• On s'éclate à Antonius

    On s'éclate à Antonius.

    Une histoire avec des soldats, des méchants aliens et des bières.

     

    *

    Enfin libre

     

    QHS 7 - ATC TERRE

    Lundi 22/08/2195 8h35 GMT

    Après 3 ans, 5 mois, 12 jours, 14 heures et 15 minutes dans ce sympathique établissement de rééducation pour militaires, je sors. Je suis réhabilité, niveau III grade turquoise. Toutes les charges qui pesaient contre moi sont abandonnées. J’ai en poche ma convocation au QG pour réaffectation immédiate.

     

    Le Questeur au profil de fouine qui m’a annoncé la nouvelle a été très laconique :

    « - Le Tribunal Militaire a abandonné les charges de meurtre vous concernant. Vous êtes réhabilité à votre ancien niveau, et à titre de dédommagement pour ces trois années et quelques de rééducation, votre avancement au grade turquoise est anticipé de deux tours. Vous vous présenterez au QG 7 pour réaffectation à 14h00 GMT.».

    Le « et quelques » est mal passé, je dois dire…

    Le « et quelques » passé à l’isolement dans 8 mètres carrés, sans aucun accès au monde extérieur, ni holo, ni livre (à part les ouvrages de rééducation), c’est long… Mais je dois reconnaître que ce séjour n’a pas été totalement inutile. Il y a 3 ans « et quelques » le petit menton fuyant du questeur serait violemment entré en contact avec le plexiglas de la table. Aujourd’hui, je me suis contenté de le mettre sur ma liste. Il arrive dessus en 4ème position, derrière mon ex-Capitaine, mon ex-Femme, et mon ex-Avocat. J’ai donc calmement pris mon ordre de mission, je me suis levé et je suis allé directement à l’économat, récupérer un uniforme propre en échange de ma tenue de bagnard. Ouais, une vraie tenue de bagnard avec des rayures. On a le sens de l'humour dans l'Infanterie. J’ai découvert au passage à quoi ressemblait le centre de rééducation, dont je n'avais jusqu'à présent pas vu grand chose, ainsi que le personnel de l’établissement, que je n’avais jamais rencontré. Je n'ai pas de regrets. Le bâtiment, comme tout bâtiment administratif du GUNU (le Gouvernement Unifié des Nations Unies) est propre mais gris, et le personnel est aussi chaleureux qu’un pot de yaourt nature. Sans sucre.

    Une fois dehors, la moiteur, les couleurs bariolées et les odeurs des rues de Bombay m’ont rendu un peu nerveux. Je ne savais même pas que j'étais en Inde, faut dire. J’ai pensé mettre le monde dans son ensemble sur ma liste afin de me calmer les nerfs, mais passés quelques instants j’y renonçais : trop de boulot. 15h00 heure locale, 11h30 GMT. J'avais le temps d'aller boire un coup, ou de déserter. J'ai préféré aller boire un coup.

    Je suis monté dans le premier auto taxi que j’ai trouvé de libre et me suis directement rendu au bar le plus proche. A peine le seuil franchi, j’ai commandé un litre de bière et une cabine holo pour célibataire. Une fois le contact repris avec la civilisation, je me suis connecté au réseau pour la première fois en trois ans « et quelques ». J'ai aussitôt demandé à Holly-Molly, notre mère à tous, de me faire un résumé des évènements entre le jour de mon incarcération pour meurtre (que je n'ai pas commis) et aujourd’hui.

     

    Je n'ai pas été déçu. Le résumé durait 45 minutes, j’ai zappé les faits divers, les infos people, la vie religieuse, l’art moderne conceptuel, la montée des eaux (la météo, en fait), les concours canins, les nouveautés musicales et les prix culturels. Je me suis concentré sur les sports, les nouvelles principales, la politique, la guerre et les sciences.

    Les sports : Les Razors ont fini deux fois dernier du championnat et ils ont fait faillite l’année dernière.

    Les nouvelles principales : les terroristes sont toujours aussi cons. Ils ont réussi à dissoudre un pied de la tour Eiffel avec un camion citerne rempli d'acide. La tour n'est pas tombée, et elle a été réparée. Par contre ils ont réussi à faire tomber la tour de Pise. En tout cas c'est la théorie du gouvernement Italien.

