• Comment j'ai sauvé la planète, ou presque

    Il y a quelques années, un matin de Janvier, je me suis levé avec l'idée de sauver la planète. Dehors, il faisait douze degrés, avant même que le Soleil ne daigne montrer le bout d'un rayon.  

    À cette époque, déjà, il y avait un consensus généralisé selon lequel "la planète était foutue". 

    La veille au soir, j'avais vu un reportage sur les incendies en Australie. On parlait de milliards d'animaux carbonisés, et d'une trentaine d'humains morts. Comme si les humains n'étaient pas des animaux eux mêmes. Mais il est admis que les humains sont des animaux plus importants que les autres. À part pour quelques débiles, fruits d'une époque dans laquelle n'importe quel groupe constitué de bric et de broc sur les réseaux sociaux peut prendre la parole et être entendu.

     

    J'ai toujours trouvé qu'il y avait trop d'humains sur cette planète, même si je ne voyais pas grand monde hors le truchement de mes écrans, perdu que j'étais dans mon chalet de montagne. À chaque fois que je voyais au journal télévisé des foules énormes regroupées pour des évènements sportifs, des enterrements ou des manifestations, j'avais des bouffées d'angoisse.

    Mais si l'on dépasse mon ochlophobie, qui pourrait contester que le problème principal de la Terre est notre présence en trop grand nombre à sa surface ?

    Oui mais voilà : personne ne veut mourir et la meilleure façon de ne pas mourir totalement reste à ce jour la reproduction. Mécanisme aléatoire, parfois décevant, mais bien rodé, bien ancré dans nos disques durs génétiques. 

    Depuis quelques décennies, l'Europe semblait avoir pris la route de la décroissance démographique. Non pas par idéologie, mais grâce à un faisceau de facteurs, aux rangs desquels on peut citer les prix de l'immobilier, l'émancipation des femmes, la longueur des études, le coût des enfants, la contraception, la hausse des divorces, l'individualisme et le déclin des religions. Dans les pays les moins favorisés, les enfants étaient toujours considérés comme une richesse. Les systèmes de dot et d'alliances chères à Claude Levi-Strauss, toujours prépondérants, y favorisaient la progression des courbes démographiques pour encore quelques décennies. 

    Et ne parlons pas des pays dominés par une idéologie religieuse et encore moins de ceux où l'on faisait et où l'on fait toujours des enfants en préparation des guerres à venir. Ceux là étaient et sont toujours aveugles à la problématique de la surpopulation. 

    J'avais renoncé, depuis longtemps, à l'espoir que pourrait représenter une instance mondiale qui édicterait des consignes formelles aux nations pour limiter leur progression démographique. Même la Chine avait cessé d'imposer aveuglément sa politique de l'enfant unique, alors qu'elle était un précurseur en la matière. D'ailleurs le sujet était soigneusement dissimulé sous le tapis lors de tous les colloques mondiaux sur la problématique du réchauffement climatique. C'était un sujet trop sensible, source potentielle de plusieurs guerres mondiales. Manque de bol, c'était aussi le seul sur lequel les gouvernements auraient pu agir efficacement.

    Quant à la prise de conscience écologique des populations occidentales, si elle était louable, les effets attendus de cette révélation étaient dérisoires. Surtout lorsque on s'évertuait à mettre sur un même plan l'escroquerie des énergies renouvelables, les toilettes sèches, l'interdiction des pailles en plastique, le tri sélectif, l'interdiction des feux de cheminées, les nouvelles taxes écologiques et les formidables véhicules électriques. Pendant ce temps là, les centrales à charbon et à fuel continuaient à cracher la mort dans toute l'Europe parce que la seule énergie propre disponible, le nucléaire, était "dangereuse". Et plusieurs centaines de millions de nouveaux voisins supplémentaires voyaient le jour chaque année dans les pays moins favorisés. Des voisins avides d'énergies fossiles, de véhicules, de téléphones portables et d'air climatisé.

     

    J'ai donc décidé de prendre les choses en mains. Si personne ne voulait rien faire de sérieux pour diminuer la libération de dioxyde de carbone dans l'atmosphère, j'allais m'en charger moi même. 

    Après tout, mes quinze années d'expérience dans différents régiments du Génie de l'Armée de Terre m'avaient donné une solide expérience dans la fabrication des bombes, et je n'avais jusqu'alors jamais vraiment eu l'opportunité de mettre en oeuvre mes compétences. 

