• La fin des robots

    Je suis né entouré de robots, dans ce qui s'appelle désormais l'âge d'or de la robotique, quelques générations après la pandémie noire et le début du grand isolement.

    Ma nourrice était un robot, mon percepteur était un robot, mes camarades de jeu étaient des robots, mes instituteurs, mon coiffeur, mes docteurs étaient des robots ou des hologrammes.

    Durant toute mon enfance je n'ai vu d'autres enfants que par le truchement d'une VR. Les seuls humains que j'ai pu toucher étaient mes parents et mes frères. Mais avec la différence d'âge je préférais jouer avec mes robots, qui étaient programmés pour me me laisser gagner si je faisais suffisamment d'efforts pour les battre.

    Mon premier mot a été pour ma nourrice. Mes premiers pas n'ont eu pour seuls témoins que Charly et Oscar, deux de nos robots majordomes. Bien entendu ils ont retransmis l'évènement en direct via VR à mes parents, qui étaient au travail. Mais tout de même.

     

    Pendant toute ma formation d'ingénieur, je n'ai rencontré mes camarades étudiants que dans des espaces virtuels, dans les amphis d'abord, puis en sessions VR privées. J'ai réussi à créer des liens d'amitiés très forts avec quatre d'entre eux, au cours de nos cinq années d'études communes. Loomis était un Américain de Denver, Jen était une Canadienne de Vancouver, Thabali était un Camerounais résidant à New Dehli et Oki était un Japonais vivant à Kyoto. Nous nous retrouvions après les cours en VR, n'importe où dans le monde, dans des cafés, des clubs de nuit ou des bibliothèques, selon nos besoins. Notre endroit préféré pour travailler nos cours était une pagode sur une plage Polynésienne déserte qui était devenue au fil du temps notre lieu à nous. Aujourd'hui il m'arrive encore de m'y rendre pour travailler ou pour me laisser bercer par le son des vagues. Mes amis ne peuvent plus m'y rejoindre. Depuis la guerre, il n'y a plus de réseau commun, ni le Japon ni l'Inde n'ont accès à mes VR. Pour avoir des nouvelles d'Oki et de Thabali, il faut que je passe par l'antique technologie du mail. Loomis et Jen, eux, sont morts dans le déluge nucléaire qui a anéanti toute l'amérique du Nord il y a cinq ans, lors de l'attaque Rigelienne.

     

    Nous avons partagé tant de choses ensemble ! Nous avons vécu ensemble l'arrivée de la sonde Hawking III sur Proxima 7 en VR. La découverte des animaux incroyables de cette planète a été un vrai choc, même si les experts étaient quasiment certains depuis très longtemps que cette planète abritait la vie. Mais voir en direct un Bélophon de 70 mètres de long surgir de la surface de l'océan pour avaler des poissons volants de la taille d'un autoglisseur, c'est tout de même autre chose. C'était la première vie organique multicellulaire découverte hors du système solaire ! Bon en direct avec le décalage des 4,2 années de transmission du signal radio, certes, mais en direct quand même.

    Avant la VR, avant la quarantaine, lorsqu'un événement important se produisait on se souvenait du lieu dans lequel on se trouvait à ce moment précis. Aujourd'hui, nous nous trouvons toujours dans le même lieu, chez nous. On se souvient désormais avec qui on à vécu des moments importants. Mes parents m'en ont d'ailleurs beaucoup voulu, à l'époque, d'avoir vécu ce moment historique avec mes amis plutôt qu'avec eux.

     

    Aujourd'hui nous vivons sans robots. Depuis que les Rigeliens ont pris le contrôle de nos robots en nous envoyant un méta-virus avec leur signal laser et qu'il ont failli détruire l'humanité, nous avons perdu confiance dans cette technologie. Certains fabricants tentent bien de nous convaincre de la totale sécurité de leurs nouveaux modèles, ça ne prend pas. Lorsque vous avez vu votre nourrice écarteler un de vos frères, faire à nouveau confiance à un androïde, c'est compliqué. Après que nous soyons parvenus à détruire tous les robots hackés par les Rigeliens et reprendre le contrôle de nos réseaux, il a fallu détruire tous les robots qui n'avaient pas agi contre les humains, mais qui pouvaient abriter des virus Rigeliens dormants. J'ai démantelé moi même Oscar, Charly et tous mes anciens camarades de jeu, que le virus Rigélien n'avait pas trouvé assez dangereux pour daigner en prendre le contrôle.

    La décision gouvernementale d'autoriser le remplacement les robots par des clones serviteurs n'a pas reçu l'aval d'une bonne partie de la population. Mes parents refusent d'utiliser des humains pour remplacer nos robots. Du coup, mon frère restant et moi avons du apprendre à faire des choses inimaginables, comme nettoyer les sols, cuisiner, laver le linge, réparer les choses cassées. Ça n'a pas été facile au début, mais on s'y fait.

     

    Selon les estimations des experts, les forces robotisées Rigeliennes devraient atteindre notre système solaire d'ici quarante à soixante ans, compte tenu de la distance entre nos deux étoiles et des informations recueillies par la sonde Hawking IX sur leurs technologies. Nous avons largement le temps de bâtir une armée de clones soldats pour les combattre, à conditions qu'ils ne prennent pas la décision de nous anéantir depuis l'espace. Pour pallier cette éventualité, nous construisons une flotte de vaisseaux d'interception furtifs, qui auront pour mission d'intercepter les vaisseaux Rigeliens à leur arrivée dans le système solaire. C'est mon travail, je suis ingénieur dans la société qui conçoit les vaisseaux, je suis spécialisé dans la furtivité spatiale. J'espère que je serai encore là pour voir les Rigeliens arriver, je pourrai ainsi voir les vaisseaux dotés de la technologie furtive Jen-Loomis les annihiler. 

    Mais fort heureusement, je ne serai plus là pour voir notre flotte d'attaque atteindre Rigel, dans 223 ans. Il y a des choses que je préfère éviter de voir, même en VR. 

     

    « Message d'espoir à tous les petits gros bigleux qui puent des pieds.Honte de Noël »

  • Commentaires

    1
    Jeudi 29 Novembre 2018 à 17:04
    Une vie bien remplie, mais qui ne fait pas tout à fait rêver...
    2
    Jeudi 29 Novembre 2018 à 18:42

    C'est un roman qui postule pour le prix Con-court.

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