    La politique : Le chancelier Nivari a été réélu l’an dernier pour la huitième fois. Ses trois opposants les plus virulents sont morts dans les six mois ayant précédé l'élection. De cause naturelle, bien entendu.

    La guerre : on a reculé sur tous les fronts, on a perdu New-Vukovar et OldBeatle. Et ce sont les nouvelles officielles, ce qui veut dire que la situation réelle est encore pire.

    Les sciences : on a enfin réussi à copier les moteurs des Andromèdiens, mais les recherches sur leurs armes à énergie sont interrompues depuis l'explosion du centre de recherche Yvana Trump de Mars City. Le centre a été entièrement détruit par l'explosion, tout comme ses 386 chercheurs et son petit personnel, à savoir les gars et les filles dans mon genre.

    Que du lourd, en somme, ça m'a mis le moral dans les chaussettes pendant au moins trois minutes. J'ai hésité à demander ma réintégration en QHS, mais au lieu de ça j'ai recommandé un litre de bière au patron du bar (un enturbanné au regard de serial killer) et je me rabattu sur l’art moderne. Sauvé : la baudruche en forme de spermatozoïde remplie d'excréments humains de Tchang McAllister a eu un franc succès lors de son explosion (volontaire) lors de l'inauguration de la biennale de Venise de l'an dernier. C'est vrai que c'était spectaculaire.

     

    A 17h00, heure locale, j’ai pris un anti-A pour me dessoûler, payé le tavernier sans omettre de l’ajouter en 5èmeposition sur ma liste en raison des tarifs prohibitifs pratiqués par son établissement, puis direction le QG, toujours en auto taxi, qui ont au moins pour eux l’avantage d’être gratuits. 

    Au QG 7, rempli de jeunes gens pistonnés au physique avantageux, je suis passé par tous les services : IDentification pour la mise à jour de mon ID (qui suis-je), TRESorerie pour mes arriérés de solde (ça peut servir pour payer les notes de bar), EVALuation pour une batterie de tests psycho (bon pour le service actif, tendance psychotique acceptable pour un militaire), MEDécine pour un bilan complet (bon pour le service actif) et enfin EFFectif (où vais-je).

    J’ai été reçu par un très charmant vieux fils de pute, niveau V coquelicot, avec CDT HARDI marqué sur sa bande patro. Cet empaffé m’a expédié direct au front sur Antonius. « Le prochain départ c'est ce soir à 23h00, vous avez juste temps de prendre les correspondances pour le centre. Bonne route Sergent. Et évitez les embrouilles. » . Et allez ! N°6 sur ma liste... Je m'en fous, j'ai de la place, je peux y mettre autant de gens que je veux.

    Cet empaffé m'a donné mon ordre de mission avec un grand sourire. Dessus, on peut lire :

     

    QG 7-ATC TERRE / COMSUP ANTONIUS

    ID XC45BP55 : Sgt DASGHEN Léo. Niv III Turquoise INF-TDC Spécialité : CC-INF (pour les non initiés à l'art militaire de l'acronyme : Arme Infanterie - Troupes de choc ; Spécialité Combat/Combat-Infiltration)

    AFF : ANTONIUS / 18 C/INF (Antonius 18èmeCorps d’Infanterie)

    DEP : KOUROU 23h00 GMT le 22/8/95 – Avenger C145QQM

     

    En route pour les étoiles qu’ils disaient ! Engagez vous qu’ils disaient ! Rengagez vous qu’ils disaient !

     

    Bah, il faut bien vivre. Et quitte à mourir un jour, autant mourir pour sa planète… en gagnant des sous au passage si possible.

    Il était 16h30 GMT (20h00 heure locale) quand je suis sorti du QG, ce qui me laissait 6h30 pour rejoindre Kourou et embarquer. Fastoche.