    L'idée de faire exploser des maternités s'est imposée naturellement à moi. Viser les maisons de retraite ou des Mac Donald n'aurait eu aucun sens. Faire exploser des maternités, ça en avait : instiller la peur sur le long terme aux personnes qui voulaient se reproduire. Après tout, les pro-life américains avaient fait preuve de l'efficacité du blocage et du saccage des cliniques pratiquant l'avortement. Je ne faisais que m'inspirer de leur méthodes, en les retournant contre eux. 

    Je ne voulais tuer personne, je voulais juste dissuader. J'ai toujours appelé une heure en avance pour permettre l'évacuation de mes cibles avant qu'elles n'explosent. Si certains démineurs sont morts dans l'exercice de leur métier, j'en assume la responsabilité, mais tel n'était pas mon objectif et j'en suis sincèrement désolé.

     

    J'ai commencé mon action par les États Unis, bien entendu, en visant les états dans lesquels le droit à l'avortement était bafoué. Puis l'Amérique centrale, l'Amérique du Sud, l'Afrique, l'Indonésie avant de m'attaquer au golfe Persique.

    En tout j'ai détruit ou endommagé 67 maternités à travers le monde. Depuis le début de mon action, des gens sensés on rejoint mon combat, pas toujours en s'en prenant aux bonnes cibles. Actuellement il n'y a plus une seule maternité opérationnelle en Suède et le taux de natalité Européen est plus bas que jamais. Telle n'était pas mon intention, mais je suppose que l'on ne fait pas d'omelettes sans casser des oeufs. 

    Au niveau mondial, à ce jour, mon action commence à se faire sentir. Depuis le début de mes activités, la progression du taux de natalité mondial est en baisse. C'est un début. Mais la résistance s'organise. Le développement de l'accouchement à domicile a pris un essor vertigineux. On estime actuellement qu'un enfant sur trois nait au domicile de ses parents. Ce qui génère pas mal de complications. Une fois encore, telle n'était pas mon intention.

    Bien entendu, j'ai fini par me faire prendre, c'était une simple question de temps. Malheureusement, j'ai été pris en Iran, qui de façon paradoxale n'est pas un état tendre avec les terroristes. J'ai évidement été condamné à mort, et toutes mes voies de recours sont désormais épuisées. Le consul de France qui m'a visité en prison quelques jours après mon arrestation m'avait bien fait comprendre que le gouvernement de mon pays ne ferait rien pour m'extrader. Je n'en attendais pas mieux. 

    Dans deux jours, je serai mort, je cesserai de produire mon kilogramme de dioxyde de carbone quotidien. Quelque part, les mollahs vont faire progresser ma juste cause. La seule chose qui me chiffonne un peu, c'est la pendaison. J'aurais préféré un peloton d'exécution, plus en phase avec mes valeurs de combattant.

    J'espère que cette lettre parviendra à sortir de ma cellule. L'un de mes gardiens m'a affirmé être un partisan de notre cause et m'a proposé de faire sortir ce courrier. J'ignore encore si il dit vrai ou si il travaille pour les services secrets de son pays. Si vous lisez cette lettre, vous avez la réponse.

     

    Si vous me lisez, je ne peux que vous encourager à reprendre le flambeau qui se trouvera bientôt au pied de mon gibet. Notre but n'est pas de sauver la planète, la planète nous survivra, et nous pourrons faire tout et n'importe quoi, jamais nous ne parviendrons à éradiquer totalement la vie qui grouille à sa surface. Non, j'ai avant tout cherché à sauver l'espèce humaine d'une extinction de masse qui ne tardera pas à se produire si la lutte n'arrive pas dans les prochaines années à obtenir des résultats probants. 

    C'est pour cette raison que je vous enjoins à ne pas tuer, dans la mesure du possible. Ce n'est pas notre objectif, c'est même à l'opposé de notre combat. Non, il faut utiliser les armes que nous donnent les médias : leur pouvoir amplificateur est la meilleure des publicités. Privilégiez les actions spectaculaires, utilisez la terreur à bon escient, et peut-être, un jour, nous aurons sauvé notre habitat.

    Nous luttons pour les générations futures, nous ne luttons pas contre elles.

     

    Bien à vous,

    Jean Michel Cruche.

     

     

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