la plus froide de l'année, et aucun des fermiers des environs n'accepta de les loger, sous des prétextes tous plus fallacieux les uns que les autres. (Un fermier prétendit qu'il manquait de place, un autre qu'ils sentaient trop la fumée, et un autre répondit même qu'il n'y avait personne lorsqu'ils frappèrent à sa porte.)

    En désespoir de cause, transis de froid, ils se réfugièrent tous deux sous les racines d'un Chêne centenaire. Ils y passèrent enlacés le reste de la nuit, pour se tenir chaud. Le roi fit de son corps un rempart infranchissable pour protéger Nicoleta du froid. Dans un dernier élan de générosité, il lui légua toute sa fortune, et il mourut dans ses bras, heureux pour la première fois depuis de très longs mois.

    Nicoleta survécut à cette folle nuit, et mis au monde neuf mois plus tard un petit quart-Hobbit de huit livres, qu'elle prénomma Éric.

    La moralité de cette histoire, c'est que certes, on peut vivre heureux et avoir beaucoup d'enfants, mais rien n'empêche de mourir heureux en en faisant un.

     

    Note : Le petit Éric Heunneterre fut plus connu sous le nom de Childéric Ier, le roi qui mit tout le continent occidental à feu et à sang au siècle dernier avant de le conquérir en totalité.



    Anaskri Bouillard, Archiviste Royal

    Note provisoire établie dans le cadre de l’établissement de la généalogie complète de la dynastie Childéric.

     

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  • Commentaires

    1
    Vendredi 14 Février 2014 à 11:05

    Il faut vraiment avoir un esprit retors et pernicieux pour reporter de si sinistres archives... 

    (si j'ai compris et apprécié la double morale de l'histoire, j'ai aussi deviné la devinette : le trésor du Roi était sa génétique !)

    2
    Vendredi 14 Février 2014 à 18:57

    C'est une façon élégante de nommer la chose... 

    3
    Vendredi 14 Février 2014 à 19:06

    Un trésor empoisonné en ce qui concerne le continent occidental...

    4
    Lady lama
    Samedi 15 Février 2014 à 20:27

    C'est ton conte le plus optimiste que j'ai lu, je crois (si on ne tient pas compte de la note). Après tout le roi meurt heureux et Nicoleta finit par avoir ce qu'elle voulait :-)

    Bravo, je l'ai lu d'une traite!

     

    5
    Samedi 15 Février 2014 à 21:43

    Oui, je suis désolé, ce texte est beaucoup trop gai. 

     

    6
    Dimanche 16 Février 2014 à 14:26

    Le bidet file un mauvais coton... 

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