    D’abord la navette Bombay-Paris de 17h55 GMT. puis l’express Paris-Kourou de 19h45 GMT. Arrivée au centre spatial de Kourou à 21h15 GMT. Embarquement. Décollage à 23h00 GMT. Arrivée à Antonius prévue le 13/09/95 (heure locale inconnue). Si Antonius est toujours là le 13/09/95. Y parait qu’il y a assez de carburant pour revenir, au cas où…

     

    **

    En vol vers Antonius

     

    Soit disant sur le front, Antonius est en fait le prochain objectif présumé de nos bons amis les Andromédiens. C’est du moins ce que m’affirment mes camarades de bord, les Sgt Lescoffier, Nadri et Bishop. Nous avons eu vite fait de nous regrouper entre « soudeurs », c'est-à-dire entre Sous Off des troupes de choc, spécialité Combat. C’est Nadri qui a les infos, il était affecté avant au QG -5, et il a donc pu nous faire un topo complet de la situation.

    « La technique des Mantes est assez simple lorsqu’elles arrivent sur une colonie : elles détruisent tout ce qui est sur orbite : satellites, vaisseaux, plateformes de combat. Elles n’oublient pas non plus de nettoyer les lunes si il y en a. Après ça, elles bombardent les objectifs stratégiques en surface et elles débarquent pour finir le travail en détail. Technologiquement, les Andromédiens sont encore intouchables, dans l’espace, il n’y a aucun espoir de les battre. Le QG a donc changé sa stratégie. D'après les grosses têtes du QG, Antonius est la prochaine colonie qui sera attaquée. Ils ont déjà fait évacuer toute la population civile et mis à l'abri tout ce qui pouvait l'être. La nouvelle stratégie, c'est la guerre d’usure : sabotage, actions commandos des troupes de choc disséminées au sol en grande quantités, bien camouflées. L’objectif est simple : créer un point de fixation pour le gros de leur flotte et les retenir les plus longtemps possible en attendant d’être en mesure de les prendre à revers.

    Au QG, un petit malin a voulu appeler l’opération Isaac, mais comme ils ne sont pas sûrs de pouvoir nous venir en aide avant qu’on soit tous zigouillés, l’idée a été abandonnée. L'opération s’appelle « Résistance ».

    • Et qu’as tu fais comme connerie, pour te joindre à nous ? lui demande Bishop

    • Moi rien, ma femme se tape juste un officier du QG-5… répond Nadri dans un silence gêné, à peine troublé par le passage d'un ange à cornes.

    • En résumé, reprit-il, on va nous larguer au casse pipe et nous laisser nous démerder. Dans les soutes de l’Avenger qui nous convoie vers notre destination, il y a 15000 tonnes de munitions, d’armes lourdes, de missiles sol-air, sol-sol, de mines antichars, de mortiers, d’explosifs, de détonateurs, de grenades et de bombes. Il y a déjà 186 000 combattants sur place. L’Avenger est un vaisseau cargo. Nous ne sommes que 420 de plus, les fonds de tiroir de l'Infanterie, à rejoindre les agneaux sacrificiels déjà en place. »

     

    ***

    Une affectation de rêve

     

     

    J’ai passé les trois semaines suivantes au bar du mess des Sous-Off, la plupart du temps bourré comme un coing. De toute façon, il n'y a pas de hublot dans les Avengers, et quitte à se faire étriper par des humanoïdes de trois mètres de haut à tête de mante religieuse, autant saccager le matériel. On va quand même pas leur donner du matos de première bourre à charcuter. Les autres soudeurs, qui comme moi ont plusieurs années de combat actif derrière eux, sont sur la même longueur d’onde. Particulièrement le sergent Lescoffier, avec qui j’ai largement sympathisé. Je n’ai jamais pu résister aux grandes brunes au visage chevalin et aux formes généreuses. Chez moi, on appelle ça des demi-culardes. Le soir ou je lui ai dit, je crois bien qu’elle a du me casser deux ou trois côtes. C’est costaud, les demi-culardes. J’aurais deux mots à dire au con qui a inventé les Rangers pointues pour les sous-off féminins.

    L’inventeur de l’anti-A lui, était loin d’être un con. Je sais pas comment faisaient les anciens Sergents, ceux d’avant le 22ème siècle, pour remuer leur tas de merde avec un fer à repasser entre les deux oreilles.

    À peine débarqué sur cette planète très montagneuse, aux océans immenses, riche en végétation bizarre, j'ai eu le sentiment qu'on était dans la panade. Il faut dire que je me suis retrouvé avec la pire affectation de toute ma carrière, qui avait pourtant déjà connu des bas mémorables.

