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À la vue de tous
La Reine Heuse a eu une enfance compliquée :
Dotée par la nature d'un physique peu avantageux,
Elle fut en butte aux railleries constantes et appliquées
Des commères assassines et des vieillards gâteux.
Son caractère n'étant au départ pas plus beau
Que ne l'étaient les traits de son visage,
Les moqueries permanentes eurent sur lui le même effet
Que la pierre à aiguiser sur le couteau.
A quinze ans,
Elle condamna au bûcher ses suivantes :
Les sœurs Lach avaient il est vrai l'inconvénient
D'attirer vers elles tous les regards des galants,
Y compris celui de Maxence, Prince vaillant et artiste,
Mais point insensible aux oeillades égrillardes
En provenance des deux superbes caméristes.
Ce jour là, la grande beauté d'Allope et d'Audace
Mis la Princesse tellement en rogne qu'elle ordonna à sa garde
De faire cramer sur le champ les deux blondasses.
A dix huit ans,
Elle déclara vouloir épouser un aveugle de naissance.
La nouvelle déclencha l'hilarité dans tout le royaume,
Mais bientôt les rires perdirent de leur puissance,
Les rues de Munster résonnant bientôt de nouveaux idiomes :
S'en étaient venus de partout fils de marchands bigleux,
Héritiers non voyants d'une lointaine noblesse sans le sou,
Ou encore, venus d'îles reculées, indigènes mirauds à moitié nus.
Comme de bien entendu, tous étaient amoureux,
Tous voulaient de la Princesse conquérir le cœur et la vertu.
Après avoir rallumé un bûcher sur lequel finirent
Bientôt rôtis borgnes et autres simulateurs,
La Princesse Heuse organisa dans un élan de bonne humeur
Un concours géant et gratuit pour départager ses prétendants.
Les aveugles furent réunis dans les Arènes de Büldelar,
On remit à chacun une pique, un glaive ou un trident,
Puis on fit entrer les fauves et quelques loups vicelards,
La main de la Princesse étant promise au dernier survivant.
A l'issue du carnage sanglant, on présenta à la Princesse le dernier combattant,
Qui avait survécu non par miracle mais grâce à ses glandes sudoripares,
Ces dernières ayant réussi à épouvanter les plus résistants des léopards.
Ce pauvre vainqueur aveugle, Lucid, devant tant de bassesse et de cruauté,
Jugea la Princesse si laide qu'il refusa de l'épouser.
Il changea subitement d'avis au pied du bûcher.
Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants, qui tous eurent la chance inappréciable de voir leur mère la Reine s'enlaidir davantage de jour en jour, tout au long de son long règne.
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Commentaires
1Hélène LouiseLundi 31 Juillet 2017 à 19:24Répondre
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