• Le grand plongeon

     

    Mickaël Niniaud avait le sentiment d'être arrivé au bout de sa vie. 

    À 54 ans, ce chef d'entreprise, qui avait dédié sa vie à son commerce de piscines en kit pendant plus de trente années, était au bout du rouleau.

    Pendant longtemps, sa vie avait été un tourbillon. Les affaires étaient florissantes, c'était l'époque où tout le monde voulait installer une piscine dans son pavillon.

    Mais après une quinzaine d'années d'un succès foudroyant, les problèmes avaient commencé : la qualité de ses piscines, qu'il avait garanties vingt cinq ans, n'était pas suffisante pour résister aux outrages du temps. Il avait donc dû commencer à remplacer les piscines fendues par le gel, puis celles qui s'étaient affaissées sur elles même, parfois avec des nageurs malchanceux dedans. Les procès s'étaient enchainés, et les ennuis avec.

    Les dernières années avaient été très difficiles : les installations de piscines neuves avaient progressivement diminué alors que le nombre de remplacements aux frais de sa société avait explosé. Depuis sept ou huit ans, Mickaël Niniaud avait des bilans dans le rouge. Il avait perdu tout ce qu'il avait gagné précédemment, et ça s'était terminé par une faillite infamante, quelques mois plus tôt.

    On parle souvent du calme après la tempête, comme si c'était une chose agréable. Mais pour Mickaël Niniaud, le calme après la tempête fut ravageur.

    Sa femme était partie depuis déjà quelques années, quand l'argent avait commencé à se faire rare. Son fils ne lui avait plus adressé la parole depuis qu'il avait cessé de financer ses études. Ses amis s'étaient progressivement éloignés, et il n'avait rien fait pour les retenir. Lorsque la tempête prit fin, Mickaël Niniaud se retrouva seul dans sa grande maison, sans amis, sans famille, et sans aucun but dans la vie.

    Le calme après la tempête, pour Mickaël Niniaud, c'était l'enfer.

     

    Comme sa responsabilité avait été engagée dans le cadre de la liquidation de son entreprise, un tribunal avait récemment prononcé sa faillite personnelle. Ses derniers biens, dont la maison dont il avait naguère été si fier, allaient être saisis et vendus aux enchères, pour rembourser une partie des dettes abyssales de son ancienne société.

    Le matin du 25 Décembre, jour de Noël, de loin la fête la plus pénible à vivre pour une personne seule et déprimée, Mickaël Niniaud décida d'en finir.

    Il prit sa voiture, qui par miracle n'avait pas encore été saisie, et se rendit à quelques kilomètres de son domicile, là où serpentait la plus grosse rivière du département.

    La noyade lui semblait le moyen le plus approprié d'en finir. Il l'aurait bien fait chez lui, mais il n'avait jamais trouvé le temps d'installer une piscine dans sa belle propriété. De toute façon, il ne savait pas nager.

     

    Il se gara le long d'un chemin de terre et se rendit à pied sur une petite zone de pêche aménagée qui surplombait la rivière.

    Il était neuf heures, le temps était gris. En ce jour de liesse, au cours duquel toute la population ouvrait ses cadeaux, il n'y avait évidemment pas un chat à l'horizon. Le petit ponton, aménagé pour la pêche au brochet par quelques passionnés du coin, était désert.

    Mickaël s'était habillé sans réfléchir avant de prendre la route : il portait un bas de jogging gris, un anorak vert recouvrait son pull le plus chaud, mais il était en chaussons.

    Arrivé au bord du ponton, il se rendit compte avec stupéfaction que la rivière était à sec, de façon totalement incompréhensible. La veille encore, il avait constaté de ses yeux la présence des eaux tumultueuses, gonflées des précipitations des dernières semaines. On ne parlait que des risques d'inondations, dans la presse locale.

    Mais Mickaël ne rêvait pas : quelques rares flaques d'eaux surnageaient dans une rivière de boue, en compagnie d'objets plus ou moins reconnaissables, qui allaient du vieux pneu à la carcasse de vélomoteur, en passant par une quantité astronomique de bidons en plastiques. Il y avait également quelques reflets argentés, ici et là, de poissons de toutes les tailles en train de s’asphyxier.

    Incrédule, après quelques minutes de sidération face à ce spectacle macabre, Mickaël Niniaud regagna son véhicule.

    Une fois installé derrière le volant, il mit le contact et alluma la radio. Des flashs spéciaux occupaient toutes les antennes nationales : apparement, le phénomène était mondial. Sur toute la surface du globe, les rivières, les fleuves et les lacs s'étaient asséchés pendant la nuit. Le niveau des mers avait baissé sur toute la planète de plusieurs centaines de mètres. Sur France Inter, un habitant de La Rochelle, qui avait un appartement avec vue sur la mer, témoignait de la disparition de l'océan Atlantique, remplacé par une mer de sable.

     

    Mickaël Niniaud poussa un gros soupir. Les éléments se liguaient contre lui. 

    La noyade n'était plus une option. 

    Son projet venait de tomber à l'eau.

     

     

     

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