    Le 18èmecorps d’Infanterie, je connais, j’ai fait toute ma carrière dans la Bleue. Mais l’affectation dans la 131èmeBatterie tactique, je digère pas. Moi, un vétéran des troupes de chocs, affecté au gardiennage de l’artillerie, celle là même dont tout le monde connaît la totale inefficacité contre les vaisseaux des Mantes, ça m’a coupé le sifflet. Mais le meilleur restait à venir. Le petit Lieutenant IV Mandarine qui m’a reçu pour mon affectation est passé extrêmement prêt de l’acquisition d’un dentier réglementaire en plastacier lorsqu’il m’a déblatéré son message d’accueil :

    « Bienvenue à la maison, Sergent, j’espère que vous avez fait bon voyage. Compte tenu de votre petit arrêt d’activité, le bureau des EFFectifs vous a affecté à un poste cool pour reprendre le collier. 131èmeBatterie Tactique, 42èmesection. C’est une de nos sections fantômes réactivées spécialement à l’occasion de l’opération « Résistance ». On ne va pas se faire saccager du matériel inutilement. Votre rôle sera de lancer des feux d’artifices lors de l’arrivée des Andromédiens et de vous enterrer dès que vous verrez leurs mandibules. C’est du gâteau. Vous prendrez vos ordres opérationnels auprès du Major IV Violet Trish, qui dirige la 131ème batterie. Euh, vous ferez gaffe, les hommes que l’on vous a affectés, c’est vraiment les fonds de tiroir. La moitié sort de l’infirmerie, le reste du mitard ou de la section D.  Mais vu vos états de service et vos antécédents, je suis sur que vous vous en sortirez très bien. »

     

    Quand je suis sorti du bureau, mon alarme a sonné pour m’indiquer que ma tension était montée à 20/16, et qu'il fallait que j'aille consulter. J'ai changé les réglages de l'alarme. J’ai le sang chaud. Trop peut être. Mais je regrette d’avoir pissé dans le casque de ce petit merdeux. J’aurais du chier dedans. En tout cas, il est désormais n°9 sur ma liste. (Oui, j'ai omis mes rencontres avec quelques Officiers de la Spatiale pendant le voyage. Y'a pas plus morveux qu'un Officier de la Spatiale.)

    Faut voir l’état de la 42èmesection. J’en ai hérité avec Bishop, qui est mon nouveau binôme. Un bon gars. On était ensemble sur Mandela, dans des unités différentes. Nous étions à l’époque tous les deux en brigade d’infiltration. Moi dans la 8èmeet lui dans la 14ème. L’élite de l’élite. Cela ne nous a pas empêché de nous faire botter le cul comme des garnements en train de pisser dans le bac à sable. A l’époque la 8ème est partie à l’assaut d’une base de Mantes au deuxième jour de l’invasion. Partis à 120 hommes, triés sur le volet, nous revînmes à 15, le feu au cul et la queue entre les jambes pour ceux qui en avaient encore une. De bon augure pour Antonius et son opération « revanche ».

    Ma douce Charolaise Lescoffier et notre compère Nadri sont affectés tous les deux sur une autre section de la 131ème Batterie Tactique, la 53ème.  Toutes les batteries fantômes sont sous les ordres du Major IV Violet Trish, une aristo bien gaulée à condition d'aimer les fils de fer, mais une pourriture de niveau triple six, comme tout bon bon Major qui se respecte. Elle a dû repousser les avances du Vieux pour se retrouver affectée à la 131ème, et elle a l’intention de nous le faire payer. Toujours la même histoire. 

    À qui croyez vous que je fasse payer la note à mon tour ? À mes chers troufions, bien sûr… on appelle ça la chaîne de commandement. Lorsque le Général tousse, le troufion en bout de chaîne reçoit un gros seau de glaviots sur la tronche.

    Ah, ma section ! Quel bonheur : 38 hommes de troupe, pas un soldat, que des erreurs.

    Voilà ce que je peux appeler le pire ramassis de bras cassés de toute ma carrière : des boiteux, des dingos, des junkies, des gros lards, des vicelards, des psychos, des bigleux, une paire d’assassins et de violeurs. La crème de la crème. J’adore ça !

    On est peut être dans une section fantôme, au sein d’une Batterie Tactique dont le seul fait d’armes des 100 dernières années est la victoire du tournoi de foot du 18ème Corps en 2098, on fait toujours partie de la Bleue, et ces lopettes ont donc appris à creuser. C’est toujours ça de gagné pour quand ils se seront fait ouvrir le bide par les Mantes. Moi et Bishop, on les a repris en main, 18 h par jour, 7 jours sur 7. On a eu que deux morts. Un boiteux / gros lard (arrêt du cœur) et un assassin / violeur (coup de pelle). Pour le premier c’est un accident. Défaut coronarien non détecté à l’inspection médicale. Une grosse perte, mais uniquement si on compte au poids. Pour le second, et bien… ça ressemble vachement bien à un accident. C’en est sûrement un. De toute façon, tout le monde s’en fout, sauf les 4 filles de la section qui depuis « l’accident » ont un sourire énorme qui leur barre le visage d’une oreille à l’autre. J’ai toujours été extrêmement maladroit avec une pelle. C’est génétique, parait-il. Le joli major Trish m’a bien passé un savon, mais j'ai bien senti que le cœur n’y était pas. C’était juste pour le principe. Un truc du genre :

    • Putain Dasghen, vous pourriez peut être attendre l’arrivée des Mantes avant d’annihiler votre section.

    • Ouais, ben vu la qualité des pertes, je vous garantie que ce sont des gains déguisés.

    • Faites pas le malin Dasghen, c’est pas parce que vous faites du bon boulot avec cette bande d’empotés que vous devez me manquer de respect.

    • Non, Madame.

    Regard Glacial du Major.

    • Bon, le plan d’évacuation que doit nous faire parvenir le QG n’est toujours pas tombé. Organisez la répartition des munitions et des armes du dépôt C avec les sections 28, 47, 53 et 70. Chaque section doit creuser sa propre planque aux abords de la ville. Ne communiquez son emplacement à personne, sauf à moi et aux autres chefs de section. J’espère pouvoir vous donner votre ordre de mission définitif dans quelques jours, mais d’après mes contacts au QG, nous resterons en ville plus longtemps que prévu. N’oubliez pas que dès qu’on verra le bout des antennes des Mantes, vous lancerez tous vos leurres à votre initiative, vu que toutes les sections seront en silence radio. 

    • On va rester en ville, Major ? On va se faire griller comme des sauterelles en moins de deux jours.

    • Ça ne fait aucun doute Sergent. Mais vous ferez en sorte de tenir un peu plus longtemps, j’espère. Essayez trois jours. Et essayez de vous faire griller comme des cafards, c'est plus résistant que les sauterelles. 

       

    Je ne m'étais pas trompé : beau cul, beule gueule, mais pas commode.

     

    ****

    Les tas des lieux

     

    Antonius Ville, zone de résistance. Autant faire boire de la limonade à un Adjudant. Plan nul.

    Au moindre signe de résistance, les Mantes vont raser les 114 kilomètres carrés de cette splendide cité coloniale. On n’a jamais su si ils engageaient les pourparlers après, il n’y a jamais eu personne pour en discuter.

    J’étais quand même un peu étonné que le Vieux signe des plans de bataille aussi débiles. Il m’avait habitué à mieux. Bah, il a du prendre un coup, lui aussi, lorsqu’il a été affecté sur le sol d’une planète indéfendable et sans espoir réel d’évacuation.

    Bon, après trois semaines d’entraînement intensif et autant de saoulerie méticuleuse au bar du mess des sous off, je me suis quand même décidé à jeter un coup d’œil à la ville. C’est bizarre une ville de 2 millions d’habitants vidée de ses occupants. D’un autre côté, en 20 années de carrière, je n’avais jamais été aussi bien logé. Chez l’habitant, il n’y a rien de tel. Bon la bouffe est dégueulasse, par contre. Mais il parait qu’on aura droit au plat du condamné à mort dès que les Trans auront la signature des Mantes qui apparaîtra sur leurs écrans de contrôle. La ville est comme toutes les villes coloniales : de grandes artères Nord-Sud entrecroisées de plus petites rues Est-Ouest. Les rues séparent la ville en pâtés d’immeubles d’approximativement 400 mètres sur 200 avec de grandes cours intérieures, souvent transformées en parcs arborés. Compte tenu de la largeur des artères, et de la guérilla programmée dans cette belle cité, le Génie a déjà fait sauter quelques centaines d’immeubles, en s’arrangeant pour qu’ils tombent sur les artères et gênent la perspective des troupes au sol, c'est-à-dire nous, car je vois mal les mantes venir nous chercher au sol alors qu’elles auront le total contrôle du domaine aérien. Y'a pas plus con qu'un Officier du Génie. Le seul point positif, c’est la forte luminosité de l’environnement diurne, grâce à un soleil plus brillant que celui de la Terre, et sa bonne luminosité nocturne, grâce à une ribambelle de lunes que je ne suis jamais parvenu à dénombrer.

    Nos têtes pensantes ont réussi à analyser, au vu des quelques rares incursions (temporaires) dans des bâtiments ennemis, que les Mantes vivaient dans des environnements peu lumineux. Ce qui explique que la majeure partie de leurs attaques répertoriées se soient toujours faites de nuit.

    Comme d’habitude, au mess, l’info circule. C’est comme ça que j’ai appris que la 131ème Batterie Tactique et ses consœurs officiant dans les autres cités d’Antonius étaient les seuls éléments du 18ème Corps en activité à la surface de la planète. Toutes les autres unités, les Troupes de Chocs, les Commandos, les Services médicaux, la Fameuse Intendance de l’Infanterie (Fatalement Ignoble et Immangeable), le Génie-qui-porte-si-mal-son-nom, les Trans, tout ce petit monde était déjà enterré bien profondément dans des abris, qu'ils espéraient indétectables.

    Nous étions les chèvres, et nous allions bientôt nous faire bouffer. J'avais même un troufion qui s'appelait Seguin dans ma section. Y'a rien à dire, c'est bien organisé, l'armée.

    J'avais beau avoir été innocenté d'un crime que je n'avais pas commis, j'allais y passer quand même. Chienne de vie.

     

    *****

    Septième jour de combat.

     

    Sur mes 36 troufions, il m'en reste 9. Probablement les meilleurs selon la loi de la sélection naturelle, mais ses critères de sélection m'échappent. Ceci dit, la gestion des effectifs s'en trouve simplifiée, c'est un plus. J'ai jamais aimé le 1ère classe (II Rouge) Wiznyowski, je l'ai mis de corvée de chiottes à vie. Je le soupçonne cependant de commencer à y prendre du plaisir, mais je doute qu'il puisse en profiter longtemps.

    Bishop et dix autres de nos hommes ne sont jamais rentrés d'une sortie dans la journée du deuxième jour. J'espère qu'ils ont pu planquer leurs miches quelque part, mais j'ai comme un doute. Au combat rapproché, les mantes sont très difficiles à dézinguer. Leur armure arrête presque tous nos projectiles, lasers et autres rayons, seules nos armes lourdes et nos explosifs en viennent à bout. La plupart des autres pertes sont liées à une rencontre nocturne avec une escouade de Mantes. J'y étais. Avant même d'avoir pu commencer à échanger les salutations d'usage, les mantes nous ont bondi dessus et ont commencé le carnage. Seuls trois d'entre nous sommes parvenus à nous carapater, avec la maigre consolation d'avoir envoyé ad-pâtres la plupart de celles qui nous poursuivaient en les ensevelissant sous quelques tonnes de béton. J'ai toujours adoré les pièges et les explosifs.

    J'espère que Lescoffier n'a pas subi le sort d'un de mes soldats, coupé en deux par une Mante au niveau de la taille. Parce que si ça arrive je veux pouvoir le voir de mes yeux. Ce n'est pas tous les jours qu'on peut voir un Quart de cularde. Bon, j'ai pu lui raconter ma blague en me faufilant dans le camp de la 53ème section, une nuit. Elle ne m'a pas cassé de côtes cette fois ci, j'avais prévu le coup et je lui ai raconté ma blague dans ma tenue de combat en adamantium.  La 53ème section a fait mieux que la mienne : ils sont encore une bonne douzaine en état de combattre.

    Trêve de plaisanterie, notre mission est accomplie. Nous avons déclenché tous nos feux d'artifice et nous sommes désormais enterrés dans nos trous la nuit. Comme prévu les mantes ont bombardé la ville au premier signe de résistance. Et toutes les nuits, elles débarquent au sol pour finir le boulot. Et elles ne détectent pas tous les pièges que nous leur tendons au cours de la journée. On est en train de les rendre complètement dingos. C'était peut être l'objectif, mais je ne suis pas certain que ce soit une bonne nouvelle pour mes gars et moi. 

    Normalement nous aurions du recevoir les ordres pour décrocher, mais nous n'avons toujours rien reçu du Major (IV Violet) Trish. C'est bien dans son genre de faire du zèle.

     

    « - Bon les petits gars, dis-je à la cantonade après avoir allumé les lampes à sodium de notre dortoir de fortune, cette nuit on programme le stock de mines antipersonnel et demain matin on va les poser. Vous me réglez ça sur 150 kg »

    A ce seuil de déclenchement, inutile de signaler les emplacements des champs de mines aux autres sections, même Lescoffier ne pourrait pas en faire exploser une, même en sautant dessus à pieds joints. Quoique.

      • Contrordre : mettez plutôt 200 kg »

    Le reliquat de ma section se lève péniblement de ses couchettes pour rejoindre la zone de préparation où une dizaine de caisses les attendent. Quatre heures de sommeil par nuit sont suffisantes pour un soldat bien entrainé. A la guerre comme à la guerre. Et en plus j'ai réussi à mettre la main par miracle sur la réserve de bière de la 47ème section, qui a été anéantie le jour du débarquement ennemi.

    Si je veux commencer à entamer ma liste personnelle un jour, je dois survivre. Ce n'est pas un troupeau d'insectes aussi laids qui retiendra mon bras vengeur. Enfin, j'espère...

     

    ******

     

     

    Le journal du Sergent Dasghen s'arrête à cet endroit. J'ai eu la chance de le trouver sur sa tablette, cachée dans un recoin de l'abri souterrain de la 42ème section. La section du Génie qui avait fouillé l'abri avant le passage des journalistes va certainement avoir des problèmes...

    J'ai choisi de vous faire partager ce document in-extenso, malgré quelques passages un peu crus. 

    Le lendemain de la dernière entrée dans son journal, la section du Sergent Dasghen est tombée dans un piège des Mantes, en pleine journée. Selon le témoignage du seul survivant de sa section, il n'aurait pas été tué, mais mis hors de combat et emporté par les Mantes dans un de leurs glisseurs. D'après ce témoin, il aurait éliminé une douzaine d'entre elles à lui tout seul, après avoir eu l'idée de faire un ball-trap avec des mines antipersonnel en guise de pigeons d'argile. 

    Quarante trois jours après l'invasion d'Antonius, alors que la résistance avait infligé de lourdes pertes aux Mantes mais qu'elles étaient sur le point d'écraser les derniers survivants du 18ème Corps, elles se sont retirées du champ de bataille. Quelques heures plus tard, leurs derniers vaisseaux quittaient le système d'Antonius. Depuis, aucune colonie humaine n'a été attaquée. On ignore pour quelle raison elles ont mis fin aux hostilités.

    Le corps du Sergent Dasghen n'a jamais été retrouvé. Il est peut être encore en vie, quelque part dans la sphère d'influence des Mantes. Il est déclaré « disparu au combat ». 

     

    Son nom figure sur le monument commémoratif d'Antonius Ville, avec celui de ses 142 984 compagnons d'arme tombés au combat. 

     

    Lon Gustavio, Reporter de guerre, pour Paris-News-Week End

    Antonius Ville, 11/12/2196

    « Les métiers méconnus des Neuf Royaumes - 2Avoir les crocs »

  • Commentaires

    1
    Hélène Louise
    Dimanche 28 Juillet 2019 à 16:35

    Superbe nouvelle, j'ai adoré le ton - mais la chute est un peu frustrante... j'espère qu'une suite est prévue *smiley vaguement menaçant*

    2
    Dimanche 28 Juillet 2019 à 19:01

    C'est une vieille nouvelle qui est le début d'un roman inachevé. Je l'ai beaucoup retravaillée ces jours ci, je ne pouvais pas la publier en l'état, trop de choses me déplaisaient dedans. Je croyais d'ailleurs que tu l'avais lue. 

    Une suite n'est pas exclue. 

    3
    Hélène Louise
    Mardi 30 Juillet 2019 à 11:28
    Ah non c'est une première pour moi !
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